Cinéma Culture

The Forgiven

The Forgiven – Un film de Roland Joffré avec Forest Whitaker et Eric Bana

Je voulais voir ce film sur Desmond Tutu et sur son engagement dans la Commission Vérité et Réconciliation. J’appartiens en effet à une génération qui a été très marquée par l’histoire de l’apartheid en Afrique du Sud. Depuis les années 60, l’Afrique du Sud occupe un espace dans notre univers mental, m

Deux prix Nobel de la paix : Desmond Tutu et Adolfo Peres Esquivel, à Porto Alegre, lors de l’AG du COE en 2006

ilitant et spirituel. À travers le Conseil œcuménique des Églises, nous sommes nombreux à avoir vécu les grands événements et les grandes dates de l’Afrique du Sud dans sa marche vers la sortie de l’apartheid. Personnellement, j’ai eu l’occasion de séjourner pendant quelques mois en Afrique du Sud et d’être reçu à l’Université de Prétoria dans le cadre d’un travail que je réalisais sur David Bosch, un théologien missiologue africain du Sud. C’était en 95 après l’élection de Mandela à la présidence. J’ai eu, au bénéfice de ce séjour, l’occasion de rencontrer des personnalités superbes qui m’ont raconté leur engagement dans la lutte contre l’apartheid. Je me souviens en particulier d’une rencontre avec Beyers Naudé. Je reste aujourd’hui encore marqué par la force intellectuelle et spirituelle de cet homme qui appartenait totalement à l’histoire Boer. Il était un Boer de chez Boer. Avec son Église, il avait lui-même justifié théologiquement l’apartheid et puis en 1960, après le terrible massacre de Sharpeville, il rompt avec son milieu familial, avec son Église, avec son histoire profonde. Pour les Boers, il devient un traitre. En 1982, il soutiendra et votera la mise au ban de l’Église réformée en Afrique du Sud, son Église, par l’Alliance réformée mondiale. C’était un bonhomme puissant.

Desmond Tutu est un homme de cette immense trempe-là. Tous ceux qui ont fréquenté les assemblées du Conseil œcuménique des Églises et celles de la CETA, la Conférence des Églises de toute l’Afrique, ont eu l’occasion de le croiser et de le rencontrer. À plusieurs reprises du fait de mes fonctions au Defap ou à la Cevaa, j’ai moi-même participé à ces assemblées. Je conserve très fortement deux images de Desmond Tutu. Cela se passait chaque fois dans des assemblées de la CETA. L’une était à Addis Abeba en 2001. Desmond Tutu en tant que président de la CETA accueille les délégués venus de toute l’Afrique. Dans cette séance d’ouverture les officiels du pays sont également présents et parmi ces officiels se trouve le président de la République, Negasso Gidada. Et voici que des propos attendus comme de simples propos de courtoisie deviennent dans la bouche de Desmond Tutu une immense prédication où se mêlent tout à la fois la courtoisie et l’interpellation, l’humour et la profondeur, le sourire et la gravité. À travers tout ce qu’il dit, il ne se départit jamais d’une profonde empathie. Même quand le propos devient sévère, on sent qu’il aime les gens et qu’il aime l’Afrique. Il s’adresse à des responsables et il veut les tirer vers le haut. En quelque sorte, il les porte, il les soulève, il les hisse. Moment inoubliable. Dans l’art de communiquer, je n’ai jamais vu ou entendu quelqu’un d’aussi virtuose.

La seconde image que je conserve de Desmond Tutu, elle vient d’une autre rencontre de la CETA. Cela se passait au Zimbabwe. On était alors dans la période post-apartheid et Tutu avait été chargé par Mandela de présider la Commission vérité et Réconciliation. C’était une session d’une dizaine de jours et chaque matin avant d’entrer en séance nous nous retrouvions pour un moment de célébration et de prière. Ce matin-là, le prédicateur évoque la violence en Afrique. Comme un coton d’alcool sur une plaie ouverte, ce sont des propos qui viennent réveiller chez Desmond l’horreur des témoignages reçus dans la cadre de la Commission Vérité et réconciliation. L’homme s’effondre. Il pleure. Les larmes tombent de son visage. Rien ne peut le consoler. Autour de lui, nous formons un cercle. On reste debout. On ne dit rien parce qu’il n’y a rien à dire. Juste être là. Notre prière ce matin-là est chargée d’une émotion et d’une communion rares.

Pour toutes ces raisons, j’avais à cœur de voir ce « biopic », comme on dit aujourd’hui. On y retrouve en effet l’ambiance des années sombres, la violence dans les relations, la souffrance des personnes, l’inhumanité de la prison, la dureté des regards et des cœurs, l’attente des familles. Les acteurs, Forest Whitaker dans la peau de Desmond Tutu et Éric Bana dans celle d’un Afrikaner radical et sans remord, sont absolument magnifiques. La tension entre les deux personnages est forte. C’est remarquablement joué et rendu. Mais le sujet et l’intensité tragique de cette page d’histoire auraient probablement mérité un traitement plus complexe. On reste sur sa faim. C’est trop manichéen. Trop attendu. Dommage !

Alain Rey

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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