Théologie

Espérance

LE PARADIGME DE L’ESPÉRANCE

Espérer, c’est partir. Partir vers un ailleurs promis. La promesse est donc le moteur de l’espérance qui, elle, nous rend impatients et même rebelles. On ne s’accommode plus de la réalité, on la met en question au nom de l’espérance, on veut la dépasser. L’espérance est toujours quelque peu transgressive. Espérer, c’est aller au-delà, franchir le seuil de ce qui existe au nom de ce qui n’existe pas encore. Par l’espérance, la promesse devient un projet, être soi-même projeté.

LE MYSTÈRE DE L’ESPÉRANCE

L’espérance naît de la promesse, elle est fille de la promesse. L’espérance n’est pas notre réponse à la crise, elle est notre réponse à la promesse.

L’espérance se greffe toujours dans des situations concrètes, dans des destinées humaines. Tout peut devenir objet de l’espérance, le ciel et la terre, la chair et l’esprit, le présent et l’avenir. Il n’y a rien qui soit trop matériel pour que l’espérance s’en occupe (le pain, la santé, le logement, le travail). Il n’y a rien qui soit trop spirituel pour que l’espérance ne puisse le saisir (le pardon des péchés, le salut, la vie éternelle, la résurrection). L’espérance est un carrefour où notre âme, notre corps, se donnent rendez-vous.

Besoins, désirs, rêves, attentes, tout cela mêlé dans l’espérance, mais son moteur caché est la promesse. Promesse de quoi ? Dans l’Ancien Testament, c’est la promesse de la terre, dans le Nouveau, c’est la promesse « de mieux encore ». Dans la lettre aux Hébreux nous lisons : « Puisque Dieu prévoyait pour nous mieux encore … » (Hb 11, 40).

Voilà la racine de l’espérance : non pas le mieux que nous pouvons prévoir et souhaiter, mais le mieux que Dieu lui-même prévoit pour ses créatures. Espérer, c’est croire que « Dieu prévoit mieux pour nous ». Voilà la racine de l’espérance. Cette prévision du mieux, c’est ce qu’on pourrait appeler « l’espérance de Dieu ». C’est elle la racine de notre espérance.

Qu’est-ce que cela veut dire pour un monde en crise ? Cela veut dire que si notre espérance a cette racine – l’espérance en Dieu – si elle est Dieu prévoyant mieux encore pour nous, alors cette espérance est le rocher sur lequel on peut bâtir le « projet meilleur » prévu par Dieu. Rien ne pourra la vaincre, la décourager- ni échec, ni déception, ni trahison – tant que dure l’espérance de Dieu. En d’autres termes, il n’y a aucune crise du monde ou de l’Église à l’intérieur de laquelle il n’y aurait plus rien à espérer, où il n’y aurait à espérer mieux.

LE CONTENU DE L’ÉSPERANCE

Le contenu de l’espérance est grand comme la somme de toutes les détresses, les misères, les privations de l’humanité. Il est aussi varié que les rêves, les attentes, les soupirs de l’humanité et de toute la création. Le contenu de l’espérance, c’est le pain si tu as faim, le vêtement si tu es nu, un prochain si tu es seul, une patrie si tu es exilé, un travail si tu es chômeur, un accueil si tu es immigré, la liberté si tu es prisonnier, la santé si tu es malade, le pardon si tu es coupable, la grâce si tu es condamné.

Jésus appelait tout cela et d’autres choses encore le Royaume de Dieu. Le Royaume de Dieu est l’utopie qui n’en est pas une ! Car c’est le Royaume des espérances accomplies, le lieu de la réalisation des espérances, c’est là où le « non-lieu » de l’utopie a lieu ! La chaîne brisée, la liberté recouvrée, le pardon reçu, la grâce octroyée, la blessure soignée, la paix scellée, l’amour partagé, le pain distribué, la soif désaltérée, la joie libérée, le pauvre invité, le riche converti, le malade guéri, le mort ressuscité. C’est cela que nous espérons. Nous espérons tout pour tous. Le possible et l’impossible, le probable et l’improbable, le vraisemblable et l’invraisemblable. La résurrection des morts qui est au cœur de notre foi autorise toute espérance, même la plus hardie. Il nous faut rendre hardie notre espérance. Il ne faut pas craindre de trop espérer, il faut craindre uniquement d’espérer trop peu.

REDUIRE LES DISTANCES

Mais notre thème contient une précision importante : utopie pour un monde en crise. Espérer pour ! Comment cela est-il possible ? On peut espérer pour si on espère avec. Mais pour espérer avec, il faut s’approcher de celui qui n’espère pas encore, ou n’espère plus. On ne peut pas espérer pour un monde en crise et ne pas s’approcher de ce monde en crise. On ne peut pas espérer pour les drogués et garder les distances de leur monde, on ne peut pas espérer pour les immigrés et garder les distances par rapport à eux.

Espérer veut dire réduire les distances, abréger le chemin, rendre proche ce qui est lointain. Espérance implique proximité. Espérance implique compagnonnage. Espérance implique partage. C’est le point central de tout mon discours.

Partager quoi, chers amis ?

Non pas avant tout nos certitudes mais les inquiétudes de notre génération.

Non pas avant tout nos richesses mais la pauvreté de ceux qui n’ont rien. Non pas avant tout notre espérance mais le désespoir avec les désespérés.

En un mot : non pas avant tout ce que nous avons, mais ce que les autres n’ont pas !

Telle est la clé de l’espérance pour le monde. Partager notre confiance après, seulement après avoir partagé son inquiétude, partager notre foi seulement après avoir partagé son incrédulité, partager notre espérance seulement après avoir partagé son désespoir. Espérance pour un monde en crise. Toute autre espérance n’est qu’un rêve à bon marché.

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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