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François Clavairoly : Fin de vie : « oser la loi »

Les prises de position qui s’expriment sur la fin de vie témoignent de l’importance du moment que traverse la société française dans un contexte de postmodernité.[1]

Comment faire en sorte qu’une « société d’individus » décide malgré tout d’un « faire vivre ensemble » et d’avancer sur un même chemin ?[2]

Il ne suffit plus de se contenter de dire que l’on est contre toute évolution de la loi au nom d’une tradition religieuse – l’étrange front des religions opposé à la proposition de loi qui sera présentée en mai prochain effraie plus qu’il ne rassure, comme s’il y avait ici chasse gardée ou préemption sur un sujet réservé, alors que tous les humains sont concernés-.

Chacun pressent, en effet, qu’au moment même du processus de la fabrication de la loi, nous entrons dans un « après », quoi qu’il advienne, et il faudra bien un jour faire vivre ensemble une réponse commune, avec les religions où sans elles, comme c’est le cas dans plusieurs pays.

Ethique de la détresse

Car personne ne se satisfait de la situation actuelle, comme l’indique à son tour l’exposé des motifs de la Proposition de loi n°3755 avec ces premiers mots : « Aujourd’hui, nous mourons mal en France ».

Et les Eglises qui expriment pour le moins leur désaccord quant à l’acte du suicide, fût-il aidé[3], encouragent depuis toujours la sollicitude des chrétiens qui, en cas de détresse des patients, restent pleinement engagés dans l’accompagnement de la fin de vie, rappelant de ce fait avec raison l’exigence de l’extension des soins palliatifs.

Cette éthique des Eglises se refuse donc à tout passage à la loi établissant une normalisation de l’aide médicale au suicide. Elle peut aller toutefois jusqu’à accepter, dans certains cas limite, une exception d’euthanasie, telle une transgression qui ne serait alors pas sanctionnable.

Dans ces situations bien précises d’une souffrance qui dure, aider à mourir, peut relever, comme le disait Paul Ricoeur, d’une « éthique de la détresse » où la norme du « tu ne tueras point » peut être suspendue, mais non pas abolie. »[4]

Ethique hérétique

Mais après la positions négatives d’une éthique des Églises ou celle, empathique, d’une éthique de la détresse, il m’apparait qu’une éthique protestante ne peut pas ne pas assumer et faire valoir plus clairement ce qui fonde  la dimension libératrice -hérétique ?[5] – de son positionnement. Elle doit pouvoir oser faire droit à la conscience du croyant pour qu’il choisisse, au nom de sa liberté en Christ, précisément, une liberté non pas théorique mais enracinée dans le temps présent. Elle doit pouvoir oser le laisser libre de participer non seulement à des contributions au débat mais à l’exercice même de sa responsabilité citoyenne et à examiner librement l’opportunité de l’inscription dans la loi de nouvelles options possibles et recevables aussi par des personnes croyantes, fidèles et conscientes de leurs limites.

Les chrétiens, y compris les personnels soignants, ne seraient-ils pas eux aussi appelés à exercer avec d’autres, le cas échéant, de nouvelles responsabilités dans un cadre strict, protecteur et reconnu par tous ? Des responsabilités partagées coram deo qui sont bien celles que cite la Genèse : gérer le monde et sans cesse devenir plus humain, dans la conscience de la vulnérabilité[6] et des  détresses tout autant que dans l’exercice concerté de la liberté et de l’autonomie ? Dans la conscience aussi de la capacité à être pour son prochain signe d’une sollicitude, d’un accompagnement dans le temps ultime et clair-obscur de la fin de vie, dans ce moment où l’on consent ensemble à la finitude, jusque et y compris devant la demande d’une aide active, protégée par le droit d’une institution juste, en étant accompagné, aimé, croyant et vivant jusqu’à la mort.

