Carnet Communauté

Éric Fuchs (1930-2023)

Ce 24 octobre 2023, notre collègue pasteur et professeur, Eric Fuchs s’est éteint, à l’âge de 90 ans, dans sa maison en Toscane, entouré par l’affection de ses proches et dans la confiance en son Seigneur. Il ne voulait pas peser sur les siens, comme me l’a confié son épouse Rose-Marie et il parlait peu de ses douleurs et de sa santé fragile. Il aimait être entouré par la vie de ses plus proches et il a su, jusqu’à son dernier souffle, savourer tous les moments heureux, vivants et conviviaux.

Eric Fuchs a donné un rayonnement majeur, tant à notre Église, qu’à notre Faculté de théologie. A travers son ministère pastoral et son engagement intellectuel, par sa passion et sa rigueur, il a su accompagner les personnes et les communautés, paroissiales, formatrices (CPE, AOT, DEFAT) et académiques, qui lui ont été confiées.

Saisi par Dieu, « qui m’attendait au coin d’un chantier, lors d’un camp d’évangélisation » en 1950, comme il l’écrit dans sa déclaration de consécration, il comprend sa vocation comme celle de servir le Christ en servant l’Eglise, cette Eglise visible à Genève, qui, comme une « mère », l’a accueilli, lui a permis de grandir et de se développer. Au sein de ses propres tremblements humains et de ses propres limites, conscient que « nous portons ce trésor dans des vases de terre », il s’en est remis entièrement au Christ, « dont la justice le couvre, l’intercession l’assure et l’amour le garde » pour vivre sa vocation de pasteur.  Cette confiance fondatrice en Christ l’accompagnera tout au long de sa vie et de sa carrière.

 

Eric est né le 28 décembre 1932 à Genève, dans une famille modeste et il grandit dans le quartier populaire de Plainpalais. Confirmé par le pasteur Redalié en 1949, il est moniteur de l’Ecole du dimanche, s’implique dans les Jeunesses paroissiales et participe à de nombreux camps. Après une maturité classique, il entreprend des études de théologie avec un sentiment de « véritable jubilation spirituelle et intellectuelle » et cette soif de faire dialoguer foi et théologie, convictions et questionnements, vie d’Eglise et vie intellectuelle guidera et inspirera ses choix et ses engagements.

Aux côtés du pasteur Sauty, il apprend le métier, dans la paroisse des Pâquis et Sauty salue dans son rapport de stage « sa vive intelligence, sa sensibilité délicate, son esprit curieux et sa volonté réalisatrice ». Il est très apprécié lors de ses études bibliques et de ses prédications. « A la fois simple, direct et profond », il sait « toucher les coeurs » et à travers ce cheminement, Eric comprend le ministère pastoral comme « un ministère d’édification de l’Eglise, tant spirituelle que théologique », qui appelle un ressourcement constant et une exigence intellectuelle, tant pour les pasteurs que pour les « laïcs ».

Ainsi, pour lui, le pasteur ne doit pas être en première ligne – c’est le rôle des laïcs – ou croire qu’il devrait être partout à tout faire mais il « doit accepter d’être en arrière, comme un cuisinier de l’armée », comme un soutien, qui sustente et nourrit.  C’est bien cette compréhension qui l’incitera à fonder, avec Jean-Bernard Livio et d’autres, l’Atelier œcuménique de théologie (AOT), qui fête ses 50 ans cette année: donner « au peuple de Dieu » les outils théologiques pour comprendre et bâtir sa foi.

 

Ayant fait sa théologie à Genève et à Montpellier, et commencé son stage aux Pâquis en 1956 et diverses suffragances, il défend son mémoire de licence en 1957 sur « L’autorité de l’Ecriture sainte – essai dogmatique sur le principe scripturaire dans la théologie de Calvin et de Bénédict Pictet ».  Cet ancrage protestant réformé dans l’Ecriture, comme seule autorité sur l’Eglise, marque sa théologie, sa foi et s’inscrit dans sa passion pour le Nouveau Testament et ne l’empêchera pas de cultiver un engagement fort dans et pour l’œcuménisme. Ainsi, il devient directeur du Centre protestant d’études CPE, sous l’impulsion de Jacques de Senarclens, entre 1960 et 1979 et y développe des collaborations fructueuses avec Marc Faessler et Pierre Reymond, entre autres, il s’engage dans l’aventure AOT, est proche des soeurs du Carmel de la Paix à Mazille et participe à la Traduction œcuménique de la Bible (TOB).  Homme de réflexion et d’écriture, il lit, publie et se passionne pour la recherche théologique.

