Libres propos

Armand versus Amélie

ARMAND versus AMÉLIE

Nous sommes, juifs et chrétiens, dans le même espace de discussion et de débat, mais en même temps, (dans des termes) adoucis, sans exclusion et sans combat. Ainsi va le dialogue, ininterrompu et variable, de notre civilisation (culture ?) européenne avec ses racines juives et chrétiennes pour une grande part. la vieille fidélité juive et la sautillante liberté chrétienne se retrouvent sans trop se chamailler, peut-être par ignorance respective, ou tolérance molle, plus que dans une confrontation dangereuse mais enrichissante. C’est mon pari !

Sans nier que, précisément, notre christianisme (multiséculaire)séculaire est entre le marteau et l’enclume. Il ne s’agit pas de martyrologie, mais de lucidité. J’en prends deux exemples récents : les hérauts (plutôt que les héros ?) sont sortis du silence cet automne dernier. Je sais que les livres passent comme des feuilles mortes des saisons, mais les meilleurs durent plus qu’un été. Ainsi Jésus avant le Christde notre ami Armand Abecassis(Presses de la Renaissance, 2019)et notre romancière de Soif, Amélie Nothomb(Albin Michel, 2019).

D’un côté, si j’ose cette comparaison un peu lourde, l’enclume si résistante d’avoir reçu les coups les plus tragiques de son destin, et (de l’autre) le marteau, plus léger et plus libre, sans obligation ni sanction. Le théologien (et non la théologie) de l’histoire juive et la romancière de l’interprétation évangélique. De quoi s’agit-il ?

Pour le premier, grand lettré des Écritures hébraïques essentielles et de leurs éblouissants commentaires, Jésus n’était pas chrétien. Il était uniquement d’une absolue fidélité au judaïsme de son temps. Ses disciples devenus apôtres, Paul (de Tarse) en tête, ont vu dans sa destinée celle « d’un homme qui était Dieu », Messie attendu et reconnu par une poignée de femmes pascales. Serait-ce, Armand, que notre Christ chrétien a tellement défiguré votre Jésus juif que vous ne le reconnaissez pas (comme tel) ? c’est une grande interrogation pour l’Église car, si nous croyons que le Messie est venu et si vous vous croyez qu’il viendra, sera-ce, sans doute, le même, pour nous rappeler cet aveuglement proprement chrétien qui retient le Royaume de Dieu et sa justice dans la justesse de la religion. (Cette dernière phrase est un peu obscure : je ne vois pas ce que tu veux souligner).Léonard RAGAZ, Le message révolutionnaire, p ?158, Delachaux et Niestlé, 1941. Nous sommes interpellés par ce « Jésus avant le Christ » : voulez-vous dire ce Jésus qui, sans vous, n’est pas le Christ ?

Sur l’enclume, le marteau frappe encore pour forger, à quelle fin, la ferraille dorée des dogmes chrétiens. Amélie Nothomb s’y emploie avec une telle ardeur qu’elle prend le risque de se taper sur les doigts. La christologie (?) la lecture de l’histoire du Christ par) d’Amélie est le contraire de la théologie d’Armand. Son Jésus assoiffé est tellement humain qu’il n’est plus chrétien, tellement souffrant qu’il est un « vrai homme ». Pas de père, pas de dieu, pas de recours. Sinon les grandes consolatrices, Marie Madeleine, Véronique, et Marie tout court…. Un Jésus qui n’est plus le Christ et dont la passion est une compassion cosmique et solitaire, d’une souffrance assoiffée (inextinguible ?) que rien ne peut assouvir. Sauf de se voir et de se revoir encore et toujours dans une vie qu’aucune absence n’assèche. Une résurrection rampante après une incarnation manquante.

Nous sommes vraiment à la question, entre ce grand rabbin qui ne craint pas de nous déstabiliser et cette illustre romancière qui n’a peur pas peur de nous dépayser.

Pour conclure, sans fermer la discussion, et pour proposer ma conviction, c’est à Blaise Pascal que je m’en remettrai : Dans « le mystère de Jésus », il avance cette pensée « Jésus est (et non sera) en agonie jusqu’à la fin du monde, il ne faut pas dormir pendant ce temps-là ». L’un nous avait dit « Vous avez tellement fait de Jésus le Dieu chrétien qu’il n’était plus un homme humain ». Une autre que nous en avons fait un homme sans son Dieu juif…. J’ai aussi relu, récemment, les réflexions bibliques de Karl Barth sur l’Avent. Le monde s’éveille à la lumière des prophètes et des apôtres, des annonciateurs juifs et des adorateurs chrétiens. On ne dort plus depuis ce temps-là.

Que la nouvelle de Pâques nous réveille, ou nous éveille, si besoin est.

Michel Leplay – En janvier 2020

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Michel Leplay

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