Théologie

Aller au-delà des apparences

Mon premier contact avec la Nouvelle-Calédonie fut rude et incertain. À peine arrivés, avec mon épouse, en février 1988, pour enseigner dans un collège protestant sur l’île de Maré, le Directeur de l’enseignement d’alors nous prévenait que nous devrions peut-être repartir en métropole tant la situation politique était instable. De fait, cette année et la suivante ont été terribles avec l’assaut des forces armées françaises dans la grotte d’Ouvéa, puis, un an après, l’assassinat de Jean-Marie Tjibaou et Yeiwene Yeiwene, dont les enfants fréquentaient notre collège…

Pourtant nous avons été accueillis, formidablement, malgré les circonstances, non comme des « Français » venus en conquérants, mais comme des frères et sœurs de l’Église universelle, lointains successeurs de ces missionnaires du XIXe siècle partis de chez eux en laissant ceux qu’ils aimaient au nom d’un amour plus grand. Ce fut la première leçon de ces trois années : la foi, la fraternité et l’hospitalité propre à ce qu’on désigne sur place du terme générique de « la coutume », cet échange cérémoniel de paroles et de biens, ont été plus fortes que la politique et le poids de l’histoire coloniale. Bien sûr il y eut des périodes de tensions, des regards et parfois des attitudes menaçantes mais ils n’ont jamais toutefois altéré notre vie et notre bien-être, au point que notre premier enfant est né sur cette terre calédonienne.

Puis ce fut une deuxième expérience, 13 ans après, comme enseignant à l’Ecole pastorale et avec une famille agrandie. Bien sûr, l’objectif était l’enseignement, mais la vie en communauté propre au campus, où les enseignants et les étudiants vivent 10 mois de l’année en permanence avec leurs familles, a constitué la deuxième leçon : impossible de faire passer un savoir, si l’on n’est pas en adéquation avec un certain savoir-vivre, voire un authentique et exigeant savoir-être. Ainsi la découverte peut-être la plus marquante de ces 5 années de ministère aura sans doute été l’importance de l’attention portée à la relation. Relation à Dieu et à l’Église avec ses traditions, relation aux ancêtres, relations entre chefferies, familles et clans, relation entre personnes. Sans doute est-ce un tropisme des insulaires ou des montagnards : on a toujours besoin de l’autre à un moment ou à un autre tant les conditions de vie – maladies, cyclones, tsunamis – peuvent tout faire basculer rapidement, malgré la technologie et les moyens de communication moderne.

Cette culture insulaire de la survie explique en grande partie l’émergence de cette « coutume » qui, vue de l’extérieur peut paraître pesante, écrasante, rétrograde, voire pour certains protestants évangéliques opposée à l’Évangile, mais qui, pour peu que l’on tente d’en découvrir les codes – un vrai défi ! – apparaît au fil de l’histoire du peuple kanak comme ce qui permet, malgré les guerres, assassinats, spoliations, trahisons diverses, de renouer et de maintenir la relation.

Ajoutons enfin que plusieurs séjours dans les îles voisines du Pacifique ont confirmé cette impression : celui ou celle qui veut faire passer un savoir est souvent jaugé sur sa façon de soigner ses relations et de participer aux cérémonies culturelles et religieuses si particulières. C’est ainsi que l’enseignant a été enseigné, ayant « désappris » pour mieux ensuite apprendre. C’est ainsi que le pasteur comprend tout à coup existentiellement cette belle parole : « tu es docteur en Israël et tu ne sais pas ces choses ? »…

Gilles Vidal

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