François BOULET, Patrick CABANEL
Introduction
Marc Boegner biographe de Tommy Fallot : quelques remarques
Marc Boegner a consacré deux livres à son oncle Tommy Fallot, l’initiateur en France du mouvement du christianisme social. Dans un premier temps cet article montre la méthode que M. Boegner a utilisée pour présenter celui qui fut son « père spirituel » ; de fait, il a eu recours à de très nombreuses citations, car il a voulu « faire parler Fallot ». Ensuite, à l’aide de quelques exemples, l’article expose comment M. Boegner a retracé les principaux aspects de la vie et de la pensée de T. Fallot.
Apologétique et protestation de la conscience chrétienne. Marc Boegner et les conférences de Passy dans l’entre-deux-guerres (1928-1939)
À partir de 1928, Marc Boegner a donné avec une très grande régularité des Conférences de Carême à Passy sur divers thèmes théologiques et religieux. Radiodiffusées et publiées sous la forme d’ouvrages, ces conférences nous donnent accès au cœur de la pensée de l’un des principaux chefs de file du protestantisme français au milieu du xxe siècle. De l’étude de ces textes ressortent nettement l’intention apologétique qui motivait ces prises de parole ainsi que leur audace œcuménique, à une époque où le dialogue avec le catholicisme-romain et le christianisme oriental ou orthodoxe était balbutiant. Marqué par son oncle Tommy Fallot comme par le Père Laberthonnière, Boegner appelle ses auditeurs et ses lecteurs, dans un contexte où les totalitarismes communiste et fasciste fascinaient un nombre croissant d’hommes et de femmes, à ne pas se laisser aveugler par ce type d’idolâtrie et à incarner les « solidarités voulues de Dieu ».
Édition de la correspondance entre Marc Boegner et Valdo Durrleman (La Cause), septembre 1940-juillet 1943
Cette correspondance a pour sujet les émissions protestantes assurées par l’œuvre de La Cause d’octobre 1940 à juillet 1943 sur le poste de la Radiodiffusion nationale contrôlée par le gouvernement du Maréchal Pétain installé à Vichy. Elle relate les échanges entre le pasteur Marc Boegner, président de la Fédération Protestante de France, et le jeune pasteur Valdo Durrleman, qui est, pendant cette période, secrétaire général de La Cause à Montpellier, chargé d’assurer l’organisation des émissions de La Cause. Cette correspondance a pour arrière-plan un litige né avant la guerre entre La Cause et la Fédération Protestante de France sur la responsabilité des émissions protestantes hebdomadaires à la radio, à l’origine desquelles était La Cause depuis 1928, mais dont la responsabilité avait été transférée en 1937 à la Fédération Protestante de France, La Cause ne conservant depuis lors qu’une émission par mois. Elle montre un désaccord sur le style des émissions de La Cause que Marc Boegner juge n’être pas des émissions religieuses en rappelant à plusieurs reprises l’obligation de respecter un cadre liturgique. Elle met aussi en évidence l’omniprésence des services du régime de Vichy et montre un Marc Boegner cherchant à tempérer leurs réactions tout en assurant la transmission de leurs injonctions, acceptant même d’exercer à leur place une censure préalable sur le contenu des émissions et qui ne peut s’opposer à l’interdiction d’antenne faite à Valdo Durrleman pour avoir lu en décembre 1942 un texte d’Ésaïe dans lequel le directeur de la Radiodiffusion nationale voit une allusion à la situation faite aux Juifs.
