Éthique Théologie

Les dix commandements de la lutte contre l’antisémitisme

Ele pekoudei hamishkan (Exode 38 :21), telles sont les instructions pour le tabernacle, et nous voici lisant la dernière parasha du livre de l’Exode, avant d’entrer dans le cœur de la Torah, le livre du milieu, le Lévitique. La racine pakad revêt de nombreux sens, du souvenir, à la justice et à la précision, lifekod nommer, appointer. Alors nommons les choses et ensemble, traçons le chemin que nous devons parcourir. Je suis convaincue que tout n’a pas été fait pour lutter contre l’antisémitisme. Je vous propose d’élaborer les « Les dix commandements de la lutte contre l’antisémitisme ».

Le premier commandement  serait de se rappeler de l’histoire et de l’enseigner. Cela est amplement fait mais sans doute, cela n’est plus audible. Pourquoi ? Il ne s’agit pas de s’arrêter d’enseigner l’histoire mais de la rendre présente et vivante. Rappeler l’histoire n’a de sens que si l’histoire est la racine d’un arbre vivant, non d’un arbre mort. S’il faut se souvenir de la Sho’a et de toutes les persécutions contre les juifs, les juifs ne doivent pas pour autant être enfermés dans un statut de victimes. Car, si les juifs ont sans doute souffert plus que n’importe quel autre peuple, se plaindre de ses souffrances devient très vite insupportable. On entre alors dans une concurrence des mémoires, où chacun crie sa souffrance dans une cacophonie de « moi j’ai plus souffert que toi et j’ai le droit d’exister plus que toi », où la souffrance légitime l’existence. Ce n’est pas la souffrance ou le statut de victime qui nous donne le droit d’exister, c’est ce que nous portons comme valeurs qui peuvent apporter à toute l’humanité.

2ème commandement : apprendre et enseigner. « Simplement parce qu’ils étaient nés juifs » lit-on sur les plaques commémoratives des murs des écoles. Oui mais sait-on ce que signifie le mot « juif » ? Si le juif n’est qu’une victime, sa définition est en creux comme celle de Jean-Paul Sartre. C’est un juif désigné par la haine des autres et la victimisation. L’insulte le définit, les croix gammées taguées sur les tombes, la désacralisation. Le juif est celui que l’on n’aime pas. Dès lors, il incombe aux juifs de savoir parler de leur judaïsme en relief, irrigué par les versets bibliques et la sagesse talmudique, l’humour et l’art de raconter des histoires, un judaïsme qui défend l’égale dignité de tout être humain parce qu’il a été créé « à l’image de Dieu » (Genèse 1 :27), qui propose un projet de société non pyramidale, où chacun a sa place et sa mission, où personne ne peut soumettre l’autre d’un regard inquisiteur ou supérieur ; un judaïsme qui a le premier, à l’époque talmudique quasi abrogé la peine de mort car la vie est un cadeau précieux que nous devons apprécier. Un judaïsme qui dit qu’aucun Dieu ne peut exiger la mort de ses fidèles, un judaïsme qui demande que tous s’arrête un jour par semaine sans distinction d’origine, de statut, ou de rang dans la société. Le mot « juif » signifie remercier, s’émerveiller.

3ème commandement : Dans cet effort d’enseignement, il nous faut aussi déconstruire les préjugés un par un et procéder à notre autocritique. La notion d’élection a toujours été source d’incompréhension. Moïse Maïmonide ne disait-il pas que « tout être humain investit d’une mission est un ange » (Guide des Egarés). Chaque être humain est choisi, chaque peuple est élu et il n’y en a pas qui soit plus élu que les autres. am segoula (Exode 19 : 5) qui a été traduit par élu pourrait être traduit par adaptable. Un peuple ayant la capacité de s’adapter. Et dans la mosaïque de l’humanité chacun a un rôle, une spécificité et des pépites intérieures capables d’apporter une étincelle supplémentaire à l’humanité.

4-ème commandement : cesser de dire que la conversion au judaïsme n’est pas possible. Il ne s’agit pas de faire du prosélytisme. Mais le judaïsme n’est pas un club privé par lequel on ne serait adopté que par la naissance. De tout temps on a pu, quand on l’a voulu, adhérer au judaïsme et devenir juif. Si le judaïsme a subsisté, c’est parce qu’il est une philosophie de l’action, un modèle de pédagogie de l’expérience, un hymne à la vie, et également parce que tout au long de son histoire de nombreuses personnes se sont converties au judaïsme, non pas forcées mais séduites par ses idées, son mode de vie, son éthique à la fois particulière et universelle.

5ème commandement : Il nous faut savoir expliquer pourquoi Israël, le pays, la terre, est l’objet d’un attachement plusieurs fois millénaire des juifs. Non pas comme simple refuge pour les juifs après la seconde guerre mondiale, mais comme terre foulée par les pieds de nos ancêtres, décor de notre histoire, lieu de renaissance de l’hébreu, la langue du judaïsme, lieu de vie du judaïsme comme la diaspora, lieu de renouvellement d’interprétation et d’inspiration. Il ne s’agit pas de politique mais l’âme juive trouve des racines, un de ses  foyers sur cette terre mentionnée quotidiennement dans nos prières.

