Éthique Théologie

Luther et le sacrement de pénitence

« Il n’existe pas dans l’Église de domaine qui n’ait autant besoin de réformes que la confession et la pénitence. C’est ici que se déchaînent le juridisme, l’appât du gain, la violence, la tyrannie, l’erreur ainsi qu’une infinité de périls et de malheurs pour les âmes et l’Église, ce dont les pontifes se soucient peu, abandonnant ce sujet aux sophistes, tortionnaires  des âmes. » (Luther)[1]

La Réforme luthérienne

Dès la publication le 31 octobre 1517 de ses quatre-vingt quinze thèses, qui devaient jouer un rôle majeur dans le déclenchement de la Réformation, Luther s’élevait contre la pratique courante des indulgences – en trompant le peuple, elles procuraient une fausse sécurité – et il mettait l’accent sur la sincérité du cœur et l’authenticité d’une vie chrétienne soucieuse du prochain. Les thèses s’ouvraient ainsi par une invitation à la pénitence : En disant « Faites pénitence », notre Seigneur et Maître Jésus-Christ a voulu que toute la vie des fidèles soit une pénitence (thèse 1), et elles s’achevaient par cette adresse : Il faut exhorter les chrétiens à s’appliquer à suivre leur chef, le Christ, à travers les peines, les morts et les enfers, et à espérer entrer au ciel par de nombreuses tribulations plutôt que par la fausse assurance que donne la paix(thèses 94 et 95). Déjà Luther y affirmait : N’importe quel chrétien, vraiment repentant, a pleine rémission de la peine et de la faute : elle lui est due même sans lettres d’indulgences. ((thèse 36)[2]

La réforme luthérienne ne va pas abolir la confession, mais sa signification est profondément réinterprétée à la lumière de la conviction centrale de la justification par grâce, par la foi seule. Sa pratique en est par conséquent transformée.

D’abord elle est libre, et relève du choix personnel du croyant :

« Au sujet de la confession, nous avons toujours enseigné qu’elle doit être libre. Et nous avons abattu la tyrannie du pape, de telle sorte que nous sommes tous affranchis de sa contrainte et délivrés de ce fardeau et de cette charge insupportable, imposés à la chrétienté. En effet, comme nous l’avons tous expérimenté, rien, jusque à présent n’était plus pénible  que l’obligation, faite à chacun, de se confesser, sous peine du péché mortel le plus grave ; en outre, on aggravait cela si fort, en martyrisant les consciences par l’énumération de tant de péchés, que personne ne pouvait se confesser assez purement. Et le pire était que nul n’enseignait ni ne savait ce qu’est la confession ou combien elle est utile et consolante ; au contraire, ils en faisaient uniquement un sujet d’anxiété et un supplice infernal, tellement qu’on devait nécessairement s’en acquitter, tout en lui répugnant plus qu’à tout.  A présent ces trois choses nous sont ôtées et il nous en est fait cadeau : nous n’avons plus à le faire par contrainte ni par crainte ; nous sommes déchargés également du supplice d’énumérer avec tant de précision tous nos péchés ; en outre, nous avons l’avantage de savoir comment on doit en user de manière salutaire pour la consolation et l’affermissement de notre conscience. »[3]

Si la confession a cette vertu d’apporter la consolation aux consciences, c’est que l’essentiel en est la parole d‘absolution, « La confession se compose de deux parties :

  • La première est notre œuvre et notre fait, à savoir que je me plains de mes péchés et demande la consolation et le réconfort de mon âme.
  • La seconde est une œuvre que Dieu fait : par la parole placée dans la bouche de l’homme, il m’absout de mes péchés ; ce qui est la partie principale et la plus noble, celle qui rend la confession douce et consolante. »[4]

Cette confession peut être faite auprès de tout croyant. S’adressant au clergé de son temps, Luther insiste : « qu’ils accordent, en toute liberté à tous les frères et à toutes les soeurs la faculté d’entendre la confession de fautes cachées, afin que le pécheur révèle son péché à qui il voudra, attendant de la bouche de son prochain le pardon et la consolation, c’est-à-dire la parole du Christ »[5].

