Libres propos

Mon engagement pour la paix au Moyen-Orient, par Ernest Reichert

Wingen sur Moder, le 3 octobre 2022

Chers collègues retraités,

A la demande de Geoffroy Goetz, je vais essayer de vous dire en deux pages les raisons de mon engagement pour la thématique « Israël-Palestine », et voudrais d’entrée préciser une chose importante trop souvent négligée : il ne s’agit pas d’abord d’un « conflit », mais de l’occupation d’un pays par un autre au mépris du droit international et de nombreuses résolutions des Nations Unies. Je vois mal comment une telle situation pourrait laisser indifférent quelqu’un qui se dit chrétien.

Permettez-moi de signaler d’emblée quelques réalités que personne ne devrait ignorer et qui ne devraient pas non plus, à mon avis, nous laisser indifférents :

  • Beaucoup de Palestiniens (750 000) ont été chassés en 1948 des lieux où eux et leurs familles ont vécu depuis des siècles et n’ont jamais eu le droit d’y revenir, malgré de nombreuses résolutions des Nations-Unies et la promesse d’Israël de les respecter, et près de 500 villages palestiniens ont alors été détruits pour éviter que leurs anciens habitants n’y reviennent. Souvent aussi, ces demeures ont été occupées par de nouveaux arrivants juifs.
  • L’État de Palestine qui a été promis et prévu par la décision des Nations-Unies de 1947 n’a jamais pu exister comme État vraiment indépendant. L’État d’Israël y contrôle tout et ses forces armées y pénètrent partout. Près de 140 États du monde ont reconnu l’État de Palestine, mais pas ceux qui ont le plus d’influence au niveau mondial.
  • Même à l’intérieur du territoire israélien, les citoyens palestiniens sont de fait des citoyens de seconde zone, avec moins de droits et moins d’aide publique pour leurs communautés que ce dont bénéficient les communautés juives.
  • Beaucoup de zones du pays leur sont refusées comme lieux d’habitation, les permis de construction aussi leur sont le plus souvent refusés, ce qui fait que beaucoup ont dû construire sans permis et vivent sous la menace permanente de la destruction de leur logement. La menace peut devenir réalité d’un jour à l’autre, et ce sont alors les propriétaires qui doivent payer les grosses factures de démolition. Pour les éviter, beaucoup préfèrent détruire eux-mêmes la maison pour laquelle ils ont économisé des années durant.
  • Les Palestiniens ne peuvent pas non plus circuler où ils veulent : nombre de routes leur sont interdites et réservées aux seuls Juifs.
  • Leurs terres sont de plus en plus transformées en zones de tir pour l’armée, ou en réserves naturelles, en parcs d’attraction, parfois à connotation religieuse comme la « Cité de David », sans consulter ni même informer leurs propriétaires, l’intention étant de les faire partir.
  • Les sources et les réserves d’eau, vitales, sont entièrement accaparées par l’État d’Israël, beaucoup de citernes d’eau ont été détruites ou rendues inutilisables, et les Palestiniens en sont réduits à acheter l’eau de leurs propres territoires à des fournisseurs israéliens et à la payer de 5 à 10 fois que ce que payent les citoyens israéliens juifs.
  • Les décharges et les rejets polluants par contre sont souvent transférés dans les territoires palestiniens occupés.
  • Le nombre de colons israéliens juifs installés à Jérusalem-Est[1] et dans les territoires palestiniens ne cesse d’augmenter. Ils sont plus de 750 000 aujourd’hui. Les avant-postes des colonies sont souvent illégaux même face à la loi israélienne, mais ils sont systématiquement protégés par l’armée israélienne. Les habitants de ces colonies disposent d’eau pour arroser leur gazon et remplir leurs piscines alors que leurs voisins palestiniens connaissent les pénuries d’eau déjà mentionnées. Et quand les colons juifs agressent ou vandalisent les propriétés palestiniennes, ils sont accompagnés et protégés par l’armée israélienne.
  • Environ 35 villages bédouins du Néguev ne sont pas reconnus par Israël, alors que soit ils existaient déjà avant la création de l’État d’Israël, soit que c’est là qu’ils ont été déplacés en 1948. Ces villages ne figurent donc sur aucune carte, ne sont pas approvisionnés en eau et en électricité (même si les conduites les traversent), n’ont pas accès aux routes qui passent à côté d’eux, et sont constamment menacés de destruction, et pour certains régulièrement détruits …puis reconstruits par leurs habitants. L’un d’eux a été détruit plus de deux cent fois.
  • La police fait régulièrement des descentes en pleine nuit dans les logements des Palestiniens, terrorise les familles, met tout sens dessus-dessous, emmène des adultes et des enfants en détention, souvent sans même indiquer de motifs pour leur arrestation ni le lieu de celle-ci.
  • Il existe un régime de « détention administrative » qui permet de garder les Palestiniens en détention pour une durée de six mois indéfiniment renouvelable, sans indiquer les raisons de l’arrestation, donc sans permettre de procès, le recours à un avocat. Etc. etc. etc.

