Communauté Portraits

Philippe Kabongo Mbaya

La retraite étant venue, Agnès et Philippe Kabongo Mbaya ont élu domicile dans un des logements gérés par la Fondation du Protestantisme français à Clichy. Ils y sont bien. Leurs enfants sont proches et ils sont eux-mêmes familiers de la région parisienne après un dernier ministère de 14 années à Châtenay-Malabry. Avant Châtenay, ils avaient connu les paroisses de Montbéliard, de Nancy et de Melun. 

Le pasteur heureux à Châtenay

Philippe reste marqué par son ministère à Châtenay-Malabry. Il y a connu des engagements extrêmement forts. D’abord comme pasteur d’une paroisse stimulante qui a toujours été une sorte de laboratoire pour des orientations nouvelles et alternatives en matière de vie d’église tout autant que sur le plan des engagements pour les autres et pour le monde. Mais aussi comme aumônier de la prison de Fresnes où il a connu avec des détenus des accompagnements puissants et marquants. Ou encore comme artisan de paix dans la banlieue autour de Châtenay avec de très belles rencontres interculturelles et œcuméniques. En 2006, avec le curé de Cachan, alors que Cité U de Cachan était squattée par un millier d’individus et de familles venant de l’Ouest africain, ils s’étaient tous deux mobilisés pour apporter une aide de médiation. Philippe se souvient que la situation était alors extrêmement tendue : « Le préfet voulait une médiation mais en même temps il faisait tout pour l’instrumentaliser et la fragiliser ». 

Pour Philippe, Châtenay c’est aussi le temps heureux où il était le pasteur de Paul Ricœur. L’attachement était fort. Il reste discret sur ses relations avec Paul. Il accepte pourtant d’en lever un petit bout de voile en confiant que quelques semaines avant sa fin, Paul l’appelle et lui demande comment il comprenait le fait que Jésus soit mort « pour nous ». Ricœur se débattait avec l’idée d’un endettement rendu insupportable parce qu’éternel. C’était pour lui une question obsessionnellle. Philippe fit alors référence à André Gounelle qui, dans son Dire le Christ, parle du fait que Jésus soit mort « malgré nous » plutôt que « pour nous ». Il lui a rapidement apporté le livre d’André Gounelle. Paul Ricœur l’a lu dans la nuit. Au matin, il rappelle son pasteur. C’était, dit Philippe, un homme transformé et heureux. 

L’enfant de Bibanga

Il n’est pas étonnant qu’il ait rapidement su indiquer à Ricœur le bon ouvrage à lire. Depuis qu’il est enfant, Philippe a le goût des livres. Il a grandi dans la station missionnaire de Bibanga dans le Kasaï-oriental. Très tôt, les missionnaires remarquent ses bonnes dispositions pour l’apprentissage dse connaissances. Ils vont alors le soutenir et le stimuler. Après le secondaire, il décide d’aller à l’Institut de théologie de Kananga. Son goût pour la lecture et la réflexion ne se dément pas. Rapidement, on lui confie la responsabilité de la bibliothèque. Il classe, il fait des fiches de lecture, il organise, il devient un théologien averti. On lui propose alors une bourse pour poursuivre ses études en France. Après une année à l’école préparatoire de théologie, il rejoint la faculté de Strasbourg où il rencontrera de magnifiques professeurs qui sauront accompagner sa curiosité intellectuelle dans les domaines de la théologie, de l’histoire, de la sociologie. Il présentera à Strasbourg une thèse de doctorat sur l’histoire de l’église du Christ au Zaïre. Sa publication en fait un ouvrage de référence pour tous les apprentis théologiens au Congo et bien au-delà.

L’opposant politique

Alors qu’il était à Strasbourg, le jeune Philippe est fasciné par l’ouverture sociale des églises en France et en Europe, par les débats politiques sans tabou, par les théologies hardies. Georges Casalis faisait alors connaître la Black theology, Martin Luther King, « église et pouvoir », Jürgen Moltmann, tandis qu’au Zaïre, les années restaient de plomb : arrogance idéologique, autoritarisme, répressions sanglantes, militarisme en Angola. Le bouquet viendra avec l’inféodation de la Fédération protestante zaïroise au pouvoir en place et son apologie jusqu’au Conseil œcuménique (COE). Dans les réseaux des dissidents, Philippe se « radicalise ». Il fait le choix de la lutte pour l’état de droit et les droits humains. Ce sera pour lui un engagement mené à côté du ministère pastoral et du parcours doctoral. Confisquant son passeport, le régime voulait en faire un apatride confiné en France. Il obtint aussitôt un soutien efficace d’amis jusqu’à la restitution de ses documents. Philippe réalise aujourd’hui le prix payé pour cet engagement mais il reste reconnaissant envers tous ses collègues et amis qui ne l’ont pas lâché. à l’instauration du multipartisme, il mettra fin aux responsabilités dans l’opposition, comme l’avaient fait certains dirigeants d’église en Afrique du Sud après la libération de Nelson Mandela.

Le passeur d’espérance

La dictature a atteint le protestantisme  congolais dans ses ressources profondes en ravageant le sens de la rigueur dans ce que l’on dit et fait. Ces églises représentent 25 millions de membres ! Le défi, c’est qu’elles se « réinitialisent »  par la mémoire des écritures et des promesses qu’elles portent. « J’aime cette idée que l’église du Christ au Congo recouvre un instinct théologique », dit Philippe. C’est plus que jamais sa boussole dans toutes les missions qu’il accomplit au profit du premier protestantisme francophone du monde.  

Alain Rey

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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