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Gilbert Charbonnier : Témoin d’artisans de paix dans les drames et les déchirures de la guerre …

Gilbert Charbonnier

Gilbert Charbonnier – Appelé – De mai 1958 à août 1960.

  • Aumônier militaire remplaçant, à Batna et Sétif de septembre à décembre 1958
  • Aumônier militaire – 20° DI (ZSA) à Médéa, de janvier 1959 à août 1960
  • Desservant de la paroisse protestante de Blida pour la dissémination de la Zone-Sud-algérois,

sous l’autorité de la pasteure Elisabeth Schmidt.

 

Affecté au service de l’aumônerie, à Sétif

Après cinq ans et demi d’études de théologie, qui m’avaient valu un sursis, j’arrivai en Algérie pour mon service militaire, à Sétif-Aïn-Arnat. Après quatre mois d’instruction, plus quelques semaines en tant qu’instructeur, je fus affecté au Service de l’Aumônerie protestante dans l’urgence du pourvoi de postes vacants. Toujours 2ème classe, je dus apprendre à me comporter comme un officier du fait des nouveaux insignes quii ornaient mon uniforme !

Les quatre premiers mois furent occupés par des remplacements à Batna auprès d’un collègue titulaire immobilisé par une phlébite, mais plein d’expérience et de bons conseils me permettant de découvrir cette fonction dans une situation d’armée en campagne, de quadrillage territorial, d’embuscades, de routes minées, et d’opérations meurtrières.

L’aumônier devait aller d’une unité à l’autre au contact des militaires protestants (appelés ou de carrière) disséminés et faisant l’expérience de conditions de vie et d’événements très divers. Beaucoup de déplacemets en convois dans des secteurs plus ou moins sensibles, comme le massif des Némentcha autour de Khenchela, ou moins violentes comme les abords du Sahara, dans la région de Biskra. Vie entièrement occupée par le service, dans l’éloignement familial, avec son inconfort, et toutes les dérives compensatrices pour un bon nombre.

Il y eut ensuite une sorte d’épreuve pratique de conclusion de formation avec l’affectation à nouveau dans la zone de Sétif pour une courte période de présence d’aumônerie à l’occasion de la période de Noël et de la fin de l’année 1958.

Aumônier de la 20° DI, à Médéa

Le résultat fut sans doute jugé satisfaisant, et je fus nommé, début de janvier 1959, à Médéa, au poste d’aumônier de la 20° DI, Zone Sud-Algérois, la plus étendue du pays, hormis le Sahara. De plus, je me trouvais chargé de la dissémination protestante civile du secteur. Il fut convenu que je résiderai dans l’annexe paroissiale que l’Église réformée de Blida possédait dans la ville. Son pasteur, Élisabeth Schmidt, devint mon tuteur pour la partie civile de mon service. J’eus ainsi l’occasion de vivre une sorte de proposanat informel. J’y appris bien plus que lors du stage institutionnel en Alsace, qui suivit la libération de mes obligations militaires, en dépit de la grande amitié qui me lia à mon directeur.

Les vingt mois que durèrent ces activités (jusqu’à août 1960) furent une période pleine d’intensité et d’expériences extrêmes. Elles m’ont accompagnées, et servies de référence, tout au long des quarante quatre années de service pastoral, qui ont suivi.

Ces fonctions pastorales à double face, civile et militaires, me donnèrent le privilège d’une double lecture de cette période cruciale allant de la fin de la IVème République à l’entame des négociations avec le FLN et à la crise de l’OAS.

À Médéa, je logeais donc dans un immeuble civil, où j’étais le seul résident d’origine européenne, et de plus j’étais en uniforme militaire …

Cela ne m’empêcha pas d’y nouer des liens de voisinage et de respect mutuel. Selon mon cahier des charges paroissial, le culte (chrétien) était célébré deux fois par mois réunissant quinze à vingt personnes, avec sa liturgie et ses chants. De plus, une fois par mois, j’accueillais pour un week-end huit à dix militaires appartenant à des unités du secteur et bénéficiant d’une permission à cet effet. Une occasion pour eux de décompresser un peu en racontant ce qu’ils avaient vécu, vu, fait, risqué, supporté. C’était parfois très dur et lourd, plein de questions et de peurs, tout en plaisantant, chantant et chahutant un peu. Et pourtant jamais la moindre tension ressentie dans l’immeuble. Certains semblaient même compendre le malaise de ces jeunes …

Il y a partout des artisans de paix et de justice…

Pour résumer en une phrase ce que j’ai ramené d’Algérie, de ce service pastoral en situation de guerrilla radicale, sans répit ni pardon, c’est qu’il y a partout des artisans de paix et de justice ; dans tous les milieux, dans toutes les composantes de la société. Les drames de la guerre et de la haine sont habités par des témoins d’humanité, de pardon et de relations fraternelles possibles.

