Rencontre avec Charles Bossert, Pasteur de l’Église Protestante de La Réunion
Un parcours à La Réunion depuis 2010
Nous sommes arrivés en famille à La Réunion en 2010 sur un poste créé par la Cevaa dans le sud de l’île. L’Église Protestante de La Réunion voulait alors se développer. Le projet envisageait la création d’un centre paroissial et social pour le secteur de Saint Pierre. Je suis venu pour un mandat de 4 ans, qui a été renouvelé pour 2 ans et une nouvelle fois renouvelé pour une année. Je suis donc resté 7 ans dans le sud. Nous habitions au Tampon. En 2017, la Cevaa s’est retirée du projet. C’est ainsi que mon mandat dans le sud prenait fin. L’Église Protestante de La Réunion recherchait alors un pasteur pour couvrir la desserte de l’ensemble de l’île. J’ai postulé pour un mandat de 2 années supplémentaires. Nous sommes alors arrivés à Saint-Denis en juillet 2017.
Une communauté à faire grandir
L’Église Protestante de La Réunion avait une annexe, une petite communauté au sud, avec un culte et le regroupement des quelques familles qui se trouvaient dans ce secteur. Le projet consistait à développer ce noyau. C’est ce qui a été fait avec une vie paroissiale normale, un culte tous les dimanches, une catéchèse suivie, des groupes bibliques et de maison attendus. L’Église s’est construite, élargie, approfondie. Tout cela a pris du temps mais il est vrai que les limites et les écueils ont été nombreux. L’absence de local a été préjudiciable. L’Église catholique a été très fraternelle en nous accueillant tous les dimanches. Mais on a dû parfois changer de lieu et modifier des programmes établis. Cela n’aide pas une communauté à vivre dans la stabilité. Aujourd’hui, le noyau de base est suffisamment solide pour aller de l’avant et prendre en charge un projet de construction. C’est une grande satisfaction.
Un défi : l’unité
Le grand défi dans cette Église de La Réunion, c’est celui de l’unité. Unité entre le nord et le sud ; unité à l’intérieur de l’Église entre des tendances théologiques et des cultures d’église très diversifiées. Au nord, c’est une communauté avec de nombreux malgaches, des métros, des protestants évangéliques qui ont envie de foncer, des protestants « historiques » qui ont une approche plus traditionnelle de la vie d’église. C’est par ailleurs une communauté qui a un lourd passé constitué de moments très forts et constitué également de crises. Il y a beaucoup de tendances. Au sud, c’est plus facile. Il y a une plus grande homogénéité. La communauté est plus petite. Les gens ont envie de se retrouver pour prier, pour lire la bible. C’est davantage une ambiance d’Église-maison. Il faut en permanence jongler. Le rôle du pasteur est de savoir créer une unité à partir de cette diversité. Le point fort qui fait unité dans cette Église, c’est la volonté partagée d’annoncer l’Évangile à la manière du protestantisme historique, luthéro-réformé, autrement dit avec un esprit d’ouverture, de dialogue, avec une absence de jugement et d’absolutisation. C’est ce que nous essayons de pratiquer à travers notre prédication, la rencontre, l’écoute, le dialogue inter religieux. Nous voulons annoncer, témoigner, servir, sans sectarisme, sans moralisme, sans jugement. Notre défi, c’est de maintenir la présence de ce protestantisme ici à La Réunion et de montrer qu’on peut être chrétien sans être moralisateur, sans être sur des positions de jugement ou de fermeture.
Des partenaires nombreux
Tout ceci est important dans les relations que nous entretenons avec nos partenaires, ici à La Réunion, que ce soit les catholiques ou les nombreuses Églises malgaches qui sont présentes sur l’île. Pour moi, dit Charles Bossert, le défi de cette Église dans le contexte qui est le sien, c’est d’annoncer l’évangile de façon vivante, en protégeant une unité toujours difficile, et en développant une réflexion toujours en prise avec aujourd’hui.