« Lorsque quelque chose de particulier nous pèse ou nous inquiète, dont nous nous tourmentons sans pouvoir nous tranquilliser ni nous trouver assez forts dans la foi, nous pouvons nous en plaindre à un frère, chercher auprès de lui conseils, consolations et réconfort quand et aussi souvent que nous voulons….Elle (la confession) est laissée à la discrétion de chacun quel qu’il soit, afin qu’il en use quand il en éprouve le besoin. …Donc, lorsque un cœur sent ses péchés et qu’il est avide de consolation, il possède ici un sûr refuge où il trouve la Parole de Dieu et entend dire que Dieu, par le moyen d’un homme, le délivre et l’absout de ses péchés. »[6]

Outre cette confession, Luther souligne une double confession commune à tous les chrétiens : « lorsque on se confesse à Dieu seul, ou à son prochain seul, et qu’on demande pardon, confession qui est comprise dans le Notre Père. Bien plus,  le Notre Père entier n’est autre chose qu’une telle confession. En effet, qu’est-ce que notre prière, sinon que nous confessons que nous n’avons pas et que nous ne faisons pas ce que nous devons, et que nous désirons recevoir la grâce et une conscience joyeuse ? Une telle confession doit nécessairement avoir lieu sans interruption, tant que nous vivons. Car la vie chrétienne consiste à proprement parler, en ce que nous nous reconnaissons pécheurs et que nous demandons grâce. »[7]

Ainsi si Luther dénonce avec force les déviations et perversions auxquelles donne lieu la confession de son temps – la confession et la satisfaction sont devenues de vrais laboratoires de lucre et de jouissance – le sens de sa protestation n’est pas essentiellement là. Il est profondément théologique : tout le système de la confession porte atteinte au cœur même de l’évangile : l’annonce de la justification gratuite sola fide.

Ainsi la réforme luthérienne n’a pas aboli la confession, mais l’a profondément réformée.

C’est ce que déclare la Confession d’Augsbourg (1530) :

« La confession n’a pas été abolie par nos prédicateurs. Car chez nous on observe la coutume de ne donner le Sacrement qu’à ceux qui ont été préalablement examinés et absous. On enseigne avec soin au peuple combien la parole de l’absolution est consolante, à quel point il faut estimer l’absolution : celle-ci n’est pas la voix ou la parole du ministre officiant, mais la Parole de Dieu qui pardonne les péchés. »[8]

Luther soulignera maintes fois cette vertu consolante de la confession, comme attestation du pardon de Dieu : «  J’accorde beaucoup d’importance à la confession auriculaire, parce que la Parole de Dieu et l’absolution pour la rémission des péchés y sont prononcées en secret, pour chacun en particulier et aussi souvent qu’il le veut ; dans cette confession, chacun peut avoir pardon ainsi que réconfort, conseil et avis, en sort que c’est là une chose précieuse et utile pour les âmes dans la mesure où on ne l’impose à personne par des lois ou des commandements, mais où on laisse chacun libre d’utiliser cette confession selon ses besoins, quand et où il veut… »[9]

Luther ira même dans quelques textes faire de la pénitence un troisième sacrement à côté du baptême et de la Cène, non sans hésitation, puisque dans le même écrit  De la captivité babylonienne de l’Eglise, après avoir parlé du sacrement de la pénitence, il achève cet écrit en indiquant qu‘en toute rigueur il n’y a que deus sacrements, puisque la pénitence est dépourvue d’un signe visible divinement institué.[10]

[1] M.Luther : Défense de Martin Luther contre le jugement mal intentionné de Jean Eck, in Œuvres I, Gallimard, Pléiade, p. 1323.

[2] M. Luther, Op.cit. p. 135 -143.

[3] M. Luther : Le grand catéchisme, in A. Birmelé et M. Lienhard (éd.) La foi des Eglises luthériennes. Confessions et catéchismes. Paris/ Carf et Genève/ Labor et fides 1991, p.407.

[4] Id. p. 408.

[5] Œuvres I, p. 787.

[6] Grand Catéchisme, op.cit. p. 408.

[7] Id. p.407_408.

[8] La foi des Eglises Luthériennes, p69.

[9] De la Cène du Christ. Confession, Œuvres, II, p.360.

[10] Prélude sur la captivité babylonienne de l’Eglise, in Œuvres I, p.711s. Voir en particulier p. 717 et 822.

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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