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Sunny et Peter, un couple contre la peine de mort

Dans un petit coin reculé d’Irlande, deux rescapés du couloir de la mort – l’Irlandais Peter Pringle et l’Américaine Sunny Jacobs – se sont créé un refuge. Y sont accueillis au quotidien celles et ceux qui partagent la même histoire, les mêmes traumatismes, pour y trouver la paix et renaître. L’Hebdo a rencontré le couple avant le décès de Peter, le 31 décembre dernier, et raconte le combat de deux vies.

Comme un petit morceau d’été arraché au rivage du Connemara, dans l’ouest de l’Irlande, la plage de Silverstrand est connue pour ses eaux translucides. Entre juin et octobre, que la météo le permette ou non, les habitants viennent y nager à toute heure, câlinés par la brise. Un jour de mai 1995, Peter Pringle – en bon Irlandais – n’a pas attendu que le thermomètre lui en donne l’autorisation pour se jeter dans les vagues de la baie de Galway. « Je m’y suis glissé pour qu’elles m’engloutissent. » Se sentir vivant, enfin.

L’ancien pêcheur, à la barbe fournie et aux joues rebondies, vient alors tout juste de sortir de quinze ans de prison de haute sécurité, dont deux dans une cellule réservée aux condamnés à mort. Bien qu’innocent, cet ex-militant de l’IRA et père de quatre enfants avait été arrêté par la police et reconnu coupable, avec trois autres personnes, du meurtre de deux policiers à Dublin, lors d’un braquage. Deux semaines avant la date fatidique, et après avoir dit adieu aux siens, sa peine fut commuée en prison à vie en 1981, puis il fut libéré en 1995. En contemplant le ciel, porté par l’eau sans remous, il est en morceaux, mais vivant, les poumons remplis d’espoir, ayant chassé l’air vicié de la geôle.

Près de trois ans après cette baignade salvatrice, Peter se rend à Dublin pour une rencontre organisée par Amnesty International sur la lutte contre la peine capitale. Au programme, une prise de parole de Sunny Jacobs, une Américaine qui, elle aussi, s’est extirpée du couloir de la mort. Quand il était encore dans sa cellule, le Guardian avait publié un entrefilet sur sa libération. « Je me suis dit que si elle y était arrivée, j’y arriverais », se souvient Peter.

La petite femme qu’il découvre ce jour-là est aussi rayonnante que son histoire est terrible. En 1976, Sunny Jacobs, 28 ans, est une hippie végétarienne, américaine, mère de deux enfants (Eric, 9 ans, et Christina, 8 mois). Elle vit en Floride avec son compagnon, Jesse Tafero, lorsqu’un ami leur demande de l’accompagner pour un road trip. Sur une aire de repos, ce dernier exécute deux officiers de police avant de prendre Sunny et Jesse en otages. Arrêté à la suite d’une course-poursuite, le tueur signe un accord avec la police et met tout sur le dos du couple : en quelques semaines, les deux malheureux sont reconnus coupables et condamnés à la peine de mort. Eric et Christina – également témoins des meurtres – sont confiés aux parents de Sunny. Pendant ses seize années d’incarcération, à l’isolement, Sunny ne voit pas ses enfants grandir et, en dehors de rares visites, seuls les alligators et les oiseaux lui font la conversation. Durant ce laps de temps, Sunny perd ses parents (décédés dans un accident d’avion juste après lui avoir rendu visite) et son compagnon, Jesse, avec qui elle correspondait tous les jours. L’exécution de ce dernier, sur une très ancienne chaise électrique défectueuse, a nécessité trois tentatives : elle a inspiré une scène insoutenable du film La Ligne verte. La peine de Sunny est finalement commuée en 1981, et elle est libérée en 1992, après avoir prouvé son innocence.