  • Je me souviens de cet pfficier SAS (Section administrative de Sécurité) respectueux des paysans locaux, donnant de sa personne, faisant tout et plus pour construire un avenir avec eux, dans l’espoir d’une juste paix.
  • Je me souviens de la solitude de cet officier général, fervent catholique, soucieux d’humanité et de justice dans son commandement.
  • Je me souviens de médecins et d’infirmers à l’écoute bienveillante de leurs malades victimes de la violence militaire.
  • Je me souviens de ce sous-officier, forestier dans sa vie civile, qui travaillait à la reforestation de son secteur avec les harkis qu’il commandait, au-delà de sa mission de défense.
  • Je me souviens de ce duo franco-néerlandais d’équipières de la Cimade, dont la Française, alors assistante de paroisse, m’avait fait le catéchisme, treize ans auparavant, à Marseille. C’était à Sidi Naâmane, trente kilomètre à l’est de Médéa, dans un des camps de regoupement, récemment ouvert par l’armée pour les paysans qu’on avait contraint de quitter leurs mechtas dans le bled. Elles habitaient un fourgon militaire désaffecté, sans eau ni électricité, véritable « four » sous le soleil estival ; elles apportaient là écoute, soins et tendresse aux femmes et enfants appeurés, et traumatisés par leur déracinement. Il arrivait aussi que les hommes leur fassent part secrètement de leurs rapports avec l’armée et de leurs douleurs.. Je me rappelle les partages d’évangile vécus avec elles, sous un olivier, à côté de leur fourgon-domicile, à quelques mètres des premières bâtisses du camp.
  • Je me souviens de ce paroissien, secrétaire général de la préfecture de Médéa, soucieux des droits et du service de la population. Il sera l’objet d’un attentat dans son bureau au moment des troubles de l’OAS.
  • Je me souviens de ce paroissien, viticulteur à Nelsonbourg (Si Mahjoub) dans le Massif du Mongorno, qui s’était réfugié à Médéa, en 1958, avec sa famille pour raison de sécurité dans une région de forte présence du FLN. Il y retournait régulièrement pour gérer le travail de ses ouvriers algériens, dans l’espérance que survienne une paix juste. Mais il était déjà en lui-même prêt à tout abandonner. Ce qui arriva. Il tint à me rendre visite en 1962, dans le Gard, dans une paroisse où je venais d’arriver, au moment de l’exode des pieds-noirs. Il allait chercher un point de chute éventuel en Ardèche, dans une totale incertitude.
  • Je me souviens de cette paroissienne âgée, fragile, avec un mari paralysé, vivant les événements un peu comme une bouteille flottant sur une mer agitée, prenant chaque journée comme un nouveau cadeau, peut-être sans lendemain.
  • Je me souviens de la création par la Cimade d’un dispensaire et d’une crèche dans un quartier pauvre de Médéa, au printemps 1960, inaugurés par le président de la Fédération protestante, Marc Boegner. Locaux que je n’ai moi-même jamais visités, afin que la présence d’un uniforme militaire n’y compromette pas le service auprès de la population.

Confiance, amour, espérance…

La litanie pourrait se poursuivre encore. L’historien la jugera bien insignifiante par rapport aux drames de cette guerre. Ce ne sont là que de petites graines de paix et de fraternité. Mais n’est-ce pas la tâche d’un pasteur que d’y prêter attention et de les accueillir ? La vie de la première communauté chrétienne de Corinthe n’occupe pas une grande place dans l’historiographie de la ville. Pourtant, grâce aux lettres de Saint Paul, sa connaissance est bien plus répandue dans le monde que tout ce que les historiens ont pu écrire de cette cité. Comme le leur avait écrit l’apôtre, la confiance (foi), l’amour et l’espérance appartiennent à « ce qui demeure », malgré les conflits et leurs souffrances, et au-delà des questionnements ou engagements éthiques, juridiques, politiques, théologiques, ou humanitaires, aussi pertinents soient-ils.

Gilbert Charbonnier
4 septembre 2020.

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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