Les chercheurs ont documenté depuis longtemps les effets de la mutation du religieux et de la religion chrétienne en particulier et en sont venus à annoncer – méfions-nous des prophètes – la fin du christianisme. Malgré cette méfiance, il semble qu’il faille se ranger à cette option en précisant le propos par l’affirmation plus sobre mais non moins inquiétante de la fin « d’un » christianisme. Il ne s’agit plus de savoir comment en redéfinir la mission à travers des essais apologétiques, mais d’en « comprendre » sérieusement la fin : celle de nos églises, de notre église, par exemple, une église que l’on doit qualifier de résiduelle, composée d’à peine trente mille membres participant au plan financier et s’inscrivant sans oser s’en offusquer dans une perspective de déclin telle, depuis 20 ans au moins, qu’elle n’est plus en capacité de questionner la société ni d’en former les esprits de demain.
L’advenue ces 40 dernières années d’un protestantisme de renouveau ne change pas de façon décisive le processus de cet effacement : catholicisme, islam et judaïsme, connaissent en effet ces phénomènes de réactivation convictionnelle et de réaffirmation des marqueurs identitaires moraux ou doctrinaux, mais enquête après enquête, il apparait que dans l’opinion, l’importance accordée à Dieu et à la religion ne cesse de décroitre.
Enfin, les redéfinitions de la mission de l’église, les mises en exergue d’expériences originales ici ou là ne constituent pas suffisamment d’éléments probants ni des marqueurs désignant un mouvement inverse à celui que les observateurs décrivent depuis un demi-siècle. La redéfinition de l’église comme « église qui accompagne » ou comme « église de témoins », ne convainc pas : cet accompagnement n’est pas souhaité autant qu’on l’espérerait et l’idée même de témoin nécessite, faut-il le rappeler, un appel, une convocation qui n’ont plus véritablement lieu.
La sécularisation aurait-elle eu raison de la religion et la raison de la foi ? La laïcisation-émancipation du monde, des cœurs et des structures aurait-elle eu raison de toutes nos propositions confessantes et de tous nos messages spirituels qui nourrissaient la société?
Une question peut formuler l’essentiel du sujet : « Est-ce que la laïcité est un principe de régulation entre les sphères religieuses et politiques ou bien la laïcité est-elle devenue elle-même cette sphère éminente qui intègre et qui dissout la religion dans le politique, le politique qui est devenu finalement le seul sacré ? ».
Derrière ce questionnement pointe l’idée que nous sommes embarqués dans une histoire où le religieux se trouve recomposé, malmené et peut-être humilié en même temps qu’exculturé : il n’est plus donneur de sens ni producteur de symbolique. Son opérabilité n’a plus d’effet dans la fabrication de la société de demain, alors même que le politique et l’économique sont plus que jamais à la manœuvre.
L’église dont heureusement les œuvres et les fondations toujours efficaces et toujours novatrices rappellent aux autorités l’impératif évangélique, court à ce jour le risque de ne plus s’adresser qu’aux « siens ». Elle se doit de renouer le lien avec la politique, l’économie, l’éducation, la science, autrement dit avec la culture et d’y faire résonner la parole du Christ. éradiquer la religion, éradiquer le culte qui est pourtant au cœur de toute culture, de toute société, c’est tuer la culture et se préparer à des lendemains sans liberté, sans asile, sans culture, sans promesse, sans église, des lendemains barbares.
François Clavairoly
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