Libres propos

Un étalage flagrant d’hypocrisie

Dans cet article diffusé le 5 mai 2022 par le Centre œcuménique Sabeel de Théologie de la Libération, à Jérusalem, Madame Samia Nasir-Khoury met en lumière l’hypocrisie de la communauté internationale dans ses prises de position sur l’invasion de l’Ukraine et sur l’occupation de la Palestine.

Jamais le double langage et l’hypocrisie flagrante de la communauté internationale n’ont été aussi évidents que lors de l’invasion de l’Ukraine, surtout pour nous Palestiniens.

La vue des réfugiés ukrainiens a évoqué les très tristes souvenirs de notre propre expulsion de la Palestine, qui a cessé d’exister en 1948.  Non seulement à cause de cette expulsion, mais aussi à cause des massacres et de la destruction de centaines de villages et la réduction de villes importantes en villes fantômes dans le but d’effacer l’histoire de notre pays. Plusieurs de ces évènements n’ont été rendus publics que bien des années plus tard par les nouveaux historiens israéliens.  Nous appelons cet événement la « Nakba », la « catastrophe », et elle s’est avérée être une catastrophe permanente, jusqu’à aujourd’hui, puisqu’Israël, la puissance occupante, continue de priver les Palestiniens de leur droit au retour alors que celui-ci avait été demandé dès le 11 décembre 1948 par la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies, et refuse de se retirer du territoire palestinien qu’il a occupé en 1967 alors que c’est ce que lui demande la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies du 22 novembre 1967, …sans parler de ses violations quotidiennes des droits humains des Palestiniens.

Je ne vais pas m’attarder sur l’atmosphère politique et le rôle des États-Unis et de l’OTAN dans la provocation de cette [nouvelle] guerre, mais elle avait à peine commencé que le cri pour des sanctions contre la Russie était fort et clair.  Mais la communauté internationale n’a jamais prononcé ce mot de « sanctions » à l’égard d’Israël, malgré ses mesures brutales à l’encontre des Palestiniens et son mépris des résolutions de l’ONU au cours des soixante-dix dernières années. Il est grand temps qu’Israël réalise qu’il ne se sentira jamais en sécurité tant qu’il continuera à tuer, à confisquer et à priver les Palestiniens et tous les prisonniers de leur liberté et de leurs droits humains fondamentaux.  De surcroît, Israël permet à ses colons de terroriser les Palestiniens dans leurs propres villes, dans leurs champs, leurs vignobles, leurs oliveraies, ainsi que dans leurs lieux saints, tout cela sous la protection de la police israélienne.  Trois organisations renommées qui étudient ce qui se passe dans cette région, à savoir Amnesty International, B’Tselemet Human Rights Watch, ont conclu dans de récents rapports qu’Israël est un État d’apartheid.  Bien entendu, Israël a réfuté ces rapports et les a qualifiés d’antisémites, ce qui est plutôt ironique quand on sait que l’une de ces organisations est israélienne.

Il est déraisonnable d’oublier deux faits, dont l’un concerne les Accords d’Oslo et l’autre les  pays arabes. Les Accords d’Oslo, signés entre l’OLP et Israël le 13 septembre 1993, nous ont d’abord donné l’impression qu’ils allaient apporter une nouvelle aube d’espoir en vue de la  paix et de la libération, surtout quand nous avions vu l’armée israélienne se retirer des villes palestiniennes occupées en 1967.  Mais les failles de ces accords n’ont pas tardé à apparaître au grand jour, notamment lorsque des questions fondamentales telles que le statut d’’Al-Quds (Jérusalem), les frontières, la question des  réfugiés et la construction de colonies illégales ont été reportées à la dernière étape de négociations prévue pour une période de cinq ans. Cette période s’est avérée être une période sans fin de cinq fois cinq ans, et a brusquement pris fin avec l’incursion du Premier ministre israélien Ariel Sharon sur l’esplanade des mosquées, ce qui a provoqué la deuxième Intifada …qui a fourni à Israël un prétexte pour mettre fin à toutes les négociations. Les années qui ont suivi ont donné à Israël l’occasion de créer une nouvelle réalité sur le terrain, avec la prolifération de ses colonies sur l’ensemble des Territoires palestiniens occupés.  En outre, la question de la sécurité d’Israël devait être coordonnée avec la nouvelle Autorité palestinienne.  C’était une situation tout à fait unique dans laquelle les occupés devaient coordonner les questions de sécurité avec les occupants ! L’absurdité de ces deux points montre à elle seule que ces Accords n’ont jamais été étudiés et examinés en profondeur par l’OLP avant qu’elle ne les signe et reconnaisse Israël comme un État dans la région, alors qu’Israël ne s’est jamais engagé à reconnaître un État palestinien lorsqu’il a signé ces accords avec l’OLP.

