Michel Freychet ou la traversée d’un siècle…

C’est sous le signe de la main invisible de Celui qui conduit son existence que Michel Freychet rassemble dans cet ouvrage les souvenirs d’une vie infiniment belle et féconde. Comme dans toute vie, les épreuves et les temps difficiles ne manquent pas mais ce que l’on retient, c’est la gratitude. Michel est un homme de la gratitude. On peut dire en effet que l’éthique de sa vie tout entière est une éthique de la gratitude. C’est l’éthique de celui qui reçoit sans avoir à se justifier d’exister et qui tire merveilleusement confiance et liberté de ce qu’il reçoit. Dans tout ce qu’il a reçu, Mizou est un cadeau. Elle partage sa vie et sa gratitude depuis le 27 juillet 1957.

Le temps de l’enfance

C’est avec l’histoire de l’enfance que Michel Freychet commence sa traversée du siècle. Il est profondément marqué par ses parents. Son père était directeur de la Société des Caves de Roquefort et fut en Aveyron-Lozère une grande figure de la résistance.  Arrêté et torturé par la Gestapo à Rodez, il est déporté à Buchenwald et sera libéré en avril 45. Sa mère était une femme solide et forte. Elle soutenait en silence les actions de son mari et représentait pour les enfants un ancrage affectif puissant. Michel a eu six frères et sœurs. Il est lui-même l’avant dernier, né le 10 juillet 1930, à Roquefort-sur-Soulzon. Son récit de l’enfance nous fait voyager dans la géographie familiale à Roquefort-sur-Soulzon, Sommières, Le Chambon-sur-Lignon, l’Espérou, Mens, Dieulefit, le Lavandou, Palavas les Flots, etc. 

Le temps des études

En 1951, c’est à Montpellier que Michel entrera à l’École Nationale d’Agriculture pour y conduire des études d’ingénieur agronome. Ce sont des années heureuses pendant lesquelles l’apprenti agronome tisse des liens forts avec l’Église de Montpellier. Il fut ainsi amené à fréquenter les pasteurs de Montpellier (Jean Pellegrin, Roger Chapal, Georges Crespy) et à bien connaître la Faculté de théologie et plusieurs de ses étudiants parmi lesquels Gérard Delteil.  En 1954, aux environs de Pâques, Michel est saisi par un irrésistible appel. Il raconte cet épisode comme s’il s’était agi d’un véritable combat. Ce fut son gué du Yabbok. « Toute une nuit, je demeurai éveillé sur mon lit. J’éprouvai une singulière présence au plus profond de mon être comme si une main invisible se posait sur moi et me saisissait... ». Ce fut une nuit déterminante. Michel s’engage alors dans une longue formation en vue du ministère pastoral. Il fut accompagné à la Faculté de théologie par des professeurs à l’égard desquels il conserve respect et gratitude : Wilhelm Vischer, Philippe H. Menoud, Georges Crespy, René H. Esnault, Henry Leenhardt, Lucien Rimbault, Jean Cadier, Pierre Petit.

Le temps des ministères

Michel Freychet poursuit son récit en évoquant ensuite les différentes étapes de son ministère. Au retour de l’Algérie où il fut aumônier dans le cadre du service militaire, il était nommé à Épinal (1962-1968), puis à Montpellier (1968-1984), puis au service des relations œcuméniques (Conseil Permanent Luthéro-Réformé puis Fédération Protestante de 1984 à 1992), et pour finir le projet Apollos dans les Cévennes (1992-1995). Le récit est précis. Il fourmille d’anecdotes, d’événements, de rencontres, de visages. C’est l’histoire d’un parcours personnel mais c’est aussi bien plus que cela ! C’est une page passionnante de l’histoire de nos Églises dans la deuxième moitié du XX° siècle. À Épinal, on croise la figure de Karl Barth ; à Montpellier, on revit l’histoire épique de l’occupation du temple de Maguelone et de l’engagement de l’Église auprès des immigrés ; à Paris, on revisite l’histoire de l’œcuménisme depuis Vatican II (un tome sur l’œcuménisme est à suivre) ; en Cévennes, on est plongé dans l’histoire des ministères innovants de l’Église.  Alors, merci Michel pour ce beau travail de mémoire. C’est un récit qui résonne très fort dans le cœur de nos existences.

Alain Rey

Michel Freychet : Sous la main invisible,  Traversée d’un siècle entre ombre et lumière – 1930-2020, Éditions & Régions, 2020, La Bouquinerie, ou chez l’auteur, 528 p., 39 €.