Yoga, méditation et pardon

La peine de mort dans le monde

En 1998, à 47 ans, elle traverse l’Atlantique pour se rendre à Dublin et témoigner de son expérience. Au premier rang, un grand barbu écoute avec plus d’attention que les autres participants, des larmes coulent sur son visage. « Je ne pleurais pas parce que son histoire me rappelait la mienne, mais parce qu’elle était tout bonnement horrible », jure-t-il aujourd’hui. À la fin de la conférence, Peter l’attend à la sortie avec peu de mots, mais une proposition : une baignade en mer. En avril. En Irlande. Elle accepte : pourquoi refuser ce que son corps lui réclame ? Dans la voiture, les cheveux encore mouillés, Sunny demande à son nouvel ami : « Pourquoi est-ce si important pour toi, ce que j’ai vécu ? »« Parce que je l’ai vécu aussi, j’ai été accusé à tort d’avoir tué deux policiers, j’ai été condamné à mort et j’ai été libéré », lui dit-il. « Comment tu t’en es sorti ? », répond-elle, estomaquée. « Grâce au yoga et à la méditation », dit-il. C’est le déclic : la vie tourne enfin à leur avantage. « Nous avons passé trois heures dans sa chambre d’hôtel à parler du pardon », se rappelle Peter. « Quand cela m’est arrivé, j’ai douté de ma foi (elle a été élevée dans le judaïsme, NDLR), confie-t-elle, puis j’ai compris que Dieu n’y était pour rien et je lui ai pardonné. Quant au juge, aux membres du jury, quant à l’homme par qui tout cela était arrivé, les vrais coupables finalement, il fallait que je leur pardonne pour être vraiment libre. » Quelques mois après leur rencontre, Sunny fait ses valises pour rejoindre l’Europe.

Si l’on demandait à Jane Austen ou à la scénariste Nora Ephron les secrets d’une belle histoire d’amour, elles auraient sans doute la même réponse : une intrigue dans laquelle, malgré les obstacles, deux âmes que tout oppose se rencontrent… se retrouvent plutôt. À respectivement 75 ans et 83 ans, Sunny et Peter forment un couple lumineux. Avec eux, nous n’avons pas parlé de ce qui les a menés en prison (1) : ils préfèrent laisser l’horreur dans les tiroirs du passé. Car depuis près de trente ans, ces âmes sœurs consacrent leur liberté recouvrée à témoigner de leur résistance et à accompagner les personnes qui ont subi le même sort qu’elles.

Pour arriver dans la modeste maison qui est aussi le siège du Sunny Center, leur fondation pour l’aide aux victimes d’erreurs judiciaires, on emprunte une petite route qui serpente entre les collines chargées de fougères. Il faut contourner moutons et vaches, qui traversent la route, et éviter les ornières : Sunny et Peter ont choisi de vivre dans un coin tranquille, loin des gens, des sirènes de police et du béton. « On en a trop vu », souligne Sunny.

Ils reçoivent autour d’une table encombrée de boîtes de médicaments, de nourriture pour animaux, de pots de fleurs. Leur vie est simple. La grande fenêtre donne sur les lacs, en contrebas, et sur les hortensias qui bordent les murs de la maisonnette. « Un ami m’avait offert un bonsaï mais quand je l’ai vu, je me suis vue, contrainte, encagée, les racines enfermées. Je l’ai libéré », se remémore Sunny. Il y a bien trop de chaises pour eux deux autour de cette table. Mais sait-on jamais, il y aura peut-être du monde pour le thé, le facteur ou bien Jill, la voisine, professeure de yoga, qui vient donner un précieux coup de main à leurs corps fatigués. Peter, marqué par l’âge, se soutient grâce à une canne ; Sunny, quant à elle, est doublement handicapée. « Cinq ans après ma libération, ma colonne vertébrale a été abîmée dans un accident de voiture et, lors de l’opération, on m’a découvert une sclérose en plaques. Je perds progressivement l’usage de mes bras. Mais vous savez, mon esprit n’en est que plus libre », explique-t-elle, comme pour conjurer cet amoncellement de coups du sort.

Tous les deux ont vécu une histoire étrangement similaire et y ont répondu avec la même philosophie, comme si regarder la mort dans les yeux poussait à chercher des ressources inconnues. Chacun dans sa cellule, ils se sont construit une routine de survie : se réveiller(« même dehors, je me suis longtemps levé à 5 h 30 », se souvient Peter), méditer (« je m’allongeais sur le sol pour m’écouter respirer », évoque-t-il), prendre son petit déjeuner (« en pensant aux recettes que je ferais si j’étais dehors », dit Sunny), effectuer de l’exercice physique (« je faisais des pompes dans ma petite cellule », raconte encore Sunny), déjeuner, apprendre le yoga, lire, écrire, peindre, dîner puis dormir.

