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Fernand Frantz : un centenaire étonnant !

Fernand Frantz

Dernier aumônier de l’armée française de la 2ème Guerre mondiale, encore en vie (écrit en mars 2021)

 

Un centenaire étonnant !

Fernand Frantz est un centenaire étonnant. J’ai eu le bonheur de le rencontrer dans son appartement de Toulouse où il organise sa vie de façon totalement autonome. Son épouse est décédée, il y a cinq ans. Il vit désormais seul avec un entourage affectif important, peuplé d’enfants, de gendres, de petits enfants et d’amis fidèles. Depuis sa retraite, il y a 35 ans, il occupe cet appartement toulousain. Il descend lui-même dans le quartier pour faire ses courses. Il n’achète rien d’industriel ou de « tout prêt », il cuisine lui-même et il entend se nourrir sainement. Avec le printemps qui revient, il reprend sa voiture pour se rendre à Cordes-sur-Ciel, dans le Tarn, où se trouve une maison de famille qu’il affectionne particulièrement. Il faut une bonne heure pour s’y rendre depuis Toulouse et il y va très régulièrement. Il y retrouve avec bonheur ses voisins et son jardin : « Je n’ai pas beaucoup écrit, dit-il, mais j’ai fait beaucoup de jardinage ». Quand il revient de Cordes-sur-Ciel, il veille à rentrer avant la nuit et il évite les heures du gros trafic urbain. Ce sont les limites qu’il s’impose en matière de conduite.

À cent ans, Fernand Frantz est un très beau monsieur. Son visage est lumineux. Rien ne trahit l’âge vénérable. Les yeux sont rieurs ; la conversation est fluide ; les mots lui viennent sans difficulté et l’humour n’est jamais très loin ; la mémoire est vive mais jamais pour en tirer un bénéfice personnel ; les convictions sont fortes et la vigueur pour exprimer un désaccord théologique ne manque pas ; l’accueil est fraternel et, après trois heures d’un partage soutenu, la fatigue ne semble pas l’atteindre. Il est né en avril 1921. Son Alsace natale était encore meurtrie par les déchirures humaines et sociales de la première Guerre mondiale. Un siècle le sépare aujourd’hui de cette naissance alsacienne ; un siècle d’engagements dans le ministère et d’événements qui, pour certains, sont hors du commun. Il accepte d’en parler avec une grande modestie, en précisant : « Surtout, n’en faîtes pas trop ! ».

Une enfance alsacienne

Son enfance alsacienne ne lui laisse pas des souvenirs extraordinaires. Il est issu d’un milieu modeste et les fils de la bonne société strasbourgeoise le lui font bien sentir. À un moment de sa scolarité, la pression sociale est si forte qu’il envisage même d’abandonner le lycée. Il poursuivra ses études grâce à son entourage, à ses éducateurs, aux pasteurs et aux mouvements de jeunesse et notamment au scoutisme. Au moment de sa confirmation, il sait déjà qu’il veut orienter sa vie vers le ministère pastoral. Il sera missionnaire. Les récits des missionnaires nourrissent l’imaginaire du jeune Fernand. C’est ainsi qu’après son bac, il s’inscrit à la faculté de théologie de Strasbourg.

La Brigade Alsace-Lorraine

On est en septembre 1939. L’Allemagne déclare la guerre à la France. L’Alsace est rapidement occupée. Strasbourg se vide de ses habitants et l’Université se retire à Clermont-Ferrand. Plusieurs centaines d’étudiants alsaciens se retrouvent alors en Auvergne. Dès l’armistice signé, les Allemands veulent reconstituer l’Université à Strasbourg et font pression pour que professeurs et étudiants reviennent. Fernand Frantz ne rentrera pas dans une Alsace occupée. Il restera en Auvergne comme de nombreux jeunes Lorrains et d’Alsaciens qui, dès 1942, vont constituer les maquis du Gers, de Corrèze, de Dordogne et du Lot. À Clermont-Ferrand, l’apprenti théologien retrouve la pasteur Paulo Weiss avec lequel il diffuse les textes des théologiens de l’Église confessante, Barth et Niemöller. Ils fournissent ainsi les armes de la résistance intellectuelle et spirituelle. Mais il n’en reste pas là. Au contact de Paulo Weiss, qui avait fait une préparation militaire supérieure, Fernand Frantz apprend les rudiments de la résistance active. Ils se retrouvaient pour ces cours bien particuliers, chez le professeur de musicologie, sous prétexte de travailler des cantates de Bach. Il s’engage logiquement dans des actions de résistance et se souvient de cette époque comme d’une époque à la fois exaltante et difficile. Il vivait avec un révolver sous l’oreiller au cas où il aurait été pris par la Gestapo, préférant en finir rapidement plutôt que de vivre la torture et ainsi risquer de trahir ses camarades du maquis.

Ce sont ensuite ces maquis du Sud-Ouest qui seront regroupés sous le commandement du colonel Berger (André Malraux), pour former la Brigade indépendante Alsace-Lorraine. Lors d’un passage à Périgueux, Frantz rencontre le président du Directoire, le pasteur Hoeffner, qui le nomme très officiellement pasteur vicaire, aumônier de la Brigade Alsace-Lorraine. Ils seront 1500 quand ils partiront du Sud-Ouest, en septembre 1944, pour rejoindre la première armée commandée par le Général de Lattre de Tassigny. Ils sont mal équipés, mal armés et assez mal entrainés. Cela ne les empêchera pas de livrer des combats extrêmement valeureux. La Brigade se battra dans la plaine d’Alsace, autour du Ballon, dans la trouée de Belfort, dans la poche de Colmar et dans le secteur Sud de Strasbourg. Les combats seront durs et les pertes nombreuses. L’avancée sera cependant victorieuse. Chargée de la gloire de ces combats, la Brigade Alsace-Lorraine restera dans les mémoires et dans l’histoire comme « la très chrétienne brigade du colonel Malraux », lequel préférait, selon certains témoignages, l’appeler « sa brigade de brigands ».