Le deuxième fait est la position des pays arabes qui, malgré leur rhétorique, n’ont jamais été capables d’exercer une pression pour mettre fin à l’occupation. N’oublions pas cependant que tous les pays arabes ont approuvé l’initiative saoudienne du Prince Abdullah bin Abdul Aziz, prince héritier du Royaume d’Arabie Saoudite, lors du sommet arabe de Beyrouth en 2002 lors duquel le prince a présenté une initiative appelant au retrait complet d’Israël de tous les territoires arabes occupés depuis juin 1967, en application des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité réaffirmées par la Conférence de Madrid en 1991, et proposait le principe de « la terre contre la paix » : l’acceptation par Israël d’un État palestinien indépendant avec Jérusalem-Est comme capitale en contrepartie de l’établissement de relations normales dans le cadre d’une paix globale avec Israël.

Si Israël avait été sincère à propos du désir de paix, il aurait sauté sur cette initiative saoudienne, mais il semble bien qu’Israël ne peut survivre en un temps de paix.  Pourtant la paix avec les pays du Golfe a été offerte à Israël sur un plateau d’argent. Les pays qui ont signé les « Accords d’Abraham » n’ont pas fait de guerre avec Israël et n’ont pas de frontières commune avec lui.  Une fois de plus, une puissance coloniale, les USA sous la présidence de Trump, a pu creuser un fossé entre les pays arabes et séduire les pays du Golfe en faveur d’un accord de paix avec Israël en prétendant avoir des intérêts sécuritaires communs.

Depuis le plan de partage de la Palestine du 29 novembre 1947 et la reconnaissance immédiate de l’État d’Israël par les États-Unis, Israël a bénéficié d’un soutien indéfectible de leur part. Cela a été un facteur majeur qui a permis à Israël de bafouer toutes les résolutions de l’ONU sur la Palestine sans qu’il y ait la moindre sanction. Et tout ce que nous avons pu entendre de la part des États-Unis et des pays européens, c’est une « préoccupation » à cause des affrontements et de la démolition de maisons palestiniennes, et l’affirmation que « les colonies ne sont pas propices à la paix ».

Tout au long de cette période, les intérêts particuliers des grandes puissances et leur hégémonie l’ont malheureusement emporté sur le principe du bien commun et du bien-être de tous, ce qui leur a permis de mettre les plus faibles sous pression, de les faire chanter, soi-disant pour garantir leur survie. Et bien sûr, quiconque ose défier ces puissances n’a aucune chance de survie.

La brutalité de la police israélienne lorsqu’elle a pris d’assaut la mosquée Al-Aqsa et qu’elle a limité et même empêché avec violence les chrétiens palestiniens de célébrer [le Samedi Saint] à l’église du Saint-Sépulcre dans la vieille-ville d’Al-Quds (Jérusalem) où ce lieu est le plus saint des sites chrétiens, dépasse l’imagination. Israël veut faire de la lutte palestinienne une guerre de religion, alors que cela n’est pas le cas et n’a jamais été le cas. Néanmoins, avec le soutien des puissances coloniales, ils ont fait de toute la région un terrain fertile pour l’extrémisme religieux.

Aussi désespérée que soit la situation, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre espoir, et nous ne perdrons pas espoir car la justice est de notre côté. Et même nous espérons que notre lutte palestinienne deviendra un exemple de fermeté, de « Sumud », autrement dit de résilience combative, et une force qui montrera la voie dans la lutte de tous les peuples opprimés.

Samia Nasir Khoury
Jérusalem, le 2 mai 2022

Samia Nasir Khoury est une éducatrice et militante palestinienne. Elle fait partie des fondateurs du Centre œcuménique Sabeel de Théologie palestinienne de la Libération, à Jérusalem.

Traduction :   Amis de Sabeel France.

                          Chrétiens de la Méditerranée.

About the author

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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