Éthique Théologie

Europe : craintes et espérance Christian Albecker

Nos convictions européennes en tant qu’Eglises protestantes en Alsace et en Moselle sont profondes et anciennes. Elles se fondent sur :

  • La géographie: en tant que région frontalière, nous nous percevons comme une Eglise-pont ou passerelle, entre le monde latin et le monde germanique, qui ont tous deux marqué notre identité. Les collaborations avec les Eglises voisines de Bade et du Palatinat sont concrètes et constantes. Un exemple : la création d’une communauté protestante franco-allemande à Strasbourg dans le quartier du Port du Rhin : la chapelle protestante reconstruite après-guerre devient « chapelle de la Rencontre », avec deux pasteurs, un allemand et une française, dans un quartier nouveau qui à terme comptera 15 à 20 000 habitants.
  • L’histoire: le vécu douloureux de la région (mes deux grands-pères ont été soldats allemands lors de la 1re guerre mondiale et mon oncle enrôlé de force dans la Wehrmacht durant la 2e guerre) a conduit les Eglises protestantes à prendre très tôt des initiatives contribuant à la réconciliation. Ainsi, mon lointain prédécesseur Etienne Jung a réuni en 1961 les présidents et évêques protestants des Eglises voisines, ce qui a conduit à la création de la Conférence des Eglises Riveraines du Rhin (CERR). Celle-ci, que j’ai l’honneur de présider, regroupe aujourd’hui 14 Eglises protestantes régionales, de l’Autriche à la Rhénanie, en passant par la Suisse, l’Alsace-Moselle, le Bade-Wurtemberg et le Palatinat, représentant environ 8 millions de protestants. Nous partageons régulièrement réflexions et projets, et avons publié plusieurs textes d’orientation, en particulier sur l’immigration. Sur le plan politique, la présence à Strasbourg des institutions européennes (Conseil de l’Europe, parlement européen, cour européenne des droits humains) constitue évidemment un symbole fort.
  • La théologie : la Concorde de Leuenberg, qui est la base théologique de la communion ecclésiale entre luthériens et réformés d’Europe, a été signée en 1973 grâce à l’engagement du Professeur Marc Lienhard, et à sa suite la Professeure Elisabeth Parmentier, tous deux de la Faculté de théologie protestante de Strasbourg. Ils sont les dignes héritiers du réformateur strasbourgeois Martin Bucer qui a sillonné l’Europe et n’a eu de cesse de tenter de réconcilier les courants antagonistes de la Réforme.

Mais aujourd’hui, nous partageons les craintes qui se font jour partout en France et en Europe. Le thème de la paix ou des droits humains, qui avaient pratiquement disparu de nos préoccupations, tant il semblait évident que les horreurs des conflits passés nous protègeraient à jamais d’un retour à la violence et à la barbarie, reviennent sur le devant de la scène. C’est que les générations qui ont vécu ces conflits se sont éteintes, et que la mémoire du passé n’alimente plus suffisamment la pensée et l’action d’aujourd’hui. Le devoir des Eglises est donc en particulier de faire mémoire : « Souviens-toi… ! ». C’est une injonction biblique fondamentale. Souvenez-vous, Alsaciens et Mosellans, ceux d’entre vous qui font des immigrés les boucs émissaires, souvenez-vous que vous avez été vous-mêmes exilés en 1939-40, lorsque 200 000 d’entre vous ont été jetés sur les routes pour être évacués dans le Sud-Ouest. Souvenez-vous que c’est pour vous qu’a été créée la Cimade (Comité Inter Mouvements Auprès Des Evacués) …

Les replis identitaires, les communautarismes de toutes obédiences, les nationalismes et extrémismes de tout poil prospèrent sur le lit d’une Europe perçue comme lointaine et technocratique. Lorsque les lois et les normes prolifèrent, c’est qu’on a perdu le sens des finalités : pour quoi ? Notre pays, et l’Europe avec elle, n’échappe pas à cette tentation technocratique, où de bonnes lois peuvent être perçues comme des contraintes insupportables s’ajoutant à toutes les autres. L’exemple du passage à 80 km/h pour les limitations de vitesse en est un bon exemple : c’est une bonne loi, puisqu’elle est susceptible de sauver de nombreuses vies humaines. Elle n’est perçue que comme un flicage de plus, parce que la finalité n’apparaît plus. Les réseaux sociaux, qui constituent un terrible danger de « communiquer en rond » font le reste. Le mouvement des gilets jaunes est sans doute né sur de telles perceptions.

L’UEPAL s’efforce de porter la voix de l’invitation au dialogue et au débat, la voix des valeurs évangéliques de liberté, de responsabilité et de solidarité dans un monde multipolaire et multireligieux. Elle espère voir aboutir enfin un projet d’Education au Dialogue Interreligieux et Interculturel (EDII), dans le cadre de l’enseignement religieux au collège et au lycée, en accord avec les cultes statutaires catholique et israélite, mais aussi avec les musulmans et les bouddhistes. Elle favorise le dialogue interreligieux, comme lors de la marche symbolique franco-allemande qui a fait se rencontrer, le 11 novembre dernier, près de 600 personnes de 8 religions différentes sur la passerelle des Deux Rives au-dessus du Rhin. Pour l’échéance des élections européennes, elle a choisi de s’associer à une démarche commune des Eglises protestantes d’Alsace-Moselle, de Bade et du Palatinat, qui proposent un texte de réflexion commun sur 6 thèmes importants pour l’Europe : la paix, la justice sociale, la justice climatique, la liberté individuelle et les droits humains, les diversités régionales et culturelles, l’Etat de droit et la subsidiarité. Ces 6 thèmes sont proposés pour accompagner les 6 dimanches du Carême, en lien avec les textes bibliques du jour.

Nos craintes sont sans doute légitimes, mais elles doivent être dépassées par la confiance et l’espérance dans le Christ ressuscité, qui nous précède sur le chemin de la vie !

Christian ALBECKER

Président de l’UEPAL

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Christian Albecker

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