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Alain Rey : L’Église Réformée de France

Anne Dollfus et Pierre-Yves Kirschleger, l’Église réformée de France (1938-2013), une présence au monde, Classiques Garnier, Paris 2021, 448 p., 32 €.

C’est un ouvrage qui, sans aucun doute, fera date. Il retrace l’histoire de l’Église Réformée de France (ÉRF) depuis sa naissance, en 1938, jusqu’à la création de l’Église Protestante Unie de France, en 2013. C’est une tranche d’histoire extrêmement féconde tout au long de laquelle l’Église réformée a dû faire face à de nombreux défis ; des défis venus du monde et de la société et des défis venus du bouillonnement intellectuel, spirituel et théologique propre à la vie d’une Église vivant au rythme du monde.

Ce sont deux historiens du protestantisme qui nous livrent ce travail impressionnant construit à partir de l’étude de documents tels que les actes des synodes nationaux, les rapports des présidents du Conseil national, les revues, les journaux, les archives, mais aussi à partir d’entretiens, de rencontres et de témoignages nombreux. Anne Dollfus, diplômée de l’IPT, de l’Institut catholique de Paris et de l’École pratique des hautes études, a consacré la grande partie de ses travaux à l’histoire de l’Église réformée. Pierre-Yves Kirschleger, agrégé et docteur en histoire, est maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université Paul-Valéry de Montpellier. C’est un historien reconnu du protestantisme.

En lisant une étude comme celle-là, il est difficile de faire abstraction de sa propre histoire. Pour ma part, j’ai été un des acteurs de cette Église réformée tout au long d’une tranche d’histoire qui couvre une quarantaine années. Comme étudiant en théologie, j’étais délégué au synode de Pont-à-Mousson, en 1972. J’ai par ailleurs vécu un de mes derniers synodes à Sochaux, en 2007, au moment très historique de créer une communion d’Églises entre réformés et luthériens. Compte tenu de cet engagement dans l’ÉRF, mon intérêt pour l’ouvrage est immense. Je l’aborde avec un double regard.

C’est d’abord le regard de celui qui découvre, qui cherche à s’informer sur une ou des périodes qu’il n’a pas directement connues et notamment sur la période qui précède l’Église réformée. L’histoire du protestantisme au XIX° siècle est foisonnante. Les tensions entre orthodoxes et libéraux, entre libristes et concordataires, entre évangéliques et rationalistes, conduisent à des exclusions doctrinales, lors du synode de 1872. Les rapprochements seront ensuite difficiles à mettre en œuvre. C’est la première guerre mondiale qui vient relativiser les oppositions. Les aumôniers militaires appellent à l’unité. Les conférences internationales (Édimbourg 1910, Stockholm 1925, Lausanne 1927) jouent également un rôle important. Tout cela contribue, au début des années 1930, à modifier radicalement le climat ecclésial du protestantisme français. Les conditions sont ainsi réunies, en 1938, pour une réunification même s’il est vrai que les débats sur la confession de foi et son préambule n’ont pas permis une totale unité.

La période de la seconde guerre mondiale suscite également un immense intérêt. C’est une histoire que l’on connaît avec l’engagement de Marc Bœgner face à Pétain et Laval mais on y découvre de nombreux détails beaucoup moins connus. La lecture est passionnante.

C’est ensuite le regard de l’acteur engagé qui recherche à travers la lecture de l’ouvrage la trace des événements qu’il a lui-même connus et vécus. C’est l’historien Pierre Nora qui, à propos des actes mémoriels, fait la distinction entre histoire et mémoire : « L’histoire se veut objective, scientifique, elle recherche la vérité… La mémoire, elle, est subjective, c’est moins la vérité que les traces de celle-ci qui l’intéressent ». Entre histoire et mémoire, que révèlera ce récit ?  Comment l’historien a-t-il traité les événements dont le lecteur est lui-même un acteur ?

Personnellement, je m’y retrouve et je dois dire avec un certain bonheur. Le récit est clair, précis, complet. On retrouve en effet les grands enjeux à travers lesquels les femmes et les hommes de ma génération ont vécu un certain nombre d’engagements et parfois de combats : les turbulences des années 60, la diversité nouvelle dans l’approche exégétique, l’euphorie œcuménique, l’hospitalité eucharistique, l’évangélisation et la présence au monde, la place des femmes dans l’Église, la recherche sur les ministères spécialisés, les formes nouvelles dans les structures d’Église avec la création des centres, le débat sur les questions éthiques et de société, etc.

Il y a un point autour duquel ma mémoire a ressenti un brin de frustration face à la restitution de l’historien, c’est celui qui concerne la sortie de l’héritage missionnaire et colonial. La question de l’Algérie occupe dans ce chapitre une place importante, c’est bien normal. Par contre, la fin de la Société des Missions évangéliques de Paris et la création de la CEVAA sont traitées de façon quasi anecdotique alors que cette mutation représente, au début des années 1970, un changement radical de paradigme à travers lequel l’ÉRF a magistralement impacté la vie du mouvement œcuménique. L’ancien responsable du DEFAP et de la CEVAA que je suis, aurait peut-être voulu que cet aspect des choses soit davantage souligné.

Anne Dollfus et Pierre-Yves Kirschleger signent avec cet ouvrage sur l’ÉRF, un texte absolument incontournable. L’histoire qu’ils restituent de ces 85 années de la vie de l’ÉRF coule comme un récit. La langue est facile et ne charrie avec elle aucune pesanteur scientifique. C’est un ouvrage qui, dès à présent, s’impose comme une référence !

Alain Rey

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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