Il nous faut aussi faire connaitre tout ce que cette petite démocratie du Moyen-Orient fait de bien, dans ses découvertes scientifiques, dans son aide d’urgence de l’humanité, dans ses initiatives de paix et de dialogue, dans le fait que ses médecins soignent les terroristes en fonction de l’urgence de leur état mais pas de leurs actes. Ré-informons, partageons, et  encourageons toutes ces belles initiatives à qui les media tournent le dos.

6ème commandement : ouvrir nos synagogues – A l’heure où, blessés, nous pouvons avoir tendance à nous replier sur nous-mêmes, nous devons précisément tendre la main aux autres. Chaque année une classe de l’école élémentaire laïque voisine vient nous rendre visite, comme elle va visiter d’autres lieux de culte. Aller chez l’autre permet de l’humaniser, de découvrir ses symboles, comprendre qui il est. Lorsque l’autre est un étranger, il m’est étrange, lorsque je romps le pain avec lui, que je rie, que je pleure, que je chante avec lui, il devient mon ami, je réduis les distances, je combats les démons de l’ignorance, la peur de l’inconnu.

7ème commandement : connaissance des religions et de l’interreligieux – Et plus largement, ces visites et la connaissance des religions et du dialogue interreligieux devraient être obligatoire dans toutes les institutions d’enseignement laïc dès le plus jeune âge. Ce sont des spécialistes qui devraient en être chargés. Malgré tous les efforts des enseignants, les religions sont enseignées de l’extérieur, d’un point de vue sociologique ou anthropologique, comme des objets d’étude et non des sujets. Ce sont des imams, des prêtres, des popes, des pasteurs, des rabbins, des moines bouddhistes formés au dialogue interreligieux et à la laïcité qui devraient ensemble intervenir pour parler de ce qui les fait vivre au quotidien et qui les inspirent tout en intégrant la démarche scientifique. Leur discours modérés et universitaires alliant science et religion sera le seul audible par ceux de nos enfants, à l’école laïc, qui ont une spiritualité.

8ème commandement : réhabiliter la spiritualité – De tout temps les êtres humains ont été des êtres de spiritualité, cherchant un sens à leur vie. Aux cotés des  pratiques sportives et des matières intellectuelles, les grandes écoles de spiritualité devraient être enseignées. Le bien être de l’être humain s’appuie sur le sport, le travail, le lien social et la spiritualité. Si les théories de psychologie, de philosophie et de politiques sont apprises, pourquoi pas les idées motrices des religions, celles-là même qui ont inspiré la société laïque et Républicaine.  Notre culture française prend ses racines dans la Bible et l’histoire religieuse, comment comprendre des expressions comme « je ne le connais ni d’Eve ni d’Adam », « l’attrait du fruit défendu », « c’est du pain béni », « faire son chemin de croix » « la baraka » si l’on ne connaît pas ce que la culture générale devrait inclure. La République est déracinée si l’on fait fi de ses racines religieuses.

9ème commandement : ne pas détenir la vérité – Nous devons cesser de croire que religieux ou non nous détenons la vérité ; au nom de cette Vérité, de nombreuses violences ont été commises, au nom de Dieu ou de l’athéisme, de textes saints ou de textes de références. Nos livres ne peuvent être tachés de sang. Je dois pouvoir dire que je suis en quête de sens et non détenteur de la vérité. Que je suis « le gardien de mon frère » quelque soit sa couleur de peau, son origine, ce en quoi il croit, quel Dieu il prie ou ne prie pas.

10ème commandement : agir ensemble – Le temps a passé depuis que les religions ont été mises aux bancs de l’école, considérées comme opium, balivernes, inepties, superstitions. C’était une nécessité pour limiter leur pouvoir. Mais un effet secondaire et inattendu a été le développement de toutes sortes d’excès, de dévoiement, et de radicalisme que nous devons tous ensemble combattre, laïcs et religieux. C’est ensemble que nous devons unir nos forces pour le faire. Et les discours et la répression ne suffisent plus. Les manifestations n’ont plus d’impact. Il nous faut agir et ne pas seulement dire. Catholiques, protestants, chrétiens orthodoxes musulmans, bouddhistes, juifs, athées, scientifiques et philosophes, entrepreneurs et poètes, tisserands et orfèvres, tous, agir ensemble contre la pauvreté, contre la faim, contre la violence, contre les maladies, pour l’environnement, contre le racisme, la xénophobie, le sexisme, l‘homophobie et toutes sortes d’exclusion, fléaux de notre temps : chaque fois qu’un visage humain est froissé, humilié, violenté pour lui redonner sa dignité et son sourire et construire tous ensemble un monde meilleur.

Ele pekoudei hamishkan (Exode 38 :21), au moment où nous traçons les lignes du mishkan, du sanctuaire, avec précision, n’oublions pas de construire ce Tabernacle dans nos cœurs et dans nos âmes en faisant de notre monde, un monde d’humanité éclairée.

Rabbin Pauline Bebe –Communauté Juive Libérale-Ile de France

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Pauline Bebe

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