Marc Boegner, une conscience missionnaire à l’épreuve des événements
La présidence du Comité directeur de la Société des Missions évangéliques de Paris que Marc Boegner assume de 1948 à 1968 ne résume pas son engagement au service de la mission, bien qu’elle se déroule à une période décisive de la vie de la Société, avec l’accession à l’autonomie ecclésiale des neuf champs de mission d’Afrique, de Madagascar et du Pacifique et son effacement comme Société issue du Réveil du xixe siècle. C’est à la charnière des xixe et xxe siècles que la conscience missionnaire de Boegner est éveillée, sous l’influence de ses deux oncles, les pasteurs Tommy Fallot et Alfred Boegner ; le premier, auquel il succède dans la paroisse d’Aouste (Drôme) en 1904, est à la source de sa vocation pastorale et de sa découverte des prémices de la synodalisation du mouvement missionnaire ; le second, qui l’appelle en 1911 à la direction de l’École de formation des missionnaires de la Mission de Paris, façonne sa spiritualité. Marc Boegner entre au Comité en 1919 et, jusqu’en 1939, date à laquelle il en devient vice-président, il théorise deux sujets déterminants de son engagement : les liens structurels mission et unité des Églises et les rapports problématiques mission et colonisation. Parmi les événements qui éprouvent sa conscience missionnaire, sans toutefois l’affaiblir, son voyage à Madagascar à la suite de l’insurrection nationaliste de mars-avril 1947 : il découvre que leurs revendications indépendantistes doivent être accordées sans confusion à celles qui portent les Églises à revendiquer leur autonomie. Cette expérience le guidera dans les visites ultérieures rendues aux Églises auxquelles il vient, au nom de la Mission de Paris, octroyer l’autonomie.
Taizé, les protestants français et Marc Boegner (1940-1970)
La communauté de Taizé suscite chez les protestants français, notamment auprès du pasteur et président Marc Boegner, pour le moins un étonnement et une interrogation. Elle divise les huguenots. Certains sont enthousiastes, d’autres sont intrigués ; enfin une forte proportion est franchement irritée par cette communauté monastique, avec des « frères » d’origine protestante, parfois pasteurs, qui semblent se rapprocher du catholicisme dans les années 1948-1970. Marc Boegner, engagé dans l’ « exigence » œcuménique, découvre de mieux en mieux la « communauté », se rendant au moins six fois sur le colline de Taizé entre 1951 et 1966. Il s’étonne d’abord de ses « erreurs », de ses « maladresses » puis il se met à aimer Taizé, notamment via la spiritualité de frère Roger Schutz. Il est intéressant d’appréhender historiquement ce paradoxe : les polémiques des protestants français contre Taizé et l’enthousiasme final du président Boegner pour Taizé comme un « haut lieu du protestantisme français et international », une prophétie de l’unité retrouvée, œcuménique, et pour le dire dans une expression toute boegnérienne, une « grande grâce ». Des archives inédites permettent de suivre assez précisément cette relation de trente années, de 1940 à 1970, entre Taizé, les protestants français et Marc Boegner.
Le pasteur Boegner : un missionnaire de l’œcuménisme
L’œcuménisme occupe une place centrale dans la vie du pasteur Boegner, tout particulièrement celui qui a abouti à la formation du Conseil Œcuménique des Églises en 1938 (première assemblée à Amsterdam en 1948) et dans lequel il exerça diverses responsabilités. À côté de cet œcuménisme à dominante anglicane et protestante, l’expérience œcuménique de Boegner, c’est aussi l’œcuménisme catholico-protestant (il assista aux troisième et quatrième sessions du concile Vatican II en 1964-1965) et celui de la communauté de Taizé pour lequel il éprouva une certaine fascination. L’article montre quels sont les atouts personnels et sociaux ayant permis à ce notable protestant français d’avoir une carrière œcuménique internationale. Il analyse ensuite les caractéristiques de son positionnement œcuménique centré sur l’unité de l’Église au-delà de la diversité des Églises, une spiritualité interconfessionnelle et le témoignage chrétien dans la cité. Missionnaire de l’œcuménisme en France et dans le monde, cet ancien président de la Fédération Protestante de France (de 1929 à 1961) exprima sa déception face à ce qu’il percevait comme une frilosité œcuménique des protestants français.
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