André Gounelle : Théologie du Protestantisme, Van Dieren Éditeur, Collection « Référence théologiques », Octobre 2021, 420 p., 25 €
André Gounelle nous livre avec sa Théologie du Protestantismeun ouvrage impressionnant. Ses lecteurs habituels et familiers ne seront pas surpris. Ils reconnaîtront, à la lecture de ces 400 pages érudites, la très belle facture « Gounelle », à travers le style, la précision, l’exactitude, à travers l’analyse claire, méthodique, rigoureuse. Depuis longtemps, André Gounelle nous a habitués et pour beaucoup d’entre nous, nous a formés, à la méthode de l’analyse typologique. C’est une méthode qui consiste à dégager des modèles, des types, « pour situer, organiser et rendre intelligible ce qu’on étudie ». Le Maître déploie ici son art pour nous offrir sur « le » ou « les » protestantismes un éclairage complètement renouvelé.
En abordant l’ouvrage, on s’interroge en effet sur l’usage surprenant du singulier appliqué à « Théologie » et « Protestantisme ». André Gounelle nous confie qu’il a lui-même hésité : « Après maintes hésitations et réflexions, j’ai opté pour le singulier ». Il nous dit qu’il n’a pas voulu« écrire une histoire de la théologie protestante ni dresser un tableau de sa situation actuelle ». Son projet est tout autre : « Je m’intéresse à ce que dans d’autres temps on aurait appelé l’ « essence » du protestantisme.En effet, sur les grandes questions autour desquelles on identifie le protestantisme des divergences existent, mais elles s’inscrivent toutes au sein d’une même problématique. Ce sera tout l’enjeu de l’ouvrage que de nous montrer comment, sur les thèmes issus de la Réforme, se nouent et se dénouent, à l’intérieur de la grande famille protestante, rapprochements et distances, ruptures et continuités.
Dans une première partie, André Gounelle décrit les différentes Réformes : luthérienne, réformée, radicale, anglicane et catholique. Il en fait un récit qui se lit comme un roman. On rencontre les personnages qui ont fait l’histoire du siècle de la Réforme – Luther, Calvin, Zwingli, Farel, Bucer, Müntzer – et on entre dans les débats théologiques qui les ont animés, parfois de façon violente. Gounelle montre bien le lien d’action et de pensée qu’il y a eu entre ces acteurs et penseurs de la Réforme, il montre également les discontinuités sévères, profondes, qu’il y a eu entre eux sur le baptême, sur la cène, sur l’importance accordée à l’éthique, sur la trinité ou sur la question de la séparation entre l’Église et l’État, entre la religion et la société.
L’ouvrage explore ensuite les questions théologiques qui, depuis le XVI° siècle, ont été les grands marqueurs de la Réforme : la Bible, la grâce et la foi, l’Église, le culte, les sacrements, la cène. André Gounelle est alors un guide extraordinaire. Il nous prend par la main et nous conduit à l’intérieur de chacun de ces débats. Son expertise est impressionnante de précision et d’érudition. C’est un vrai régal que de se laisser ainsi guider. Pour ma part, j’ai beaucoup appris. J’ignorais tout, par exemple, du débat qu’il y avait eu, à Genève, entre Calvin et Castellion sur l’approche et la compréhension du texte biblique. Calvin proclamait la parfaite clarté de la Bible, alors que Castellion trouvait que des passages résistaient à la compréhension et restaient difficiles, ambigus. Il interroge alors vertement Calvin : « Si le sens de la Bible est tellement évident, pourquoi écris-tu autant de volumes pour l’expliquer ? ». Dans cette visite guidée, ce qui est passionnant, c’est la mise en perspective, ce sont les fils qui permettent de rattacher les questions d’aujourd’hui à des débats que les Réformateurs ont eus entre eux. Sur la question du culte, on note ainsi une très grande continuité dans la compréhension de ce que signifie le moment du culte comme acte essentiel de l’Église. Pour Barth, il en est le « centre » ; pour la Réforme, il est le « lieu créateur d’ecclésialité, le lieu de la réalisation ecclésiale » ; pour Bultmann, le culte est « la véritable manifestation de « l’essence de l’Église ». André Gounelle ajoute et conclut : « On pourrait presque aller jusqu’à dire que, dans une perspective protestante, ce n’est pas l’Église qui fait le culte, mais que le culte fait l’Église ».
André Gounelle termine son ouvrage par un propos d’envoi à travers lequel il convoque ce qu’il appelle « l’esprit du protestantisme ». Essayer d’exprimer l’esprit du protestantisme, écrit-il, « c’est percevoir quelque chose de l’âme protestante qui se manifeste dans la théologie qu’elle suscite ou dont elle se nourrit ». Pour Gounelle, cinq convictions portent cet esprit : 1. Dieu seul est Dieu ; 2. Je suis devant Dieu ; 3. Dieu parle dans la Bible ; 4 ; Dieu libère ; 5. Dieu fait surgir du nouveau. Les derniers mots d’André Gounelle sont cependant tout en humilité pour préciser que les protestants sont loin d’être à la hauteur des principes idéaux qui constituent l’esprit du protestantisme. « L’essentiel,écrit-il, n’est pas ce que nous sommes et ce que nous faisons, mais ce que Dieu est et ce qu’il fait ».
Avec ce travail, André Gounelle se défend d’avoir écrit une histoire de la théologie protestante, c’est pourtant un ouvrage qui s’imposera comme une référence. Tous ceux qui veulent comprendre quelque chose de ce qu’est la théologie du protestantisme, ne peuvent se passer de le lire. Quand j’étais étudiant en théologie, j’aurais voulu avoir accès à une documentation pareille. J’aurais beaucoup plus vite compris d’où je venais et qui j’étais.
Alain Rey
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