Portraits Théologie

Rencontre avec Christine Lazerges

Parlez-nous de la Commission Sauvé. Comment était-elle composée ?

Il n’y avait aucun clerc, aucun membre du clergé, personne venant d’un institut religieux et absolument aucune victime. Les 21 membres de la commission ont été choisis par Jean-Marc Sauvé en raison de leurs compétences diverses. Hommes et femmes quasiment à parité. Croyants de diverses religions, agnostiques et athées. Nous étions deux protestantes, il y avait un musulman, il y avait un juif. Honnêtement, Bravo à Sauvé pour la constitution de la commission. Parmi les cathos, il y avait des progressistes, il n’y avait pas d’intégriste mais il y avait le bon catholique qui, chaque fois que j’ouvrais la bouche me disait : « Christine, le dogme ! », moi, je lui disais : « Jean-Marie, les évangiles ! »

Le premier chapitre de votre livre rassemble des paroles de victimes. Remettre les victimes au centre, c’est ce que vous avez voulu faire ?

Absolument, nous avons voulu mettre les  victimes au centre ! Dès que la Ciase a été mise en place, nous avons souhaité une méthodologie où la parole des victimes était entendue. Je ne suis pas sûre que l’Église de France ou la Conférence des évêques, avaient réalisé qu’on irait aussi loin. Je suis sûre que non. Tous et toutes, voulaient absolument partir des victimes. 

Vous n’avez pas entendu que des victimes ?

Nous avons écouté quantité de sachants, professeurs de théologie, évêques, archevêques, religieux, psychologues, sociologues, etc. Nous avons plus appris de la parole des victimes que des sachants. Et en particulier sur la justice restaurative. Moi-même, je suis universitaire, professeur de droit pénal, je fais des conférences sur la justice restaurative et je dois dire que mes conférences sont aujourd’hui beaucoup plus nourries. La justice restaurative procède d’un long cheminement qui commence par quelque chose que la justice a de la peine à faire : la reconnaissance, l’acceptation que la personne qui est en face de vous est une victime profondément atteinte.

Pourquoi la justice a-t-elle autant de mal à entrer dans une logique restaurative ?

Parce qu’elle doit recueillir des preuves pour et contre. Le bien-fondé de la procédure pénale réside dans l’équilibre des parties. Il faut entendre les uns et les autres. Dans la « vraie vie », quand on a une victime en face de soi, elle est complètement certaine qu’elle a été violée. Elle ne supporte évidemment pas qu’on mette en cause ce qu’elle vous dit. 

Dans la commission, votre écoute n’avait donc rien à voir avec l’écoute dans la justice étatique ?

Dans la commission, on ne mettait rien en cause. Dans le travail d’écoute on n’intervenait pas, on ne remettait rien en cause. Parfois, on posait une dernière question : « Vous avez souhaité être entendu par la Ciase, qu’attendez-vous de la Ciase ? ». Chaque fois, la réponse venait : « On attend d’être écouté ». ça voulait dire être écouté et être cru. Quelquefois, on demandait : « Souhaitez-vous être indemnisé ? ». Toutes les victimes ne disaient pas oui. La reconnaissance, vient avant la réparation. L’indemnisation vient après. J’ai beaucoup écrit là-dessus. L’indemnisation n’est qu’un volet de la réparation. Le procès pénal a de la peine à arriver à ce que j’appelle la réparation ou la restauration, mais c’est le jeu idéal du procès pénal. C’est d’ailleurs pour cette raison, que nous sommes contre l’imprescriptibilité. Pour les membres de la Ciase, l’imprescriptibilité est une lourde bêtise. Avec Olivier Abel, on en a parlé, il y a un droit à l’oubli. Quel sens peut avoir un procès 60 ans après ? 

La justice étatique ne peut-elle vraiment pas être restaurative ?

