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Afropéanité et conditions féminines

Programme colloque CARES-FUTP 19-20.10.22

Dans le cadre du lancement de son centre de recherche CARES (Centre for Afro-European and Religious Studies), la Faculté universitaire de théologie protestante de Bruxelles1 organise un colloque sur l’afropéanité, avec le soutien des communes de Bruxelles et d’Etterbeek et la participation exceptionnelle du Docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la paix en 2018 et de Madame Léonora Miano, écrivaine, qui recevront tous deux le doctorat honoris causa.

Sensible aux questions sociétales et aux axes promus par la cellule Égalité des chances de la commune de Bruxelles, le CARES propose d’examiner ce concept émergent d’afropéanité à travers le prisme spécifique des conditions féminines.

On s’interrogera à la fois sur les circonstances de son émergence, son développement, sa réception dans différents contextes et sur la manière spécifique dont les femmes d’ascendance africaine nées en Europe ou y ayant grandi participent à la construction et au déploiement de l’imaginaire afropéen.
Aborder les conditions des femmes par le paradigme de l’afropéanité permet-il de mieux analyser les constructions des rapports au corps, à la famille, à la religion, à la société ? Quels sont les contours de l’autonomie socio-économique et culturelle à laquelle les nouvelles générations afropéennes aspirent?

Le colloque explorera ces questions au travers d’approches multidisciplinaires et interdisciplinaires déployées autour de six axes distincts :

Axe 1 : condition afropéenne du point de vue des femmes

Le concept d’afropéanité dont le colloque s’attache à identifier la portée a déjà une histoire.
Il émerge dans des milieux artistiques vers la fin des années 1980 porté par les dramaturges d’ascendance africaine Koffi Kwahulé et Kossi Efoui et la décennie suivante, dans le milieu musical avec le label new-yorkais Luaka Bop de David Byrne. Celui-ci produit le premier album du groupe belge Zap Mama intitulé Adventures in Afropea dans lequel les artistes d’origine congolaise Marie et Anita Daulne se nomment afropéennes. A leur suite, d’autres promoteurs de l’afropéanité développent un discours afropéen et ainsi contribuent à la construction du concept2.
L’écrivaine et essayiste Leonora Miano présente la synthèse suivante : « est dite afropéenne une personne d’ascendance subsaharienne, née ou élevée en Europe. […] Les concernés sont avant tout dépositaires d’un vécu européen [mais aussi d’un héritage culturel africain qu’ils ne souhaitent pas congédier]3, ils ne connaissent que la vie en situation de minorité, l’existence d’un espace rétif à se reconnaître en eux » (Miano 2020 : 10,51).

Dans le cadre du lancement de son centre de recherche CARES (Centre for Afro-European and Religious Studies), la Faculté universitaire de théologie protestante de Bruxelles1 organise un colloque sur l’afropéanité, avec le soutien des communes de Bruxelles et d’Etterbeek et la participation exceptionnelle du Docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la paix en 2018 et de Madame Léonora Miano, écrivaine, qui recevront tous deux le doctorat honoris causa.

Sensible aux questions sociétales et aux axes promus par la cellule Égalité des chances de la commune de Bruxelles, le CARES propose d’examiner ce concept émergent d’afropéanité à travers le prisme spécifique des conditions féminines.

Dans le prolongement, le CARES à partir d’un cadre conceptuel élargi et décloisonné, désigne les Afropéen.ne.s comme des personnes « d’origine africaine subsaharienne et méditerranéenne, nées et/ou ayant grandi en Europe, porteuses d’un double héritage, européen et africain » (CARES 2022).

Le caractère encore flottant du concept est une invitation à en affiner et questionner les contours. C’est dans ce contexte que se pose par exemple la question de l’équivalence ou de la différence entre afro-européanité et afropéanité, l’une qui désignerait la juxtaposition des deux identités et l’autre leur fusion vers un horizon à définir. Cet axe ouvre donc un espace de débat entre des personnes qui adhèrent au concept et celles qui le contestent. Il interroge les possibilités et les modalités, du point de vue des femmes afropéennes, d’une rencontre entre engagement militant et pensée critique.

Axe 2 : dynamiques d’engagement dans les domaines économique, culturel et socio-politique
Les afropéennes s’inscrivent de façon innovante dans les différentes sphères de la société : économie, culture, politique, monde associatif, médias, etc. Entrepreneuses, actrices sociales et politiques, artistes, intellectuelles revendiquent une contribution active à la société. Cet axe vise à mettre en évidence les dynamiques individuelles et communautaires qui sont à l’oeuvre, les réseaux qui les portent, les buts poursuivis et les valeurs de référence – y compris religieuses – qui sont mobilisées. Ces dynamiques s’inscrivent au niveau national mais aussi dans une dimension transnationale orientée vers le continent africain.

Axe 3 : recomposition des modèles familiaux

La vision normative de la famille traditionnelle (père, mère, enfants), perd son hégémonie face aux configurations familiales récentes telles que la monoparentalité, l’homoparentalité, les familles recomposées. Selon l’office belge des statistiques (Statbel 2020), 45% des ménages privés en Belgique et plus de 58% en Région de Bruxelles- Capitale abritent des personnes seules ou des familles monoparentales. Cette métamorphose de la parentalité et de la filiation suscite inévitablement des mutations dans les schémas familiaux des afro-descendantes. Entre tradition, patrimoine culturel ou héritage religieux, ces femmes doivent composer avec la diversification de leurs appartenances. Cet axe fait état des enjeux culturels, religieux et politiques autour de la recomposition des modèles familiaux des afropéennes.

