Portraits

Calvin et la confession

La réforme calvinienne

Très radicale apparaît la critique que Calvin opère de la confession :

« Ce n’est pas de merveilles si nous rejetons cette confession auriculaire : chose si pestilente, et en tant de manières pernicieuse à l’Eglise. Et même quand ce serait une chose indifférente, toutefois vu qu’elle n’apporte aucun fruit ni utilité, au contraire a été cause de tant d’erreurs, sacrilèges et impiétés, qui sera celui qui ne dise qu’elle doit être abolie? »

« Je ne souillerai beaucoup de papier à réciter les horribles abominations desquelles est pleine la confession auriculaire. Seulement je dis :si le saint homme Nectarius (duquel nous avons ci-dessus parlé) ne fit pas inconsidérément en ôtant de son Eglise cette confession, ou plutôt l’abolissant de toute mémoire, pour un seul bruit de paillardise, nous sommes aujourd’hui assez avertis d’en faire autant pour les infinis maquerelages, paillardises, adultères et incestes qui en procèdent »[1]

Si la polémique est si vive, c’est qu’aux yeux de Calvin, l’enjeu est essentiel : il s’agit de la rémission des péchés, et de la consolation qu’elle apporte. Sa critique ne vise pas d’abord ces dérives et perversions de la confession, qui ne sont que symptômes, elle porte sur l’enjeu théologique, qui est, lui, décisif : cette pratique de la confession est à ses yeux la négation de la justification gratuite par la foi. Car c’est là œuvre humaine qui conditionne le pardon de Dieu.

Polémiquant contre ses adversaires, Calvin écrit : « Ils gorgonnent assez de contrition et attrition. Et, de fait, ils tourmentent les âmes de beaucoup de scrupules, et les enveloppent de beaucoup d’angoisses et molestes :mais quand il semble qu’ils aient bien navré les cœurs jusques au profond ils guérissent toutes les amertumes par quelques asperges de cérémonies »[2]

Quelle est l’argumentation de Calvin ?

D’abord la confession est une invention humaine, qui opprime les consciences : « c’est une loi forgée des hommes, je dis qu’elle est tyrannique, et qu’en la mettant sus on a fait grande injure à Dieu : lequel en astreignant les consciences à sa parole, a voulu qu’elles fussent libres du joug et empire des hommes ».

Ensuite elle porte atteinte à la gratuité du salut : « quand pour obtenir pardon on impose nécessité à une chose que Dieu a laissée en liberté, je dis que c’est un sacrilège insupportable, puisque il n’y a rien plus propre à Dieu  que de pardonner les péchés, et qu’aussi en cela gît notre salut. »

Enfin, elle tourmente les consciences et les jette en désespoir : « Celle loi est mortelle comme une peste : vu que si les pauvres âmes sont touchées de crainte de Dieu, elle les précipite en désespoir : si elles sont assoupies, en les amiellant de vaines flatteries, elle les hébète encore plus. »

En résumé « quelques adoucissements qu’ils amènent, le tout tend là d’envelopper, obscurcir et dépraver la pure doctrine, et couvrir ou déguiser leurs impiétés en les fardant de fausses couleurs ».[3]

Quelle est donc pour Calvin la vraie confession ?

« En nous tenant à la pure simplicité de l’Ecriture, nous ne serons point en danger d’être trompés par de tels déguisements. Car elle nous ordonne une seule façon de nous confesser dûment : c’est, puisque c’est le Seigneur qui remet, oublie et efface les péchés, que nous les lui confessions pour en obtenir grâce et pardon. C’est le médecin : montrons-lui donc nos plaies ;C’est celui qui a été offensé et blessé : demandons-lui donc merci et paix. C’est celui qui connaît les cœurs et voit toutes les pensées : ouvrons donc nos cœurs devant lui. C’’est celui qui appelle les pécheurs : retirons-nous donc par devers lui. »[4]

Cette confession prend d’abord la « forme ordinaire qui se fait en commun de tout le peuple » : « puisque en toute assemblée que nous faisons au temple, nous nous présentons devant Dieu et ses anges, par où pouvons-nous mieux commencer que par la reconnaissance de notre indignité ?… Nous voyons que les églises bien réglées ont cette coutume que chaque dimanche le ministre prononce une confession tant en son nom qu’en celui du peuple pour rendre coupable toute la compagnie devant Dieu, et demander merci : et cela ne se fait point sans fruit. Même cela sert d’une clef pour ouvrir la porte à prier tant en général qu’en particulier ».[5]

L’Ecriture nous recommande deux autres formes de confession particulière :

L’une qui se fasse pour nous : confesser nos péchés l’un à l’autre (cf..Jacques 5, 16), afin que « déclarant nos infirmités les uns aux autres nous nous aidions mutuellement de conseil et consolation ».

L’autre qui se fasse pour le prochain dans le cas où il aurait été offensé par notre faute, « pour le réconcilier et apaiser ».

