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Gérard Delteil ou le silence de Dieu

Tous ceux qui connaissent Gérard Delteil savent que c’est un homme d’attachement. Pour lui, le lien ça compte. Ils sont nombreux ceux qui pourraient parler, en évoquant Gérard, de ce qu’ils ont eux-mêmes appris à son contact, autour du lien et de l’attachement. Sur le chemin de la rencontre et de l’amitié, ce sont en effet des liens qui se sont construits, qui se sont tissés dans le fil de la pensée échangée, qui ont été stimulés et confortés par des convictions et des événements partagés. Si bien que quand on rencontre Gérard Delteil, c’est un peuple qu’on rencontre, c’est un univers dans lequel on est accueilli.

 Une prédication

La couleur de cet univers nous est révélée avec son dernier ouvrage paru chez Olivétan, Par-delà le silence – Quand Dieu se tait. Ce n’est pas un livre banal. C’est un texte-univers, un texte-monde, un texte-peuple, un texte qui rend compte d’une vie tout entière, de ses liens, de ses attachements : « Ce qui est vrai, c’est que cela a été longtemps mûri. Cela fait des années que je le portais en moi« . C’est un texte qui tient de la réflexion théologique, biblique, sociologique, qui n’évite pas l’actualité à travers la question de la violence, mais qui tient aussi de la méditation ou de la prédication. C’est une prédication qui n’a rien d’un rituel, rien de religieux. C’est une balade méditative et spirituelle sur le parcours de vie d’un témoin de son temps. « Ce que tu dis, je m’y retrouve tout à fait, quand tu dis à la fois prédication et méditation. Je crois que c’est bien cela. En un sens, oui c’est une prédication. Profondément. Non dans le sens de vouloir endoctriner mais dans le sens où on est porté par une parole qui est une parole à transmettre« .

 Une communauté de pensée et de vie

Dans ce texte, on retrouve les liens et les attachements qui ont jalonné et fondé le parcours de Gérard. Ce sont des liens qui l’attachent aux penseurs, aux poètes, aux philosophes, aux artistes, aux théologiens d’hier et d’aujourd’hui. En fin d’ouvrage, l’index des auteurs fait état de plusieurs dizaines de noms. Ils sont invités dans la réflexion et le débat comme on le serait dans une conversation vivante. C’est une sorte de communion-conversation avec des poètes et des auteurs qui ne sont pas tous disparus. « J’ai tenu à ce qu’ils soient là. Ça fait partie de l’ouverture. Les chrétiens ont souvent récusé les paroles différentes ». Autour de cette table de l’amitié et de la pensée, beaucoup sont connus. Certains sont plus obscurs. Paul Ricoeur et Dietrich Bonhoeffer occupent une place de choix.

On trouve également dans ces pages la trace des liens qui l’attachent à ceux qui ont partagé sa route. Louis Simon est plusieurs fois cité : « J’ai cité pas mal de textes de Louis Simon. C’est un clin d’œil pour quelqu’un qui m’a beaucoup apporté et qui a beaucoup compté pour moi. C’était vraiment un frère ». Et puis, il y Paul – Paul Keller – ami depuis le lycée de Nîmes pendant la guerre : « Il est là dans ce livre parce qu’on a tellement partagé que je ne sais plus ce qui est de moi, ce qui est de lui… Le point de départ, j’en ai parlé avec lui, mais rapidement, parce qu’il était déjà fatigué… Je lui avais parlé du projet d’écrire sur le silence de Dieu en reprenant mes conférences de Carême. On avait eu un échange. Cela avait été malheureusement trop rapide parce qu’il était déjà touché par la maladie… »

Un attachement à la parole

Et puis ce qui est au cœur du cœur de ce livre, c’est l’histoire passionnée d’un attachement à la parole. Mais il faut bien s’entendre sur ce que représente la parole pour Gérard Delteil. Ce n’est pas quelque chose que l’on pourrait enfermer dans un dogme, dans une formulation, ou même dans une écriture. Elle est faite d’insaisissable. « Elle est à la fois le don qui nous est fait et le mystère qui nous échappe. Et même dans les interprétations données du « Je suis qui je suis ou qui je serai « , il y a l’idée que la parole se donne, mais d’une certaine manière c’est presque un refus de répondre. Cela peut s’interpréter comme je suis qui je suis comme pour dire « tu n’es pas capable de comprendre qui je suis et dans le fond ça ne te regarde pas ». « Je suis avec toi », c’est ce « avec toi » qui compte ». Pour Gérard, la parole est don ; elle est événement ; elle est mouvement ; elle se donne à être connue dans une relation ;  elle est altérité ; elle est à transmettre ; elle est surprise ; elle est l’inattendu ; elle est l’inespéré.

Ce combat existentiel avec l’insaisissable de la parole résume bien le parcours de vie et de ministère de Gérard Delteil depuis l’époque où il était pasteur à Saint-Gaudens : « J’ai beaucoup travaillé, à cette époque-là, avec des jeunes qui étaient marginaux, border line… ». Ou plus tard, comme animateur du Centre Recherche et Rencontre du Midi méditerranéen : « C’était une période extraordinaire, juste après 68. Il y avait une recherche, une ouverture, un intérêt dans la société ». Ou encore comme professeur à la Faculté de théologie de Montpellier : « Au début, la Fac je la ressentais presque comme un resserrement, non pas un enfermement mais un repli, par rapport à l’envergure de ce qu’on réalisait dans le Centre Recherche et Rencontre« .

 À l’écoute du silence de Dieu

Il n’était donc pas étonnant que ce passionné d’une parole transmise et vécue dans les marges et les interstices de la société s’interrogeât sur l’envers de la parole. Non pas sur la parole en gloire et en majesté telle qu’on la célèbre dans nos cultes mais sur la parole en timidité telle qu’on la recherche dans des altérités compliquées de la vie quand on est avec ceux qui cherchent, qui doutent, qui souffrent :  « Je sens le silence comme une dimension permanente de la foi ». C’est ainsi qu’il nous emmène à travers les psaumes, Job, le récit du combat de Jacob, le Cantique, le récit du tombeau vide de Marc, dans un parcours passionnant pour traquer le silence de Dieu, pour l’interroger, pour l’ausculter, pour essayer de percevoir au-delà de ce silence, un murmure, un petit quelque chose qui va porter l’espérance ; une espérance timide pour reprendre l’expression de Ricoeur.

Ce récit ne saurait se terminer sans évoquer le visage de Christiane. Elle est vive, pétillante, toujours en mouvement. Elle est pour Gérard une de ses attaches fondatrices. Elle est engagée dans ses propres combats, pour la cause des femmes notamment, et elle est partie prenante dans tous les « attachements » de Gérard.

 Alain Rey

 

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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