Durant leurs longues heures nocturnes, les yeux rivés au plafond, ils puisaient des forces dans l’histoire de leurs ancêtres : Peter dans la fierté et l’entêtement de son policier de père, « un homme incroyable, qui pouvait chuchoter à l’oreille des chevaux » ; Sunny dans la volonté de son grand-père, survivant des pogroms en Pologne. « Si mes ancêtres avaient survécu à la traversée de l’Europe et de l’Atlantique, alors je pouvais survivre », soutient-elle. Chacun guette aussi le monde du dehors, qui tente des incursions dans leur quotidien claquemuré. En se penchant depuis les barreaux de la cellule, Sunny apercevait parfois un oiseau qu’elle appelait son ami : « J’ai aussi élevé des fourmis et, en promenade, on pouvait voir des alligators dans le bassin. Ça me faisait me sentir vivante. » Peter, quant à lui, avait un nid sur le bord de sa fenêtre et regardait les oiseaux vivre leur vie. Il prit même soin d’une petite chatte et de sa portée, qu’il se débrouilla pour faire sortir.

Chercher la sortie à l’intérieur de soi

Il a bien aussi fallu vivre avec la mort qui les attendait au bout du couloir. Sunny avait inventé la règle des cinq minutes : « Ils m’avaient donné une montre (les détenus à l’isolement en avaient une pour ne pas sombrer dans la folie, NDLR) : quand ils retournaient ma cellule pour la fouiller ou bien me parlaient très mal, je m’étais autorisé cinq minutes de colère pour crier après eux. Puis je retrouvais mon calme en respirant : ils n’allaient pas, en plus de me tuer, gâcher mon possible dernier jour ! » Athée, Peter a, lui aussi, beaucoup travaillé pour faire le deuil de soi : « Le plus dur, c’était d’être considéré comme un moins-que-rien. Les gardes parlaient de ma pendaison comme si je n’existais déjà plus. Sans doute une façon pour eux de se protéger. Mais le deuil de soi, écoutez… on meurt tous un jour. La différence, c’est qu’on m’avait donné une date. Tout ce qui m’importait était de partir dignement en tant qu’homme. »

Ex-militant de l’IRA, Peter a été injustement condamné à mort pour le meurtre de deux policiers à Dublin, lors d’un braquage. Deux semaines avant la date de son exécution, en 1981, sa peine fut commuée en prison à vie. Il a été libéré en 1995.

Quand les peines ont été commuées, subitement, l’un comme l’autre ont éprouvé une sorte d’étourdissement : ils s’apprêtaient à mourir et voilà qu’ils se retrouvaient avec des années à vivre entre quatre murs. « Beaucoup de personnes envisagent le suicide à ce moment-là », explique Peter. Afin de garder l’espoir, l’un comme l’autre ont suivi une même conviction, résumée par Sunny : « Pour trouver la sortie, il a fallu chercher à l’intérieur de soi. »

Bien qu’avare de mots, Peter aime raconter des histoires. L’une de ses préférées met en scène un bateau de pêche. « Je connaissais deux types. Leur chalut a accroché le fond et le bateau a coulé, ils se sont retrouvés plusieurs heures accrochés au toit de la cabine. Puis un navire est apparu au loin, l’un des deux l’a rejoint à la nage en promettant au deuxième – trop effrayé – qu’il reviendrait. Quand il est revenu avec les autres, l’homme avait coulé à pic. » Selon Peter, cette histoire rejoint son expérience : la liberté est un risque à prendre. « La libération, c’est comme un quart d’heure de gloire : tout le monde veut vous aider, vous fait des cadeaux, vide ses placards, vous plaint… mais finalement, vous êtes seul. Vous aspirez pourtant à être considéré autrement que comme une pauvre victime, à retomber sur vos pattes », raconte Sunny, qui se souvient du jour où elle s’est retrouvée sur le trottoir avec son petit carton, sans tralala ni excuses, face à une foule de journalistes. « En prison, on s’habitue à ne pas avoir de contacts humains. D’une certaine façon, on se sent protégé, nourri, logé. Même si on a espéré la liberté chaque seconde, on se retrouve effrayé, sans repères, avec des gens partout, du bruit, et un flot de responsabilités qui nous retombent dessus. »

Pour redécouvrir la vie dehors, ils ont, l’un comme l’autre, eu besoin de serrer les arbres dans leurs bras, de se laisser porter par les chaudes déferlantes de Miami Beach ou la mer froide d’Irlande. Les deux se sont reconstruit des vies à l’écart de leurs enfants devenus grands, qui n’avaient pas eu besoin d’eux. Si Sunny parle avec sa fille tous les jours et très régulièrement avec son fils, qui vit en Australie, elle a mis du temps à reconstruire une relation, brisée dès l’origine. Quant au fils aîné de Peter, Thomas, qui était la cible de quolibets dans la cour d’école, il est désormais député du parti de gauche irlandais et confie : « Un père, ça manque. Quand il est sorti, j’avais 27 ans, j’attendais de longues conversations qui ne sont jamais venues. Cela a pris un temps fou de me reconnecter à lui : c’est arrivé quand j’ai eu mes propres enfants. »

