DISPARITION Grande figure de la théologie protestante libérale francophone, André Gounelle est mort le 4 mai à Montpellier, à 91 ans. Pasteur, professeur de théologie systématique, spécialiste de la pensée de Paul Tillich, il était aussi profondément bon.
Le théologien Laurent Gagnebin lui rend hommage. Il ne s’agit pas ici d’évoquer, ne serait-ce que sous la forme d’une esquisse, les différents aspects de la très riche pensée théologique philosophique d’André Gounelle, mais d’en dire plutôt une marque essentielle qui la rend si profondément attachante.
Ce qui frappait le lecteur et la lectrice de chacun de ses livres, si nombreux et stimulants, c’était leur générosité. André Gounelle était un théologien particulièrement attentif aux autres. Remarquable pédagogue, il savait merveilleusement simplifier sans appauvrir, analyser sans trahir ou déformer, écouter sans se mettre en avant. Théologien d’un protestantisme libéral et ouvert, lutteur pour un libéralisme qu’il voulait évangélique, il savait entendre et faire entendre ; il avait le don du dialogue.
Ses contradicteurs ont ainsi plus d’une fois salué et dit leur reconnaissance à celui qui, selon
eux, avait su rendre compte de leur démarche avec fidélité et sans inutile agressivité. Auteur original et penseur libre, André Gounelle excellait dans la présentation des œuvres de l’histoire théologique. Son dernier livre, Théologie du protestantisme, véritable monument auquel il venait de travailler pour une édition augmentée à paraître prochainement, est le témoin de cette générosité créatrice.
Le théologien attentif restait toujours à la fois lecteur et auteur : lecteur généreux, certes, et
simultanément auteur clair et original. Sa place dans le paysage théologique d’expression française est unique. Sa générosité a fait de lui un traducteur d’une qualité exceptionnelle, le diffuseur infatigable et le commentateur inégalé de l’œuvre de Paul Tillich, l’introducteur aussi, en, terres francophones, et cela avec Bernard Reymond, de la théologie du Process. L’expression du « dynamisme créateur de Dieu » est devenue aujourd’hui une donnée (et dans donnée il y a « don ») largement partagée. Rares sont celles et ceux, parmi les personnes que la théologie et les questions religieuses intéressent, qui n’ont pas le bonheur d’avoir dans leur bibliothèque un livre d’André Gounelle jugé par eux indispensable, particulièrement important et enrichissant.
La générosité d’André Gounelle se manifestait dans sa gentillesse. Cette dernière n’était pas une espèce de mollesse un peu facile et sans aspérité, mais une exigence qui reconnaissait, sans le moindre esprit de supériorité, l’importance de ses interlocuteurs. Une amie me disait récemment combien, quand à l’occasion d’une conférence on se trouvait au moment du repas à la même table que lui, on pouvait, en simple amateur, comprendre ses réflexions et y prendre part. On se sentait alors reconnu et participant.
André Gounelle avait beaucoup d’humour et aimait raconter des anecdotes savoureuses. Il ne pontifiait pas, alors qu’il aurait pu le faire. Attentif aux autres, il savait répondre avec beaucoup de finesse et de clarté, d’humanité, à chacune et chacun, prenant au sérieux nos interrogations et expériences personnelles.
Un christianisme crédible
La générosité d’André Gounelle se manifestait à travers sa volonté de parler à et pour ses contemporains. Il défendait inlassablement un christianisme crédible. À l’écoute de celles et ceux que les intransigeances dogmatiques et des enfermements dans des définitions d’un autre âge décevaient, il ouvrait des fenêtres et parlait pour notre temps. Ce théologien de grande classe et d’une rare envergure aurait pu se cantonner dans le seul cadre universitaire. Mais ses œuvres dépassent les frontières académiques. Ses démarches aident les uns et les autres à s’affranchir de doctrines autoritaires ou inintelligibles. André Gounelle n’avait pas son pareil pour ouvrir des perspectives et « penser la foi », comme le dit le titre de l’un de ses livres les plus remarquables. Penser la foi, certes ; mais aussi la repenser. Sa pensée n’a rien de figé et nous tourne vers l’avenir, nous donne du courage. J’aime que les dernières lignes qu’il a écrites avec sa Théologie du protestantisme soient pour dire que l’essentiel est que la parole et la grâce de Dieu « nous interpellent, nous travaillent, nous transforment, nous mobilisent, nous fassent avancer ». C’est magnifique que le dernier mot de son œuvre théologique ne soit pas véritablement le dernier puisqu’il s’agit précisément là d’un dépassement : « avancer ». Toujours et encore.
LAURENT GAGNEBIN
Les derniers ouvrages d’André Gounelle (éd. Van Dieren) :
Après la mort de Dieu, 2023.
Théologie du protestantisme, 2021.
Dieu encore et toujours, 2019.
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