Rien n’est plus difficile que d’être reconnaissant,
dans un peuple comme le nôtre où l’on a :
le salaire fier, le pourboire spontané, l’entraide réciproque.
Dans un monde poli qui dresse bien à mériter ce qu’on reçoit, à rendre la pareille, à offrir des fleurs.
Sous une morale qui proclame : toute peine mérite salaire, les parents boivent, les enfants trinquent. Le ciel te le rendra.
Rien n’est plus difficile que d’être vraiment reconnaissant parce que nous sommes tous des marchands.
Des marchands de travail.
Des marchands d’affection.
Des marchands de piété.
Des marchands d’éducation.
Heureux ceux qui laissent monter en eux le mouvement de refus : « assez de ce commerce ! »
Heureux ceux qui ont faim et soif de gestes d’amour à sens unique.
Heureux ceux qui n’aiment pas leur prochain contre-remboursement.
Heureux ceux qui se découvrent frères et sœurs, et non pas débiteurs.
Heureux ceux qui ne font pas payer « à la sortie » après avoir affiché « entrée gratuite ».
Heureux ceux qui ne se convertissent pas pour un casse-croûte ou une bonne place.
Et surtout, heureux, heureux ceux et celles qui puisent à la source du seul geste libre, du seul geste gratuit, du seul geste consenti librement et gratuitement, que nos yeux ont contemplé au bout d’une croix où les criminels « payaient leur dette à la société ».
Le frère trahi, le juste jugé, le saint condamné, et moi, le pécheur, reconnaissant.
Guy Bottinelli
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