La « très chrétienne Brigade »

Quand on interroge Fernand Frantz sur le pourquoi de cette appellation de « très chrétienne », il l’attribue sans hésiter au fait que, dès les premiers combats, les aumôniers catholiques et protestants ont tenu à ne pas séparer les morts : « Nous n’avons pas voulu séparer les catholiques et les protestants dans les funérailles. Là-haut, quand ils se battaient sous les sapins, ils étaient ensemble. Ensemble, Ils resteront dans la mort ». Les services sont communs et œcuméniques. Malraux y assistait et le jeune aumônier Frantz était alors en contact rapproché avec le commandement, avec le Général de Lattre, avec André Chamson, et parfois avec le Général de Gaulle. Entre le commandement et les hommes, l’esprit d’unité et de proximité était extrêmement fort. Les jeunes rassemblés dans la Brigade étaient pour la plupart issus des mouvements de jeunesse, de la JEC ou du scoutisme. Ils partageaient une culture et des valeurs communes si bien que l’élan œcuménique insufflé par les aumôniers contribuait à maintenir la Brigade toute entière dans une spiritualité commune. « C’était un œcuménisme d’avant-garde ! ». Après les combats de la plaine d’Alsace, la Brigade sera dissoute en mars 1945 et intégrée à la 14ème d’infanterie commandée par le Général Salan. Fernand Frantz accompagnera « ses » hommes et les combats qu’ils livraient jusqu’au Lac de Constance.

Un ministère de bâtisseur

L’armistice étant signé, Fernand Frantz retrouve dans une Alsace libérée, le chemin de la faculté de théologie. Il doit en effet terminer un cursus interrompu par la guerre et valider ses examens. Partira-t-il ensuite en mission ainsi qu’il en avait nourri l’idée depuis sa confirmation ? L’Alsace est trop meurtrie par ces années de guerre, il fera le choix de rester. Il sera missionnaire non pas dans le lointain mais dans une Alsace à reconstruire. Il est d’abord nommé à Forbach. La charge est lourde ; ce sont trois années éprouvantes. Il retrouve ensuite la plaine d’Alsace dans la région du très beau vignoble de Riquewihr et de Ribeauvillé où il exercera, pendant une dizaine d’années, un ministère marqué par la reconstruction des personnes mais aussi des bâtiments. Il pourra ainsi exprimer toutes ses qualités de bâtisseur notamment dans la conception et la construction de l’église d’Ostheim. Le thème de la lumière est absolument central dans cette construction. C’est en fait toute une époque qui est à la recherche de la lumière et Fernand Frantz accompagne son époque dans un ministère entièrement tourné vers cette quête d’une résilience dans la lumière et dans la paix.

Retour à l’aumônerie militaire

En 1958, la France est empêtrée dans ce que l’on appelle pudiquement les « événements » d’Algérie. Les responsables de l’Aumônerie militaire protestante font logiquement appel à Fernand Frantz. Il partira à Alger et une nouvelle fois s’engagera auprès des hommes au combat n’hésitant pas à les accompagner dans des opérations à risque, héliportées et parachutées. Après une année sur le terrain mouvementé des combats, le pasteur de Cabrol, aumônier général, lui demande de prendre la responsabilité d’une région militaire couvrant un territoire considérable, depuis les Pyrénées jusqu’à la Loire. Il sera ensuite coopté au poste d’Aumônier général chargé de l’Armée de terre et devra ainsi visiter les armées françaises partout où elles pouvaient se trouver dans le monde. Fernand Frantz reste très discret sur cette période de l’aumônerie militaire. Il ne souhaite manifestement pas trop en parler. À propos de l’Algérie, il laisse entendre que les violences sont venues de tous les côtés. Il applique la même réserve sur la question des essais nucléaires dans la Pacifique Sud alors que la question revient dans l’actualité avec la parution du livre « Toxique ». On comprend qu’il n’est pas en accord avec la pensée qui cherche aujourd’hui à nommer les responsabilités de l’ancienne puissance coloniale. Ce sont des questions apparemment sensibles. Il n’en dira pas plus.

Épilogue

La retraite militaire (58 ans) étant venue, Fernand Frantz retrouvera l’Alsace comme aumônier du CHU de Strasbourg jusqu’à la retraite définitive (65 ans). Depuis lors, il est à Toulouse. Il a connu ces dernières années la perte de plusieurs de ses très proches. Ce sont de véritables déchirures. Il reste cependant reconnaissant pour cette vie remplie d’événements aussi riches. Les médailles prestigieuses et nombreuses (Légion d’honneur, Ordre du mérite, Croix de guerre, etc.) témoignent de cette richesse. Il s’empresse cependant d’ajouter : « De toutes façons, ce genre de mérite n’est pas pris en compte par le Seigneur, pour qui tout est grâce !!! ». Pour la suite, c’est en confiance qu’il se confie au Seigneur de la grâce, en disant : « Je suis prêt ».

Alain Rey

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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