Du militantisme à Broadway

Comme un chat qui a besoin de se sentir en sécurité, Sunny a peu à peu arpenté le quartier de Los Angeles où elle s’était réfugiée. Prudemment, sans sortir des trajets qu’on lui avait indiqués. Ce n’est qu’après avoir trouvé un emploi de prof de yoga qu’elle commence à traverser le pays pour assister aux congrès contre la peine de mort. Elle remplace parfois sœur Helen Prejean, fervente et populaire activiste. Le fait qu’elle soit l’une des très rares femmes survivantes du couloir de la mort la rend indispensable. Flanqué d’un labrador noir, Peter a refait sa vie à Galway. Il accompagne, lui aussi, ceux qui ont été confrontés, même indirectement, au couloir de la mort… « Un jour, un homme est venu me voir dans le pub où j’avais mes habitudes, à Galway, il s’agissait du chanteur folk Steve Earle. Il avait assisté jusqu’à la salle d’exécution un homme avec qui il correspondait depuis des années et il était traumatisé, je l’ai accompagné. La peine de mort s’infiltre partout, elle détruit les gens, les condamnés, les témoins et membres du jury, les bourreaux et leurs familles. »

Sunny a été injustement accusée d’un meurtre commis sous ses yeux en 1976. Sa peine fut commuée en 1981, et elle a été libérée en 1992. Peter et Sunny se rencontrent en 1998, lorsqu’elle se rend à Dublin pour témoigner de son expérience dans une conférence pour l’abolition de la peine de mort.

Convaincus que raconter leur histoire est la meilleure arme pour lutter contre la peine capitale, Sunny et Peter continuent ensemble un travail amorcé chacun de leur côté. De la Norvège au Kazakhstan en passant par la Nouvelle-Zélande, ils font le tour du monde, de sommets en conférences internationales, pour parler de leurs expériences respectives et de leur histoire d’amour. Les happy ends sont salvateurs, lors de ces journées consacrées à la mort. Chaque déplacement est l’occasion de rencontrer les membres d’une communauté soudée, que ce soit les associations et organisations (comme Ensemble contre la peine de mort, Amnesty International, Witness to Innocence ou Healing Justice), les militants, les personnalités proches de la cause, les survivants, bien sûr, et même des bourreaux ou politiques repentis.

En 2000, le témoignage de Sunny parvient jusque sur les planches de Broadway : il devient une pièce de théâtre à succès, The Exonerated. Des représentations ont lieu à New York, San Francisco, Édimbourg, Londres ou Atlanta. De nombreuses actrices jouent son rôle parmi lesquelles l’humaniste Susan Sarandon, mais aussi Brooke Shields ou Jill Clayburgh. « Parfois, je devais remplacer les actrices et jouer mon propre rôle, ce qui était terrible. Tout remontait à la surface. Peter devait me soutenir dans les coulisses », se rappelle Sunny, qui en garde malgré tout un bon souvenir. Les deux compères sont invités dans des réceptions avec des stars. Comme ce dîner avec Robin Williams… « Je n’ai jamais autant ri de toute ma vie », s’en amuse encore Peter. C’est justement lors d’une fête dans la maison de Sting, à New York, qu’une philanthrope fortunée les invite à créer leur fondation, pour venir en aide à leur façon aux ex-condamnés à mort.

Aider les victimes d’erreurs judiciaires

« Leur façon », ils l’ont trouvée facilement : en accueillant les gens chez eux, en Irlande, en partageant avec leurs hôtes leur façon de se ressourcer auprès de la nature, avec leurs animaux, puis auprès des autres. Ce que les ex-détenus viennent chercher au Sunny Center ? « Une façon globale de retomber sur ses pieds », explique Sunny, qui a identifié plusieurs phases dans la vie d’après : l’euphorie (« tu es sur ton nuage »), le contrecoup et la tristesse (« tu te sens perdu, isolé, incompris »), la colère (« un peu comme une crise d’adolescence ») puis, si tout va bien, l’apaisement. Depuis 2012, ils ont accueilli chez eux 16 personnes victimes d’erreurs judiciaires, venant surtout des États-Unis, mais aussi d’Angleterre, des Pays-Bas, de Taïwan. Ensemble, pendant deux semaines, ils reconstruisent une vie de famille, méditent, se promènent et travaillent dans la maison ou le jardin. Ils vont faire des courses au village, comme si rien ne leur était arrivé. La première semaine, l’invité se confie, la deuxième, Sunny et Peter partagent leur expérience.