L’œcuménisme : le parent pauvre
L’œcuménisme, c’est un peu le parent pauvre. Monseigneur Aubry est un homme très ouvert, très fraternel, mais il est très pris par le dialogue inter religieux. C’est sa priorité, ce que l’on peut comprendre quand on connaît la diversité des populations et des cultures sur La Réunion. Du coup, il ne place pas la même énergie dans le dialogue œcuménique. Le dialogue inter religieux, c’est peut-être plus facile. L’enjeu, c’est d’entretenir des relations bonnes. La priorité avec le dialogue inter religieux est plus sociale, culturelle. Il faut montrer que l’on se parle pour les communautés aient également envie de se parler. Mais dans le fond on garde ses distances sur le terrain des convictions, de la foi, de la théologie. Dans le groupe du dialogue inter religieux on ne discute jamais sur des articles de foi. J’en fais partie. On se montre chaque fois que nécessaire, lorsqu’il y a un attentat ou une crise quelconque. Plus qu’un dialogue inter religieux, il s’agit d’un dialogue fraternel entre responsables de communautés religieuses. Avec le dialogue œcuménique, c’est plus compliqué. Il faut davantage s’engager. C’est probablement une des raisons pour lesquelles l’œcuménisme à La Réunion manque de densité. C’est aussi le parent pauvre parce que le pasteur que je suis est obligé de faire des choix. Les Églises sont très nombreuses à La Réunion. Le temps, l’énergie, me manqueraient si je devais toutes les rencontrer, les visiter et approfondir des dialogues. Pour l’instant, je me consacre à un dialogue avec les Églises malgaches. C’est ma priorité. Il y a par ailleurs un pôle Fédération Protestante qui gère les services d’aumônerie dans les prisons, les hôpitaux et à l’armée.
Un potentiel puissant
Les perspectives pour cette Église de La Réunion sont stimulantes si elle ne sombre pas dans la division. Le potentiel est important. Les ressources humaines, matérielles sont présentes. L’Église doit pouvoir se développer par elle-même et consolider son projet de vie communautaire et de présence vivante sur cette île.
Du piétisme à une foi de dialogue et d’ouverture
J’étais électricien. J’ai une vocation tardive. J’ai commencé mon ministère à 29 ans. J’ai commencé dans la jeunesse comme aumônier de lycée, en Alsace. J’y suis resté 10 ans, c’était dans le nord de l’Alsace. J’ai ensuite pris une paroisse rurale, toujours en Alsace, pendant 6 années. C’était une paroisse de l’ERAL. J’ai ensuite été accueilli dans l’Église réformée de France à Nîmes. J’ai découvert un autre monde, quelque chose qui m’a beaucoup, beaucoup, séduit. Quelque chose de vivant. Probablement de fragile, mais très intéressant. Nous avons passé des années fantastiques à Nîmes. Après un ministère de 10 années à Nîmes, j’ai répondu à un appel du Défap. On devait d’abord aller en Guyane et puis les choses se sont précisées pour La Réunion, pour le poste du sud. C’est un parcours que j’aime beaucoup. Je viens d’un milieu théologique très évangélique. La paroisse réformée dans laquelle j’ai grandi était marquée par un piétisme très fort. Le pasteur qui était dans cette paroisse en poste depuis 35 ans, était un piéto-évangélique. Les cultes du dimanche étaient de véritables séances d’évangélisation. C’était pourtant un pasteur réformé. Pour lui, ce n’était pas contradictoire. J’ai été marqué par un enseignement de ce type. J’ai tout quitté après la confirmation. C’est une expérience spirituelle de conversion, très forte, qui, à 21 ans, m’a poussé à reprendre un engagement vers l’Église et surtout à faire des études de théologie. J’ai commencé par un institut biblique évangélique. J’ai très vite vu les limites. Je me suis dit que je voulais plus et mieux comprendre les choses dans une perspective plus critique. J’ai donc pu faire le virage en étant admis à l’École préparatoire de théologie, puis la Faculté de Montpellier, puis Fac de Strasbourg, où j’ai fait mon cursus de théologie jusqu’à la maîtrise. C’est un parcours de déconstruction-reconstruction. Mais ce n’est jamais terminé ! J’ai beaucoup appris des luthériens, des réformés, des sœurs de Pomeyrol dont j’étais le pasteur référent lorsque j’étais à Nîmes. J’ai beaucoup appris de ces spiritualités diverses et je dois dire que cela m’aide aujourd’hui beaucoup dans la dialogue inter religieux. Je trouve beaucoup cette diversité dans les autres religions. Et je dois dire que cela nous conduit à rester humble et petit !
Propos recueillis par Alain Rey
Leave a Comment