Oui, elle le peut mais plus facilement pour les petits délits, quand il suffit d’indemniser. Il faut distinguer entre indemnisation et réparation. Tout dépend comment se passe l’audience. Avec un bon degré d’écoute, il peut y avoir réparation. Quand il y a réparation, il y a toutes les chances pour que la victime ne se sente plus comme victime mais comme témoin de ce qu’elle a subi.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Ça veut dire que la victime prend une distance avec le drame qu’elle a vécu. Elle peut désormais en parler, elle peut voir en quoi elle a été restaurée, en quoi, en dépit du drame, elle a pu malgré tout grandir. Cela veut dire aussi qu’elle peut enfin dire non à la haine. Cela ne veut pas dire qu’on oublie, mais qu’on n’est définitivement plus une victime.

Concernant le droit canon, on a parfois le sentiment que cela reste un droit supérieur au droit de la République ?

En France, la Conférence des évêques a admis le principe de la soumission au droit républicain. Elle a été très claire. Pour nous, juristes, le droit canon c’est le droit disciplinaire de l’Église catholique. Dans la hiérarchie des normes, il y a les valeurs fondamentales, les droits de l’homme, le droit international, le droit interne, et ensuite il y a un droit disciplinaire du sport, un droit disciplinaire de l’église. C’est un droit disciplinaire, rien d’autre et un droit disciplinaire qui date du Moyen-âge ! On suggéré de mettre en place des instances canoniques nationales. Mais Rome a soustrait les violences sexuelles sur mineur à la compétence de ces instances. C’est effarant ! 

Quand vous parlez de Rome, vous parlez du pape ? De la curie ?

En fait, le pape a peu de marge. Nous, la Ciase, nous étions invités à Rome pour présenter notre rapport. La date était fixée et le pape avait accepté de nous recevoir. Mais Rome, la curie, n’a pas pu accepter que l’on dise que les violences sexuelles étaient systémiques. Rome peut accepter qu’il faille être compassionnel avec les victimes, attentif, les indemniser, mais pas que l’on dise que le système les produit. Or vraiment, le système les produit.

Quelles sont les raisons profondes de ce système ?

C’est un ensemble de raisons collectives et institutionnelles. Évidemment, il faut quelqu’un qui ne va pas bien sexuellement. Mais dès que vous avez une personne qui ne va pas très bien sexuellement, le système la protège et lui offre un espace de secret. La confession permet le secret, le cléricalisme favorise l’emprise, la verticalité de l’institution offre une protection. 

Rome n’admet donc pas que ces violences puissent relever d’un système ? 

Exactement. Rome estime que jamais l’Église de France n’aurait dû accepter le bilan de ce rapport.  Pour Rome c’est inacceptable. Cela veut dire que la Constitution de l’Église catholique serait à jeter. 

Suite à la Ciase, deux commissions de réparation ont été mises en place. Pourquoi deux commissions ?

Nous préconisions une seule instance. Véronique Margron et Antoine Garapon, pour les victimes des religieux, se sont dépêchés de mettre en place une commission avant que les évêques aient réfléchi à comment ils allaient faire. C’est comme ça qu’il y en a eu deux. Au final, je trouve que c’est mieux. Il y a le regard de l’une sur l’autre. Elles ne fonctionnent pas tout à fait de la même façon mais, des deux côtés, il y a de bonnes idées.

La Fédération Protestante de France, lors de sa dernière assemblée générale, s’est saisie de la question des violences sexuelles. Quel regard portez-vous sur ce travail ?

Je ne connais pas suffisamment le travail de la FPF, mais ce que je peux dire, c’est que s’il y avait une commission sur ces questions, elle devrait être indépendante, elle ne devrait comporter ni clerc, ni membre d’un conseil, ni président d’église. C’est comme si on avait pris avec nous dans la Ciase, le président de la Conférence des évêques de France. Il faudrait également une commission pour les facultés de théologie protestante, tout comme dans l’université publique. La synodalité dans l’Église protestante, c’est quand même très bien. Du côté démocratique, ça marche pas mal, mais quand il y a une personne qui déraille sur le plan moral ou sexuel, on ferme volontiers les yeux.

Vous trouvez qu’on manque de vigilance ?

Je pense en effet que l’Église protestante où il y a maintenant beaucoup de femmes pasteurs, devrait être dans une vigilance extrême. Les femmes pasteurs devraient être plus protégées. Je ne suis pas sûre que dans les nominations il y ait toujours eu le discernement qu’on devrait attendre.

Propos recueillis par Alain Rey

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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