Après la décapitation du professeur Samuel Paty des protestants et tout particulièrement des pasteurs ont pris la plume pour dire ce qu’ils pensaient de ce terrible assassinat. D’autres se sont exprimé publiquement sur des sites, des blogs ou dans des prédications. De manière unanime ils condamnent en tout premier lieu cet acte odieux qui a ému la France et au-delà. Plus surprenant, la quasi-unanimité des remarques qui suivent mettent en cause l’attitude des victimes. La publication par deux fois des caricatures de Charlie Hebdo sont montrées du doigt. Elles sont, selon eux, une provocation inutile, purement irrespectueuse. Quant au professeur, il aurait commis une erreur pédagogique en voulant illustrer ses propos sur la liberté par des caricatures. Il y avait d’autres moyens pour faire passer le message concernant ce thème.
Ces dernières affirmations témoignent d’un manque de connaissance de ce qui se passe entre un professeur et ses élèves. Pour avoir exercé ce métier pendant quatre ans en Seine Saint-Denis dans deux collèges différents, situés en zone dite prioritaire, je peux dire que le premier souci est d’intéresser les élèves. Les sujets d’actualités sont souvent facilitateurs. Je me souviens avoir motivé une classe de troisième au lendemain du suicide du chanteur Mike Brandt pour mes cours de français. Pour ce qui est de l’image des caricatures c’est une manière de ne pas rester dans la théorie mais d’illustrer le propos de manière concrète. Des professeurs des écoles utilisent encore des bûchettes ou autre matériel pédagogique pour apprendre les jeunes élèves à compter, additionner, soustraire, multiplier, diviser. Ce qui est perçu par les sens rend concret le contenu du concept. Quant à la republication des caricatures de Charlie Hebdo, il faut se souvenir du lourd tribut payé par l’équipe de rédaction du journal. Le traumatisme est toujours là. Il est handicapant. Comment le dépasser ? La nouvelle publication des caricatures au moment du procès était curative avant d’être une provocation.
On peut comprendre que le respect « du prochain » invite à la retenue. Le pape l’avait déjà dit en 2015. Il y a beaucoup de sagesse et de raison dans les propos prudents des auteurs des textes analysant ce qui s’est passé. J’adhère avec raison à ces propos. Je dirai seulement, mais avec force, que le moment n’est pas opportun. Aller ainsi à contre-courant de l’élan social devant de telles horreurs, c’est banaliser l’idée que l’on peut perdre la vie pour des impostures ou de simples erreurs. Les terroristes ne manqueront pas d’utiliser ces propos pour justifier leur action et refuser tout dialogue. Plus grave encore, cela n’aide pas la religion musulmane à s’adapter au modus vivendi del’occident. Faire passer les lois de la république avant celles de la charia demande une mutation profonde de la pensée. Je salue au passage la réaction de nombreux imans qui ont su, malgré leurs blessures, garder leur sang-froid et faire un pas de plus dans la compréhension des lois de notre République. Si on avait demandé à ma grand-mère – elle aurait aujourd’hui près de 15O ans – qu’est-ce qui est premier : les lois de Dieu ou celles de la république ? Elle aurait répondu sans hésiter « les lois de Dieu » tout en respectant les lois de la République. Les respecter c’était pour elle faire la volonté de Dieu. Mais donner à Dieu la première place tout en obéissant aux lois de la République paraît inconséquent pour beaucoup de musulmans. Cette démarche de la pensée demande un long apprentissage. L’Église a mis des siècles pour ne plus confondre pouvoir temporel et pouvoir spirituel. Aujourd’hui encore elle semble, dans certaines circonstances, obéir sous la contrainte. La demande des messes pendant le confinement en est la preuve. Récemment trois évêques semblaient dans leur déclaration vouloir revenir sur le droit au blasphème qui est un droit fondamental pour notre démocratie et notre laïcité.
La position de ceux qui voudraient éviter d’offenser les musulmans et les autres en général est très respectable. J’y souscris pleinement. Nous devons tous inviter à une telle attitude à l’égard de qui que ce soit, y compris nos ennemis si nous voulons suivre les paroles de Jésus. Mais une telle invitation ne sera jamais respectée par tous. Charlie Hebdo est de ceux-là. Faut-il pour autant le censurer au risque d’abîmer la liberté de penser et d’expression ? Chaque religion, chaque français, mais aussi tous les humains, devront apprendre à vivre, avec ces écarts qui parfois les offensent, sans jamais envisager la vengeance en retour. Les religions ont tout à y gagner. La critique et l’écoute des autres ont permis au christianisme de progresser. Les français y trouveront la paix et construiront « le vivre ensemble » indispensable à l’unité de la nation. Enfin, tous les humains en sortiront grandis parce que dominer ses blessures, c’est devenir plus fort. Supporter l’insupportable est le témoignage d’amour le plus puissant que l’on puisse porter à son prochain. C’est s’ouvrir sur un monde que l’on ne connaissait pas ou que l’on refusait.
Pour conclure, je dirai qu’ici la tolérance et le pardon doivent aller à ceux qui ont provoqué la haine volontairement ou par naïveté parce qu’ils voulaient amener leurs lecteurs et interlocuteurs à la réflexion avec plus de lucidité. Et non au méchant-violent qui veut imposer sa loi sous peine, en cas de refus, de tuer. Lui ne veut ni penser ni réfléchir.
Serge Soulié
Serge,
Plus tu vieillis, plus tu te bonifies. Je lis toujours ce que tu écris avec le plus grand intérêt.
Merci.
Avec plein d’amitié,
Jacques Walter
Merci Jacques.
J’ai communiqué à Serge.
Bien à toi.
Alain