De nouvelles pratiques de soin, et d’accompagnement, se développent dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, utilisant les robots dans la relation entre les professionnels et des personnes âgées, ou en situation de handicap, et des enfants. Le robot Paro®, petit robot en forme de bébé phoque, blanc, duveteux, est entré depuis juillet 2014 dans une centaine d’établissements en France. Développé au Japon, son usage en Europe était jusqu’ici surtout connu dans les pays scandinaves. Il a montré, dans les études cliniques menées depuis 2001, qu’il a la capacité de pouvoir apporter du bien-être et de diminuer le stress de personnes atteintes de maladies neuroévolutives. Il trouve sa place dans la diversité des approches non médicamenteuses. Pourtant des voix se font entendre pour en dénoncer l’usage, l’accusant de relation déshumanisée, superficielle, trompeuse, infantilisante. C’est comme si, avec lui, on avait franchi une barrière symbolique et morale, comme si les univers fictionnels de la littérature, et du cinéma, où le robot en tant qu’objet devient un véritable partenaire de relation, étaient devenus réalité.
Il faut accueillir tous les points de vue, et le sentiment de déshumanisation de la relation peut conduire un professionnel à ne pas vouloir l’utiliser, se sentant exclu, expulsé, de la relation directe à la personne soignée, accompagnée. Le rejet peut tenir aussi du sentiment d’agir contre ses principes, ses valeurs. Les critères de jugement négatif (dissimulation, simulation, infantilisation, coût) reposent sur les seules caractéristiques de l’objet technique sans prendre en compte la façon dont il se met en place dans le champ des pratiques de soins, dans la relation à la personne soignée, ou accompagnée. Le robot dissimule une présence, une réalité, celle des éléments techniques. Sa ressemblance, est jugée bonne ou mauvaise, selon sa conformité du dehors à l’animal-modèle qu’il représente. Il simule une absence, celle d’une émotion qu’il n’a pas, mais que son modèle vivant, humain ou animal, possède. Il affirme et brouille les repères du naturel et de l’artificiel, du vrai et du faux. Enfin son prix indicatif est élevé autour de 7000 euros. Quant au risque d’infantilisation, il reste plus couramment constaté avec le langage utilisé pour s’adresser aux personnes. Ici, ce risque est lié à l’aspect de jouet, de « peluche » animée. Le robot permet de renouer avec l’esprit d’enfance, la joie du faire semblant, du faire « comme si ».Est-ce infantiliser la personne soignée, accompagnée, que de lui permettre de renouer avec son monde imaginaire quand le « Je sais bien que c’est un robot mais quand même… » induit le « faire comme s’il m’entend, il peut me répondre » ? Peut-on refuser le plaisir de l’illusion quand il n’est pas illusion de plaisir ?
Principes, représentation non critiquée, de ce qu’est l’humanité de la personne soignée, accompagnée, et l’humanité de la relation, peuvent cliver une équipe ne partageant pas les mêmes valeurs. Ils exposent aussi les familles, les proches, les visiteurs, au risque d’une interprétation de ce robot déconnectée de ce que vivent les professionnels. Toutes ces tensions sont celles d’un usage qui n’a pas fait l’objet d’une réflexion collective préalable. Cette recherche collective de sens commun, préalable à l’usage du robot, est une entrée dans l’éthique et a un effet sur la vie sociale dans l’établissement.
La médiation robotique est une co-expérience sensible, à la fois sensorielle et imaginative, tant du point de vue du soignant que de la personne soignée, ou accompagnée. Elle améliore la communication verbale et non-verbale, et permet à chacun de se ressentir, et de se reconnaitre mutuellement comme êtres humains sensibles.
Dr Nelly Le Reun, gériatre, Référent Handicap vieillissant
Cet article a été publié dans la revue de la Fondation John Bost, Notre Prochain, Décembre 2020, #382
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