Théologie

« L’Europe a besoin d’un cœur et d’une âme »

« L’homme bon, du bon trésor de son cœur, fait sortir du bon, et le mauvais, de son mauvais trésor, fait sortir du mauvais ; car c’est de l’abondance de son cœur que sa bouche parle. » Luc 6.45 (NBS)

En 1990, Jacques Delord, alors président de la Commission européenne, interpelait ainsi les Églises : « l’Europe a besoin d’un cœur et d’une âme ». Conscient que l’interdépendance économique ne suffisait pas à rendre l’Europe solide et pérenne, il les appelait à participer à la construction symbolique de l’Europe, à œuvrer pour donner du sens et à créer un attachement à l’Europe.

A cet égard, l’engagement des Églises, qui avaient maintenu les liens entre elles par-delà le Rideau de Fer, était un exemple de ce qu’une conviction partagée peut contrer un projet politique diviseur. Créer une communauté de valeurs, un sens de responsabilité mutuelle et un esprit de service, était pour Delors, lui-même catholique, un projet pour l’Europe dans lequel les Eglises pouvaient être moteur.

On constate aujourd’hui que l’institution ne suffit pas, l’Europe est largement vue comme « technocrate », et seuls les expatriés et les jeunes les plus éduqués se sentent plus Européens que Français ou Allemands, et encore, seulement en Europe de l’Ouest. Le projet européen est fragilisé de ce que le projet économique n’a pas su déboucher sur un projet social, faute de volonté politique, et faute de culture commune et de confiance. Le citoyen lambda demande aujourd’hui des comptes, lassé de n’être considéré que comme un consommateur, un contributeur fiscal et un électeur occasionnel. A l’interdépendance, il faudrait ajouter la confiance. Or la confiance se crée par des petits gestes montrant que l’on prend l’autre en compte, qu’il n’est pas un numéro de dossier mais une personne inscrite dans une histoire et un contexte, à qui on donne la parole… et par un projet commun. A quand une « Europe des valeurs », un projet moral autant que politique ? Je n’entends pas le mot « moral » dans le sens d’une norme de vie mais dans le sens d’une recherche collective de la « vie bonne »[1].

Les Églises européennes œuvrent dans ce sens. La Conférence des Églises européennes fait beaucoup de plaidoyer auprès des institutions européennes (Conseil de l’Europe et Union européenne) pour la justice, en particulier la justice sociale, la justice climatique et l’accueil des exilés. Ce plaidoyer est un des rares lieux où la collaboration entre catholiques, orthodoxes et protestants se fait de façon très régulière, avec souvent des positions communes. La région Europe de la Fédération luthérienne mondiale réfléchit également sur la diaconie comme « recherche de convivialité », pour conjuguer vivre-ensemble, vocation (chacun est un don de Dieu), justice (pas seulement économique) et dignité (vie sociale et relationnelle)[2].

Claire Sixt-Gateuille

Pasteure responsable des relations internationales de l’EPUdF

[1] On peut lire sur le sujet « Morale minimale, Morale Maximale » de Michael Walzer, Bayard, 2004.

[2] https://www.lutheranworld.org/content/resource-seeking-conviviality en anglais, allemand et russe.

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Claire Sixt-Gateuille

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