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Horsta, la « Rouge »

Horsta Krum

L’histoire d’Horsta Krum n’est pas commune. Elle est née en 1941, à Torgau, une petite ville de Saxe marquée par la guerre. Au début des années 50, sa famille se retrouve en Westphalie. et c’est à Düren qu’Horsta termine sa scolarité et qu’elle prendra la décision de s’orienter vers la théologie.

Des études à Bonn et Berlin

L’Allemagne des années 60 est en pleine reconstruction. C’est dans un contexte de grand questionnement, que la jeune étudiante fait ses gammes en théologie. Elle se trouve à la faculté de Bonn dans l’héritage prestigieux de Barth, de Bonhoeffer et de l’Église confessante. Mais c’est à Berlin plus qu’à Bonn que les enjeux de l’Allemagne de l’après-guerre se jouent. Elle se rapproche alors de Berlin. Elle est curieuse de ce qu’il s’y passe, elle y multiplie les rencontres avec les anciens de l’Église confessante mais aussi, à Berlin-Est, avec des chrétiens immergés dans le contexte d’une société socialiste. Sa quête est incessante. Elle terminera ses études à Berlin. On est en 1968. Tout bouge. Elle se marie avec Ulrich, un compagnon de parcours, étudiant en théologie comme elle.

Pasteure à la Französische

C’est alors que les planètes vont malicieusement s’aligner pour Horsta. Comme femme mariée, le chemin vers un poste paroissial dans l’Église protestante unifiée de Berlin Brandebourg lui était impossible. C’était la règle. Pourtant, elle voulait être en paroisse, elle s’y était préparée. De son côté, l’Église Huguenote de Berlin cherchait un pasteur. L’Église Française vivait sous un statut d’autonomie et n’était pas soumise à la règle qui interdisait aux femmes mariées de s’engager dans un ministère paroissial. De plus, c’était une Église qui, du fait de son histoire ancienne dans Berlin, était implantée à l’Est et à l’Ouest. Il était donc essentiel pour les Huguenots de pouvoir recruter un pasteur qui aurait la possibilité de circuler entre Berlin-Ouest et Berlin-Est. Les Berlinois d’alors ne le pouvaient pas. Ils étaient cantonnés à l’Est ou à l’Ouest. Horsta, en tant que citoyenne de la République fédérale, possédait un passeport et pouvait franchir la frontière. C’est donc dans ce contexte d’un Berlin fracturé et avec l’idée qu’elle était bien la personne qui pourrait favoriser des rapprochements, qu’elle fut nommée en 1970, comme pasteure de l’Église Française de Berlin.

Un ministère de médiation

Elle restera dans ce poste de l’église Française pendant vingt ans. Tout au long de ces années, elle orientera son ministère dans le sens de ce qui, depuis Torgau, l’a toujours mobilisée, la paix, l’unité, le dialogue. Ainsi, elle construit des ponts, elle répond à des sollicitations, elle fait se rencontrer les Églises de l’Ouest et de l’Est, elle permet des rencontres de catéchumènes, elle propose des échanges de chaire. Autant d’événements, espérés et soutenus par beaucoup, qui vont faciliter et permettre un vrai rapprochement ! 

Elle ne manque pas, à travers ces activités, de se faire remarquer par les autorités, autant à l’Est qu’à l’Ouest. Les Églises réformées iront jusqu’à lui confier le rôle de confiance de « Modérateur », ce qui lui donne d’être membre du Conseil de l’Église unifiée de Berlin-Ouest, une fonction qui lui ouvre l’accès à de très nombreuses informations sur la vie des Églises de Berlin et du Brandebourg.. Tout au long de ces vingt années, elle vivra un ministère intense, entièrement tourné vers le rapprochement, le dialogue et le service de la paix et de l’unité.

Un gros dossier à la Stasi

En 1990, avec la réunification des deux Allemagnes, les dossiers de la police secrète de la RDA sont ouverts. Le pasteur Joachim Gauck, devenu député et qui sera plus tard président de la RFA, est alors nommé par le Parlement comme « Commissaire des Archives de la Stasi ». Il lève le voile sur les activités de la police secrète et met à jour les dossiers litigieux. Le dossier de la pasteure de la Französische est épais. Tout y est scrupuleusement noté, ses visites, ses contacts, ses prises de parole, ses publications. Il y a bien sûr du vrai et du faux. On lui reproche sa proximité avec le régime, ses affinités idéologiques mais aussi le fait d’avoir livré des informations sur la vie des Églises et d’avoir donné des renseignements sur des personnalités religieuses. La presse et les media s’enflamment. Elle est dénoncée, montrée du doigt, mise au ban. On la dénonce comme « la pasteure rouge », celle qui « aurait trahi son camp ». À Berlin, ça brûle vraiment ! Pour éteindre l’incendie, elle décide alors de démissionner de son poste de pasteur de l’Église Française, mais cela ne suffira pas puisqu’elle devra renoncer, en 1995, à son statut de pasteur de l’Église Protestante de Berlin-Brandebourg. 

Pasteure aux Terreaux, à Lyon

Ses relations anciennes avec l’Église Réformée de France (ERF) vont alors lui permettre d’être reçue par la Commission des ministères de l’ERF qui la reconnaîtra comme ministre de l’Église Réformée de France. Ce fut une décision difficilement comprise du côté de Berlin. Des clarifications furent nécessaires. Elle sera ainsi accueillie comme pasteure dans la paroisse des Terreaux, à Lyon, et y restera pendant dix années. Depuis Lyon, sa connaissance et son attachement à l’histoire des Huguenots la rapprocheront des lieux de mémoire et notamment du Musée du Protestantisme de Poët-Laval. Aujourd’hui, le climat s’est calmé à Berlin. Elle peut y vivre sereinement. Elle reste profondément reconnaissante à l’égard des Églises de France et donne chaque année une partie de son été au Musée de Poët-Laval.

Alain Rey

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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