Carnet Portraits

Félicité Massamba Débat

Félicité Debat

Félicité Massamba Débat, 66 ans, a été assassinée le 13 juin dernier à Brazzaville, en République du Congo.

Après un ministère pastoral de 6 ans au sein de l’Eglise luthérienne de Paris, puis deux ans à la coordination du pôle animation de la Communauté évangélique d’action apostolique à Montpellier, Félicité avait pris un temps prolongé de vacances personnelles en marge de l’Eglise. Signe perdurant aussi de fragilité pour ses autres liens. Esprit brillant, elle était attachée à la théologie de la reconstruction, qui  prône la prise en charge et la réarticulation de l’Afrique et des africains par eux-mêmes. Outre son intérêt pour le travail biblique, une forte  spiritualité a également soutenu  son investissement dans la société civile auprès des plus fragiles : ainsi le Sida, les questions de genre, les conflits armés en Afrique qui ont tant mobilisé son engagement, sans jamais conduire à un positionnement politique assumé.

Derrière ce visage de lumière et de joie amicale, ses proches savaient toute l’indignation que lui causait le sort du Continent. Elle a toujours cru en la force des femmes et des exclus.

L’annonce de sa mort a suscité stupeur et consternation. Une énorme incompréhension, grossie par l’apparente gratuité du crime.

Sur le lieu de  l’assassinat, des gendarmes, une proche de Félicité et le procureur qui cachent à peine leur sidération. ‘Crime crapuleux…’ : répète l’officier de justice dans un monologue irréel. Que s’était-il passé ? Les informations sont maigres et peu solides.

Des petits bandits seraient venus. Combien étaient-ils ? A quoi ressemblaient-ils? Cherchaient-ils des objets à voler ou quelque chose d’autre ? Ils auraient accompli l’innommable, avant de disparaître dans la  nuit, alors que l’on circulait encore dans les rues. Le procureur donne carte blanche aux agents en les exhortant : l’enquête sera sans entraves. Le ton théâtral exprime une gravité presque  surjouée…

Arrivée à Brazzaville depuis trois ans, Félicité vivait avec l’une de ses sœurs dans un logement familial.  C’est cette dernière qui a  découvert le drame. « Auteur ? », « mobile ? » : ici, certaines questions ne sont ni véritablement ni définitivement élucidées. Ce qui nourrit excentricités occultistes et attise des lourdes suspicions politiques : une forme locale du complotisme. D’autant que,  comme mode opératoire, les précédents ne manquent pas.

Mars 1977, la triple élimination du président Marien Ngouabi, le Cardinal Émile Biayenda et l’ancien  président Alphonse Massamba Débat demeure encore à ce jour des « crimes parfaits » !

Alphonse Massamba Débat, un protestant rigoureux, qui s’inspirait  d’un humanisme progressiste. Il cherchait à détendre l’emprise de la France et de l’Occident sur le Congo. Porté au pouvoir en aout 1963 par  une élite militaire, Alphonse Massamba tombera cinq ans après, par le dictat des casernes et de la foule manipulée.  Alphonse, c’était le père de Félicité. Bien que marxisant, il n’avait guère renoncé à ses références évangéliques.

Eté 1973, le pasteur Jean Tartier m’avait parlé en des termes touchants de ce grand homme d’État, de sa foi et du respect qu’il dégageait.

Je n’imaginais pas alors que vingt ans après je connaitrai une partie de sa progéniture. En premier lieu, la future pasteure Félicité Massamba Débat et sa sœur Perside, aujourd’hui diaconesse de Reuilly.

Au-delà de la douleur de la famille Massamba, qui garde sans fin le deuil empêché d’un père,  à la faveur d’un « recèle » politico-mystique de sa dépouille, on voit sans difficulté l’étendue  du malheur ravivé par cette disparition tragique de sa fille.

Dans la région du Pool,  au sud du pays, passions  et désespoirs réveillent facilement la nostalgie d’un passé glorieux. Cette conscience d’une  population qui s’estime accablée la rend constamment rétive, toujours disponible à son messianisme  atavique. De lors, la question n’est pas seulement de faire la lumière sur ce crime et l’exigence de justice. Elle est indéniablement bien plus ample.

Si la dissémination de la violence, la banalisation de l’insécurité, qu’elle soit   informelle ou « organisée »,  n’autorise pas une diabolisation réactive de ceux qui gouvernent le Congo :  ce phénomène n’interpelle pas moins pour autant. Toute l’Afrique centrale et la diaspora noire se sentent concernées.

Mais quelle position le pouvoir tient-il lui-même face à un danger aussi grave en pleine capitale du pays ? La sécurité des personnes et des biens est-elle une priorité  parmi les autres ou au cœur de la mission de l’Etat ? Il y a pire  que l’irresponsabilité ou le  cynisme :  c’est le sac continuel des assises de confiance. Quelle politique peut se survivre face à pareille dégradation du vivre ensemble ? La corruption assure les loyautés de débrouillardise. Jamais le sillon durable d’une vision mobilisatrice. C’est tout le  devenir du Congo Brazzaville qui est ainsi en jeu !

La construction des routes, infrastructures diverses, la protection même de la biodiversité etc., ne remplaceront jamais celle des hommes et des femmes, ni celle d’une espérance collective, gage de toute  véritable cohésion nationale.

Dès lors, devant ce drame, la sympathie et les condoléances consistent-elles aussi à aimer ce qui animait Félicité Débat, à le poursuivre dans la même foi, la même intelligence, par cette égale simplicité et discrétion naturelle. Ce, en dépit de nos limites ou fractures de vies.

Philippe B. KABONGO-MBAYA

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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