C’est pour toutes ces raisons que ce système de type colonial a fini par être qualifié de système d’apartheid[2]. Cela scandalise nombre de personnes, mais il est bon de noter 1) que ce sont des ONG de bonne réputation comme Amnesty International et Human Rights Watch, et même avant elles une grande ONG juive israélienne, B’Tselem, qui ont ainsi qualifié la politique israélienne, et 2) que selon des personnalités aussi respectables que le regretté Desmond Tutu, le régime imposé aux Palestiniens est bien pire que celui qu’ont connu les Sud-Africains non blancs avant que ce système n’ait été aboli chez eux au siècle dernier.

Ceci est l’occasion aussi de dire qu’il existe en Israël même, au sein de sa population juive, des groupes qui contestent très fortement la politique de leur propre gouvernement, et qui souvent collaborent avec des Palestiniens, mais que ces groupes restent malheureusement minoritaires. Beaucoup ne s’intéressent pas à ce que vivent les Palestiniens, et les Israéliens n’ont officiellement pas le droit d’aller voir sur place, dans les territoires occupés, ce qu’il en est vraiment.

Pourquoi personnellement je m’intéresse et m’engage pour cette cause ? La première raison de mon engagement est tout simplement mon désir d’être un témoin crédible de Jésus-Christ dans tous les domaines de la vie, de prendre au sérieux son commandement d’aimer son prochain, là surtout où il est ignoré, méprisé, persécuté, et où tout est fait pour qu’il disparaisse. Un commandement d’ailleurs déjà mentionné dans la Torah, avec le souci du respect de la dignité de tout humain jusqu’aux extrémités de la terre.

Ce qui a joué aussi, c’est tout mon vécu au Proche-Orient, où la problématique israélienne a été évoquée par le secrétaire général du Conseil des Églises du Moyen Orient dès ma toute première visite en 1982, et où j’ai souvent été témoin des exactions israéliennes au mépris de tout ce que l’on peut appeler « droit international » ou simplement « respect de l’autre ». Le sujet a été présent dans quasi toutes les rencontres de partenaires d’Églises, localement et internationalement.

Une autre chose qui a joué, c’est le souvenir de rencontres aux États-Unis dès 1967, et la prise de conscience de l’existence d’un « sionisme chrétien » chez beaucoup de membres engagés dans nos paroisses ici : des gens pleins de bonne volonté mais souvent insuffisamment informés. Et puis aussi les rencontres et le partage avec des responsables d’Églises du Proche-Orient, les appels que les membres et les responsables de ces Églises nous ont adressés, à commencer par l’appel Kairos « Un moment de vérité » de 2009 auquel nos Églises n’ont jamais daigné répondre, et les nombreux appels qui ont suivi, les informations régulièrement partagées dans la Vague de prière de Sabeel, les prises de position d’autres Églises dans le monde…

En tout cela mon premier souci n’est nullement de défendre la Palestine et encore moins l’Autorité Palestinienne, mais simplement ( !) de donner consistance à cette « Église universelle » que nous confessons si souvent, et si légèrement parfois, et qui ne cesse de nous interpeler. Entre autres dans le domaine Israël-Palestine.

Ernest Reichert

[1] Selon le plan de partage des Nations-Unies, tout le secteur de Jérusalem-Bethléem devait être un territoire à part, neutre, hors des limites des deux États prévus. Israël n’en a jamais tenu compte et n’a jamais été inquiété pour cela.

[2] A noter que le système d’apartheid est aujourd’hui officiellement reconnu par le droit pénal international comme crime contre l’humanité, et est donc bien plus qu’une référence à ce qui avait cours en Afrique du Sud au siècle dernier.

À propos de l'auteur

mm

Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.