Non classé

« Nos lettres donnent du sens au temps qu’il reste »

L’Acat, ONG chrétienne contre la torture et la peine de mort, propose à ses bénévoles de correspondre avec des condamnés à mort américains. Paa Kofi Eduah, coordinateur du programme, revient sur le sens de ce dispositif et ses retombées très concrètes.

Recueilli par Marie Boëton

Vos bénévoles peuvent, s’ils en font la demande, échanger par écrit avec des détenus américains dans l’attente de leur exécution. Dans quel but ?

L’idée est d’offrir à ces condamnés un soutien moral et psychologique. Il faut bien se représenter le quotidien au sein du couloir de la mort : ils sont enfermés, seuls, 23 heures sur 24, dans une cellule de 5 m2. Certains n’ont plus aucun contact avec leur famille, et depuis des années. Ils se retrouvent, de fait, réduits à leur numéro d’écrou. Leur écrire permet de les connecter au reste du monde, de leur redonner toute leur humanité. Mais aussi de les sortir de la routine mortifère qui fait sombrer la plupart d’entre eux dans la dépression. Nos lettres donnent du sens au temps qu’il reste.

Un gouffre sépare ces condamnés et vos bénévoles. Sur quoi, concrètement, échangent-ils ?

Tout l’enjeu est de s’enquérir de ces détenus, mais pas seulement. L’idée est aussi d’évoquer avec eux des choses très simples, de parler de son quotidien, de sa famille, de parler de tout et de rien, d’échanger sur les petits tracas ou les grands bonheurs. Le but, encore une fois, est de les aider à s’évader de l’univers carcéral. Ce soutien psychologique constitue une raison de vivre, d’espérer et, pour certains même, une raison de persévérer.

C’est-à-dire ?

Ils y trouvent l’énergie pour batailler sur le plan judiciaire. Certains – c’est rare, mais cela arrive – obtiennent la réouverture de leur affaire. Une poignée d’entre eux a même réussi à faire reconnaître l’erreur judiciaire dont ils ont été victimes et à recouvrer la liberté. Lors du dernier Congrès mondial contre la peine de mort, un ancien condamné à mort américain nous a tous beaucoup touchés en déclarant : « Surtout, continuez à écrire ! Vos courriers sont notre raison de vivre ! » Le fait de savoir que quelqu’un, quelque part dans le monde, pense à eux, c’est considérable.

Ces échanges épistolaires ont vu le jour en 1992 à l’initiative d’une poignée de bénévoles de l’Acat. Combien sont-ils aujourd’hui ?

Ils sont un peu plus de 400 à correspondre régulièrement avec des condamnés à mort américains. Nous accompagnons environ 200 détenus. Pourquoi deux fois plus de bénévoles que de condamnés ? Car pour tenir la cadence et leur écrire une fois par semaine, ils ne sont pas trop de deux… Nous sommes – je le précise au passage – toujours à la recherche de nouvelles recrues !

Comment les bénévoles eux-mêmes vivent-ils cet engagement ?

C’est un engagement émotionnel difficile, car très exigeant. D’autant qu’il faut s’inscrire dans la durée. Il faut savoir trouver en soi les ressources pour accompagner une personne vivant dans l’attente de son exécution. Concrètement, il faut savoir gérer quelqu’un soumis à cette torture psychologique-là. Apprendre à vivre avec l’idée que cette personne, à qui l’on s’attache nécessairement, peut mourir très prochainement. Pour le reste, c’est du cas par cas. Certains s’en tiennent à une simple correspondance ; d’autres vont plus loin en soutenant financièrement les condamnés ; d’autres encore, c’est très rare, décident de rendre visite à leur correspondant.

Comment tenir sa juste place ?

C’est tout l’enjeu ! À l’origine, il y a trente ans, les choses se sont montées de façon assez informelle autour de quelques bonnes volontés. Nous avons trois décennies de recul aujourd’hui et sommes réellement en capacité d’accompagner nos bénévoles. Nous organisons à cet effet des journées de formation, mais aussi des groupes de parole et d’échange entre bénévoles afin que les nouveaux venus puissent profiter de l’expérience des anciens.Nous organisons aussi des rencontres – c’est plus rare – avec d’anciens condamnés sortis du couloir de la mort. Échanger avec eux fait d’ailleurs toucher du doigt une réalité méconnue : la très difficile réinsertion de ces ex-détenus. Ils ont été condamnés à tort et continuent, à leur sortie, de pâtir des errements de la justice.

La Croix du 21 janvier 2023

À propos de l'auteur

mm

Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.