 

Dès 1966, Eric commence un travail de thèse de doctorat, soutenu par l’Eglise protestante et il mène ses travaux en éthique autour du thème de la sexualité, du désir et du mariage, à travers une vaste enquête allant des racines bibliques à l’histoire occidentale du christianisme. Après sa soutenance, la parution de son ouvrage « Le désir et la tendresse » en 1979, chez Labor et Fides aura un très grand retentissement, chez nous et au-delà.  A travers sa thèse, il remet non seulement en question le moralisme exercé par le christianisme à l’endroit de la sexualité, du corps, du plaisir et de la place des femmes, mais il élabore aussi les notions de désir, du couple comme projet, des relations entre hommes et femmes comme épanouissement et d’altérité. Ainsi, une des thèses qu’il défend est: « la sexualité dit aussi que le désir, comme la vie, est plus riche que l’ordre qui la socialise ».

Lors de sa carrière académique, à l’Université de Lausanne puis à l’Université de Genève, Eric Fuchs marque toute une génération d’étudiants.es, de chercheur.es et de collègues professeurs, tant à la Faculté de théologie que dans d’autres Facultés ou champs scientifiques.  Pour lui, l’éthique est un pont qui permet de décloisonner la théologie et qui ouvre des espaces de dialogue, de confrontations et de recherches communes. Comme me le confiait François Dermange, son successeur à la chaire d’éthique, Eric savait « prendre en bonne part la parole de l’autre, l’écoutant avec bienveillance, avant de répliquer, critiquer ou juger ». Précurseur là aussi, il fonde l’Institut romand d’éthique en 1995 et il est largement reconnu pour ses compétences d’éthicien en intervenant dans des domaines très divers, telles la bioéthique, la médecine, l’éthique économique, politique ou le droit.

Pour en savoir plus sur sa carrière académique, vous pouvez aller sur ce lien de la Faculté:

https://www.unige.ch/theologie/actualites/in-memoriam-eric-fuchs-1932-24102023/

A sa retraite en 1998, il reste très engagé dans notre Eglise, attentif à son devenir et parfois inquiet devant ses difficultés et sa décroissance. Il continue de cultiver sa passion pour la théologie, pour l’art et la peinture.  Je me souviens d’une de ses « méditations », qui m’a longtemps accompagnée, sur un tableau de Francesco de Goya, Le Chien, (Prado), dans le journal Réformés, juillet-août 2017 : « Pour moi, ce chien est l’expérience de l’abandon absolu. Avec très peu de moyens, une petite silhouette et un vide écrasant, ce tableau est la quintessence de cette douleur. Dans ce « chef d’œuvre absolu », il voit « non seulement une réflexion spirituelle, mais aussi morale sur le malheur. Ce tableau nous remet en cause, il suscite une autocritique puissante qui est désagréable ». Saurions-nous répondre au cri de détresse de ce petit chien ? »

Son exigence et ses questionnements continuent de nous accompagner et de nous stimuler.

Nous faisons mémoire de sa présence avec nous et nous disons notre reconnaissance pour sa vie, sa vocation et son engagement intellectuel et humain auprès de tant de personnes, dans notre cité et au-delà.

Le culte d’à-Dieu aura lieu au temple de St-Pierre mercredi 1er novembre 2023 à 14h30 et sera présidé par Vincent Schmid.

Qu’Eric, notre frère et notre ami, soit accueilli et comblé par son Seigneur, celui qu’il a servi fidèlement, qui lui a parlé à travers l’Ecriture et qui demeure le même, hier, aujourd’hui et éternellement.

Que la consolation et la paix soient données à ses proches, à son épouse Rose-Marie, à ses trois enfants, Catherine, Nathalie et Emmanuel, notre collègue, à ses petits-enfants, à toute sa famille,

à celles et ceux qui l’ont aimé, à celles et ceux qui ont tant reçu, appris, questionné et découvert avec et grâce à lui, ainsi qu’à ses nombreux ami.es, au proche et au loin.

Bien à vous

Laurence Mottier, modératrice

LAURENCE MOTTIER
PASTEURE

MODERATRICE DE LA COMPAGNIE

ENSEIGNANTE EN THEOLOGIE AOT

mon blog:https://www.reformes.ch/blog/laurence-mottier

T 022 552 42 46
RUE GOURGAS 24 · CP 73 · 1211 GENEVE 8

 www.epg.ch

http://www.aotge.ch

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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