Axe 4 : discriminations, rapports au corps et enjeux de l’analyse intersectionnelle
A l’intersection des discriminations multiples (genre, classe sociale, religion, couleur de peau, origine ethno- raciale) vécues par les afropéennes, s’opèrent par effets de cumul et d’imbrication, des processus complexes et traumatiques d’invisibilisation, de minorisation, d’assignation, d’humiliation. Ces expériences d’oppression dès lors qu’elles sont nommées suscitent aussi résistances et répliques, de la contestation ouverte des hiérarchisations raciales et genrées aux multiples formes de subversion et de contournement, toutes porteuses d’agencéité (agency). L’intersectionnalité ici décrite est un outil d’analyse mais également une approche qui vise à donner la parole aux personnes discriminées. Cette dimension militante questionne les limites du paradigme interprétatif. Aux hiérarchies sociales et raciales se greffent les hiérarchies des corps et l’hypersexualisation du corps noir. Cet axe examinera les conditions intimes et collectives de gestion de la sensibilité, la sensualité, l’affectivité, la représentabilité, la trace mémorielle et la vulnérabilité spécifiques au phénotype noir féminin dans l’espace socioculturel occidental.

Axe 5 : figures féminines historiques et légendaires dans l’histoire africaine et des Afriques dans le monde
La construction d’un imaginaire afropéen telle qu’elle s’opère au sein des réseaux associatifs et artistiques, mobilise de nombreuses figures historiques et légendaires reliées à l’Afrique ou aux Afriques dans le monde. Des figures mythiques empruntées au monde biblique ou à la matrice égypto-nubienne, aux personnalités référentielles du panafricanisme éthiopianiste en passant par les célébrités noires de l’Afrique ancienne ou contemporaine, figures de la résistance à la domination coloniale ; toutes font l’objet de multiples constructions et déconstructions symboliques opérées par des virtuoses de l’identité africaine. Le cumul de ces narrations alternatives constitue une grande matrice historique et symbolique multiforme, sur laquelle peuvent se greffer et se construire des identités narratives individuelles.

En s’attachant à des figures féminines de référence : des modèles symboliques mythiques et légendaires, aux femmes historiques marquantes jusqu’aux influenceuses modernes qui inspirent la manière d’être femme afropéenne, on cherchera à identifier les modes d’inspiration et leurs enjeux dans la construction des identités individuelles et collectives.

Axe 6 : transmission religieuse et participation des femmes à l’autorité religieuse (islam et christianisme)
Les femmes afropéennes expérimentent un cumul de situations sociales et privées croisant à la fois le genre, les univers culturels, l’appartenance religieuse et la double ascendance (génétique et/ou culturelle) africaine et européenne. Située entre deux univers symboliques dont elle est supposée accueillir et transmettre les référentiels culturels et religieux, l’afropéenne négocie entre contrainte et subversion, tradition et innovation, sujétion et émancipation.
A quelles formes de participation et de leadership religieux les femmes afropéennes ont-elles accès ? Quelles sont les possibilités d’une autonomie sociale et religieuse au regard de traditions patriarcales ou matriarcales prégnantes ? Quelle place leur est accordée dans l’espace public les autorisant à habiter leur différence d’afropéennes croyantes engagées dans une transmission à la fois fidèle et porteuse d’ouverture et de dépassement d’une histoire confisquée ?
Au travers de ces six axes, le colloque veut réfléchir aux pistes d’élargissement de l’espace où les afropéennes nomment leur propre condition.
Les actes du colloque feront l’objet d’une publication.

1 La FUTP (FASE n°5222) est officiellement fondée en 1950 (elle reprend la tradition de l’Académie réformée de Gand du XVIème siècle, après 358 ans d’interruption, les premiers cours étant assurés à partir de 1942 dans Bruxelles occupée). La FUTP est reconnue par l’Arrêté royal du 4/3/1963 portant reconnaissance de la Faculté de Théologie protestante de Bruxelles, en exécution de la loi du 11/9/1933 sur la protection des titres de l’enseignement supérieur. La reconnaissance des titres qu’elle délivre a été confirmée par l’Arrêté du gouvernement de la Communauté française du 13/7/2016. Son subventionnement figure dans la loi du 27/7/1971 sur le financement et le contrôle des institutions universitaires (Art.46 §1). La FUTP est en relation avec diverses institutions universitaires au sein de la francophonie. Elle entretient des liens spécifiques avec l’Université Libre de Bruxelles (ULB) comme institution partenaire sur la base d’une convention signée en 2007.

2 Eva Doumbia, Johny Pitt, Marie-Julie Chalu, Maboula Soumahoro.

3 Pour les crochets : « Pour ses compagnons d’ascendance européenne unique, l’afropéen est un étranger, sommé de se justifier d’être parmi eux, d’être tout court. De plus, il est porteur d’un autre héritage culturel et ne souhaite pas le congédier. Si ce patrimoine ne réside en lui qu’à l’état de trace, tous les parents ne l’ayant pas transmis de la même manière, sa conscience de ses particularités le pousse à se construire de façon alternative, voire transgressive » – L. Miano, Afropea. Utopie post-occidentale et post-raciste, Paris, Grasset, 2020, p.51.

Programme colloque CARES-FUTP 19-20.10.22

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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