S’agissant de la confession mutuelle, Calvin précise « combien que l’Ecriture, en ne nous assignant personne auquel nous nous déchargions, nous laisse la liberté de choisir d’entre les fidèles qui bon nous semblera pour nous confesser à lui : toutefois pource que les pasteurs doivent être par-dessus les autres propres à cela, c’est le meilleur de nous adresser plutôt à eux. » On relève ici le souci d’articuler la liberté du croyant avec l’office des pasteurs qui les désigne pour cet accompagnement des fidèles. « Tout ainsi que nous devons nous consoler les uns les autres un chacun en son endroit : aussi d’autre part nous voyons que les ministres sont ordonnés de Dieu comme témoins et quasi comme pleiges, pour certifier les consciences de la rémission des péchés. D’où l’invitation à « user de ce remède » et à s’adresser « premièrement à son pasteur dont l’office est de consoler le peuple de Dieu par la doctrine de l’Evangile, tant en public qu’en particulier » Mais, ajoute aussitôt Calvin : « Il se faut toujours donner garde que là où Dieu n’a point imposé de loi, les consciences ne soient astreintes à certain joug. »[6]

 

Ces orientations de la pensée de Calvin se retrouveront dans les deux grandes confessions de foi réformées, celle de la Rochelle (1559) et la Confession Helvétique postérieure (1566).

Confession de la Rochelle (article 24)

Après avoir traité de la justification par la foi, le texte ajoute :

« Nous rejetons tous autres moyens que les hommes présument avoir pour se racheter envers Dieu, comme dérogeant au sacrifice  de la mort et passion de Jésus-Christ. Finalement nous tenons le purgatoire pour une illusion procédée de cette même boutique, de laquelle sont aussi procédés les vœux monastiques, pélerinages, défenses du mariage et de l’usage des viandes, l’observation cérémonieuse des jours, la confession auriculaire, les indulgences,  et toutes autres telles choses par lesquelles on pense mériter grâce et salut. Lesquelles choses nous rejetons non seulement pour la fausse opinion de mérite qui y est attachée, mais aussi parce que ce sont inventions humaines, qui imposent joug aux consciences. »[7]

 

Confession helvétique postérieure (chap. XIV)

« Nous croyons que la confession franche et légitime, laquelle se fait à Dieu seul, ou en privé entre Dieu et le pécheur, ou publiquement au temple, là où se fait la générale confession des péchés, suffit : et qu’il n’est point nécessaire pour obtenir rémission des péchés qu’on se confesse à un prêtre, murmurant en son oreille afin que semblablement par l’imposition de ses mains on ait l’absolution d’icelui….Au surplus, nous ne trouvons que bon, si quelqu’un oppressé du fardeau de ses péchés et de grandes et dangereuses tentations cherche le conseil, instruction et consolation particulière ou du ministre de l’Eglise,  ou de quelque autre de ses frères instruit en la Loi de Dieu ; Comme aussi nous approuvons grandement cette générale et publique confession des péchés qu’on récite au temple aux saintes assemblées. Car elle est accordante aux Ecritures saintes. »[8]

Conclusion

 

Au travers de la diversité de ces courants, une orientation commune se dégage.

La confession auriculaire est un des lieux d’affrontement pour la Réforme protestante.

Elle cristallise plusieurs enjeux théologiques, qui vont alimenter les controverses : lq question des indulgences, le statut du clergé, la compréhension du salut, etc.

La confession constitue une forme de tribunal des consciences. Elle institutionnalise le pardon de Dieu et le soumet à la médiation impérative d’un clergé.

L’affirmation centrale de la justification gratuite par la foi conduit les théologiens de la Réforme à rejeter cette pratique. Même là où la Réforme a maintenu la confession, elle l’a profondément transformée dans sa signification et sa pratique :

  • Abolition de l’obligation édictée par le Concile de Latran.
  • Cette confession privée peut être faite auprès de tout fidèle, frère ou sœur, précise même Luther, car le pouvoir des clefs est donné à tous les fidèles. Elle relève de l’initiative du fidèle, si et lorsque il en éprouve le désir.
  • Le contenu en est essentiellement positif : fondé sur la promesse de Dieu en Jésus-Christ, c’est l’annonce du pardon des péchés, qui peut être reçue comme la voix de Dieu lui-même. Elle est donc non seulement libre, mais libératrice.
  • Outre la prière personnelle, la forme ordinaire de la confession est celle qui prend place dans le rassemblement de la communauté pour le culte qui s’ouvre par une confession collective.
  • Le souci constant est d’assurer par l’annonce de l’Evangile du salut gratuit à la fois la liberté des consciences et la consolation des fidèles.
  • Tout au long de sa vie le croyant reste selon la formule de Luther semper peccator ac justus ac penitens.

 

 

[1] .Calvin : Institution de la Religion chrétienne, édition de 1560, III, 4,19.

[2] Id. IRC III,4,1.

[3] Id. IRC III,4,24.

[4] Id. IRC, III,4,9.

[5] Id. IRC III, 4, 11.

[6] Id. IRC III, 4, 12 ;

[7] Confessions et catéchismes de la foi réformée, p.122-123.

[8] Id.p.243-244.

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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