En effet, quand Fides (la foi) entend la raison humaine qui souffre et ne la contre pas à force de certitudes et de dogmes, quand elle ne reste pas en surplomb, au balcon, mais qu’elle se tient à l’écoute de sa détresse et reconnait elle-même la limite de son propos dans le tragique de certains cas ; quand Ratio (la raison) n’humilie pas Fides par sa science et sa puissance froide et sans éthos, mais cherche elle aussi une réponse devant le malheur, alors peut encore advenir Caritas (la sollicitude) qui demande juste un espace de liberté, et pour ce faire, précisément, un espace de droit, où les trois peuvent décider ensemble que la peur, la douleur et l’effroi seront une dernière fois affrontés, dans le maintien des liens d’humanité, sans culpabilité et dans une confiance irréfragable en Dieu.

Alors la « société des individus » demeure en son cœur jusqu’au bout une « société de personnes », d’hommes et de femmes libres, responsables et solidaires, habitant non plus Babel où un seul langage serait toléré, en l’occurrence le langage qui se prétend religieux, mais bien la cité des hommes où l’on s’entend et où la parole d’autrui même la plus étrangère se trouve respectée.

Que pour les chrétiens la vie soit comprise comme un don de Dieu se traduit souvent comme une injonction à la définir comme sacrée et le suicide comme un acte de « non foi ».  Il faut ici recevoir avec respect les propos d’un Dietrich Bonhoeffer, qui, avec beaucoup d’autres, vont malgré tout dans ce sens[7].

Mais ne peut-on imaginer que Dieu croie en l’homme bien plus et bien mieux que l’homme ne croit en lui ? Ne peut-on pas affirmer qu’il nous offre la vie totalement et en toute confiance et qu’il nous laisse réellement libres de la vivre devant lui?

Le verset magnifique du livre du Deutéronome « choisis la vie » (Dt 30, 19) ne peut-il être compris autrement que comme une sorte d’appel vitaliste, mais bien plutôt comme une invitation à être vivant en plénitude, entièrement et humblement responsable, sans la peur d’un Dieu qui n’aurait finalement pas vraiment donné mais qui « surveillerait » encore pour « punir »?

La décision de faire appel à l’aide médicale à mourir appartient bien à celui qui la prend en tant que citoyen adulte, responsable et, le cas échéant, croyant, mais c’est en comptant sur l’accompagnement d’une société solidaire. Il ne s’agit en aucun cas de proposer ou d’imposer le geste d’assistance à quiconque fera objection de conscience, ne le considérant pas comme un soin, mais de veiller à une pratique digne, collégiale et encadrée dont le bilan sera régulièrement établi et rendu public. L’indignité ne réside-t ’elle pas bien trop souvent dans les situations où prévalent le secret, l’abus de faiblesse, le silence de la loi, et finalement les mauvaises pratiques ?

Pasteur François Clavairoly

[1] Sur la question de l’euthanasie et du suicide assisté : « Éthique et protestantisme », éléments de réflexion, Fédération protestante de France, éd. Olivétan, 2021, préface de François Clavairoly et Marion Muller-Collard, postface de Jean-Louis Schlegel.

[2] Cette réflexion est tirée de l’ouvrage collectif Religion et fin de vie, sous la direction de Laëtitia Atlani-Duault, Fayard,  Paris, 2023. Les principaux cultes présents en France y développent leur point de vue.

[3] Cf. Un temps pour vivre, un temps pour mourir, texte de la Communion des Eglises protestantes d’Europe, CEPE, Vienne, 2011. www.leuenberg.eu.

[4] Cf. Pour davantage d’humanité en fin de vie, interpellations protestantes, Fédération protestante de France, 2023, www.protestants.org, p34.

[5] Cf. Peter L. Berger, L’impératif hérétique. Les possibilités actuelles du discours religieux. Ed. van Dieren, Paris, 2005. Le terme d’hérésie renvoie, par son étymologie, à la capacité de choix libre.

[6]Cf. Nathalie Maillard, La vulnérabilité, une nouvelle catégorie morale ?, Labor et Fides, Genève, 2011.

[7] Cf. Éthique, 4e édition, Labor et Fides, Genève, 1997

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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