Cet écrit est l’aboutissement d’une pratique professionnelle et d’une expérience personnelle en tant qu’éducatrice spécialisée puis cadre intermédiaire auprès de personnes fragilisées par un handicap mental ou psychique. Je me réfère surtout aux dernières années de ma vie professionnelle passées auprès d’adultes vivant en collectivité dans une structure proposant plusieurs modes d’hébergement : chambre, studette et studio, selon le niveau d’autonomie des personnes. Je ne ferai pas le tour de tous les domaines de l’accompagnement mais je m’attacherai à cerner ce que représente pour moi la relation entre un accompagnant et un accompagné et ce vers quoi elle tend.
Être accueillie et vivre ensemble
Le climat d’accueil est porté par tous, salariés et résidents. En arrivant à la « Maison Heureuse » ( ça ne s’invente pas ! c’est le nom de l’établissement depuis les années 50, alors que c’était une maternité) vous trouverez toujours quelqu’un pour s’occuper de vous.
Accueillir, c’est une manière d’être et une posture qui place l’autre au centre. C’est un regard posé sur la personne pour ce qu’elle est, reconnue dans ce qu’elle a d’unique. Cela restaure la personne vulnérable dans son unité et la rend peu à peu disponible à entrer en relation, en vue de tisser des liens durables. Cet enracinement affectif nourrit les ressources intérieures dans lesquelles elle va puiser l’énergie pour une vie amicale et sociale correspondant à ses besoins.
Le groupe qui cohabite sous un même toit ne peut être une juxtaposition d’individus indifférents. Il doit devenir lieu de rencontres et de relations. Chacun est là avec ses préoccupations, ses questions, son désir de partager ce qui occupe son esprit. Ils parleraient tous à la fois si l’accompagnant ne régulait pas la prise de parole. L’unité du groupe se fait avec l’aide de l’équipe éducative qui rend les personnes attentives les unes aux autres. Ensemble, résidents et encadrants vont créer un esprit de convivialité et de partage.
Accompagner, c’est « faire du chemin avec »
Étymologiquement, le compagnon est celui « qui partage son pain ». Dans le travail éducatif il s’agit de partager d’autres réalités objectives ou subjectives.
« Faire avec » est une manière privilégiée de partager des choses concrètes : faire la cuisine, ranger son logement, compter son argent, remplir un document… Sur le plan subjectif, c’est partager des émotions, des états d’âme…
Et puis on peut aussi faire la fête, ça fait tellement de bien et les occasions ne manquent pas !
En accompagnant une personne on découvre sa vie privée, son intimité dans les échanges inter-personnels. Cela demande un respect profond pour l’autre : « que tu puisses être toi », l’accompagnant va l’aider à grandir en responsabilité, à mieux s’accepter, à découvrir la valeur de sa vie et que la possibilité d’être heureux lui appartient !
La personne en situation de handicap est porteuse d’une vie plus forte que ses incapacités. Elle dispose d’un potentiel spécifique, même si elle n’a pas les mêmes capacités intellectuelles et la maîtrise de ses actes. Ainsi Emmanuel est « le garant » des liens avec ceux qui ont quitté la maison.
Avec sa question récurrente « tu as des nouvelles de untel ou de tel autre », il nous encourage à lui téléphoner pour savoir ce qu’il devient. Si on ne le fait pas, il reprendra sans se lasser cette même question. Il peut devenir plus direct : « tu l’appelles quand ? »
La personne est associée, chaque fois que possible, aux rencontres qui la concernent. Elle est au cœur de ce qui se dit et s’exprime avec le soutien de son référent. Son avis est pris en compte dans ce qui se discute.
À un moment donné « le projet personnalisé » a été de rigueur dans l’accompagnement éducatif. Notre principe était : quand la personne a les yeux qui brillent en évoquant un projet, c’est le bon ! Ainsi David, toujours habillé de sombre, a voulu s’acheter une chemise à fleurs, projet simple, facile à organiser mais pas anodin pour la suite.
La rencontre est le lieu de l’écoute
Il va falloir s’apprivoiser mutuellement pour bâtir la confiance. Le lien qui s’établit est celui de la solidarité. Il s’agit d’une relation qui doit faire du bien. Si je t’écoute, je suis là pour entrer en relation avec toi. La rencontre se fait de personne à personne, « entre un cœur et un cœur » disait Jean Vanier. A l’Arche, disait-il, « nous espérons qu’une rencontre deviendra amitié, qu’une amitié deviendra fidélité, qu’une fidélité deviendra une alliance et une promesse ».
Dans cette rencontre, je n’ai pas le pouvoir, ma responsabilité ne s’exerce pas dans « la toute puissance » mais dans une attitude de compréhension bienveillante.
Entre posture personnelle et professionnelle
L’accompagnant est un professionnel. Il fait partie d’une équipe pluridisciplinaire. Ensemble ils ont le souci d’une compréhension globale de la personne pour y déceler certaines clés de son histoire, de sa personnalité, de sa souffrance, de ses espoirs. Chacun entre dans la réflexion commune, se sent soutenu et accompagné dans son travail.
La présence de l’équipe éducative assure à la personne une protection morale et physique ce qui lui permet de se sentir en sécurité.
L’accompagnant doit connaître la juste distance dans la relation, ni trop près, ni trop loin, afin de laisser à la personne accompagnée un espace de respiration et de création.
La fragilité comme richesse
Quand Martine demande un entretien à son éducatrice, elle ne prend pas de détour pour exposer ce qui l’amène. Elle livre des pans douloureux de sa vie, partage des questions existentielles et attend des réponses. Répondre est un « exercice » difficile qui demande tact et discernement, dans un parler vrai.
La relation à la personne fragile nous transforme, nous révèle à nous-mêmes et nous amène à accueillir nos propres fragilités.
Ainsi renvoyés à ce qui nous constitue : notre histoire, nos croyances, nos aspirations, nos failles, nos limites, nous mettons tous ces aspects en travail pour avancer dans notre croissance intérieure, dans nos relations et dans notre vie.
Parler de la fragilité c’est reconnaître que le rapport entre nos forces et nos faiblesses fonde toute vie et influence notre relation à l’autre et à nous-mêmes.
La fragilité peut s’inverser en force et alors, par elle, passe la plus grande force : la lumière !
Janine Mollet
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