Pour financer cette activité, le Sunny Center dépend intégralement des dons de particuliers. En 2018, grâce aux contributions de trois donateurs, Sunny et Peter ont ouvert à Tampa, en Floride, un centre qui accueille quatre personnes à leur sortie du couloir de la mort et les héberge pendant plusieurs mois. Avec un système judiciaire particulièrement déficient, les États-Unis sont des champions de l’erreur judiciaire : depuis 1973, 190 personnes détenues dans le couloir de la mort ont été innocentées et libérées. Pour la première fois, une ex- détenue va bientôt être hébergée. Un symbole très important pour Sunny, tant elle a souvent eu l’impression d’être la seule dans son cas. « La société est souvent plus dure avec les femmes accusées de crimes violents. Les garçons seraient violents par nature, alors que les femmes violentes, soit c’est un impensé, soit ce sont des monstres. »

L’Américain Derrick Jameson, 60 ans, a lui-même été secouru par Sunny et Peter. Quand il est sorti, au bout de vingt ans de réclusion dans le couloir de la mort pour un crime qu’il n’avait pas commis, il a d’abord eu l’impression d’être abandonné. Il avait perdu sa mère, plusieurs membres de sa famille et 18 amis qu’il avait vus partir vers la salle d’exécution. « La peine de mort ne m’a pas tué mais elle a supprimé tous ceux que j’aimais », lâche-t-il dans un sanglot. Après plusieurs années à vivoter, croulant sous le poids du chagrin, il rencontre Sunny et Peter. « Ç’a été fondamental pour me remettre sur les rails : je me promenais avec les chiens, le chat à trois pattes, je grimpais dans les collines, je me sentais soutenu et je me sentais utile. Ils m’ont appris à trouver la paix… mais ils m’ont surtout aidé parce qu’ils connaissaient mon désarroi, celui de me sentir comme un mort-vivant, la peur d’être pris pour un coupable, l’angoisse de la foule. »

Pendant la pandémie de Covid, Sunny et Peter ont utilisé leurs téléphones pour continuer d’accompagner leurs protégés, aux États-Unis, en Belgique ou encore au Pakistan. Mais la petite chambre d’ami du Sunny Center va de nouveau pouvoir accueillir un invité, qui trouvera un peu de paix avec les siens. À l’abri des tempêtes, dans leur campagne irlandaise, Sunny et Peter, capitaines de leur bateau, ont regardé ensemble le monde tourner et ont gardé le cap: leur combat contre la peine de mort est loin d’être gagné. Leurs journées, habitées par le yoga, les animaux, la lecture, l’écriture (ils tiennent une newsletter et écrivent leur troisième livre, Time After Time) ont toujours été trop courtes : impossible de fermer l’œil avant 1 heure du matin. Et puis, à la suite d’une longue maladie, Peter a rendu son dernier souffle dans les bras de sa bien-aimée, qui s’est engagée à continuer leur combat. Comme le lierre qui traverse les murs de béton, l’amour est plus fort que la mort.

Pourquoi nous l’avons fait

Certaines histoires méritent d’être racontées simplement parce qu’elles concernent des gens ordinaires qui font des choses extraordinaires. Sunny et Peter sont faits de ce bois-là, la simplicité, la justesse, le bonheur des petits rien. Avant qu’ils ne tombent amoureux, la vie les a précipités dans les cauchemars de l’erreur judiciaire et du couloir de la mort. Ensemble, ils ont décidé de consacrer leur liberté recouvrée à aimer toutes les minutes de leurs journées et à accueillir dans leur fondation les damnés de la justice des hommes. Ils ont fait le tour du monde pour lutter contre la peine capitale. Ces grandes et discrètes âmes devaient se nicher dans les pages de L’Hebdo : en 2023, la peine de mort reste une horreur très actuelle (en Iran, entre autres). Entre le reportage et sa parution, Peter Pringle est décédé paisiblement dans sa petite maison, entouré de Sunny et des pensées de celles et ceux que son histoire avait touchés. La publication de ce récit, aujourd’hui, est d’autant plus capitale.

Anne-Laure Pineau
Dossier réalisé par Anne-Laure Pineau, paru dans La Croix du 21 janvier 2023

Anne-Laure Pineau

 

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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