Carnet Portraits

Éloge de Pierre Encrevé par Frédérick Casadesus de Réforme

Le printemps nous donnait des fourmis dans les ailes, hier matin. C’était à croire aux songes. De la musique ? Un livre ? Et pourquoi pas les deux ? Soudain, la nouvelle nous parvint que les protestants venaient de perdre l’un de leurs, un ami des plus précieux. La promenade, aujourd’hui, se nimbe de chagrin. La bonne humeur attendra.

Pierre Encrevé aimait à déclarer que son ancêtre se trouvait au Louvre le 24 août 1572. Et puis il riait de cette vérité qui sonnait comme une légende. Il nourrissait pour la politique une passion qui venait de loin, sans doute. On ne jurerait pas qu’enfant, parmi les sacs de billes et les soldats de plomb, cet espiègle affectueux n’ait pas proposé quelque projet pour améliorer le sort de la Cité. La geste publique et les raisonnements se mariaient chez lui de façon naturelle.

Pierre était né le 10 septembre 1939, à Foussais-Payré, dans le département de la Vendée- ce qui lui faisait dire avec drôlerie qu’il était « un ventre à choux ». Fils de pasteur, il a suivi des études de théologie. Diplômé de la faculté protestante de Paris, c’était un libéral exigeant. Thomas Römer avait sa préférence parmi les biblistes contemporains, pour sa capacité à démonter les tours et détours du Livre, sans confondre la lettre et l’esprit.

Pierre Encrevé devint linguiste à la fin des années soixante. Inspiré par ce que l’on commençait à peine à désigner sous le vocable de « sciences sociales », il étudia le langage pour ce qu’il était, un vecteur de sens et de culture plutôt qu’un dogme.

Il avait déjà plongé dans le bain politique, saisi comme tant d’autres par la guerre d’Algérie, militant pour l’indépendance, dénonçant les tortures.

Dans cette aventure, il avait rencontré Michel Rocard, un esprit de haute volée, qu’il admirait. Pierre Encrevé devint le conseiller du Premier ministre, entre 1988 et 1991, pour les questions culturelles. Il intégra son équipe à la tête du Parti Socialiste et fut plus tard conseiller de Catherine Trautmann, ministre de la culture entre 1997 et 2000.

Il pratiquait l’honnêteté intellectuelle des républicains véritables, reconnaissant la valeur d’une œuvre accomplie, même par ceux dont il ne partageait pas les choix.

Proche de Pierre Bourdieu, de Claude Simon, ami des plus intimes de Pierre Soulages, auquel il consacra des livres et des pages, Pierre Encrevé n’était pas l’universitaire engoncé dans sa spécialité. L’exercice d’admiration signait son sens aigu de la fraternité.

Cet homme estimait que l’on pouvait toujours agir pour embellir le monde. Rapide, il argumentait sans se résigner. Il pouvait parfois, lors d’une discussion, donner le sentiment de renoncer. Mais c’était une pause. Il avançait toujours. On aurait cru d’un fleuve le delta, multiple et cependant fidèle, espérant l’océan pour mieux le conquérir.

A la musique classique il donnait sa sensibilité, courant les concerts, écoutant les disques. En ce domaine, il avait un héros dont nul ne pouvait contester la suprématie. Que l’on évoque devant lui quelque pianiste d’autrefois, d’hier ou d’aujourd’hui, Pierre Encrevé répondait toujours : « je reconnais les qualités de celle-ci, de celui-là, mais aucun ne vaut Arturo Benedetti Michelangeli ». C’était un « running gag » dont il riait lui-même.

Un dernier mot. Racontant sa jeunesse, Pierre Encrevé nous dit qu’un jour de balade, rive gauche, il avait voulu donner des fleurs à son amoureuse. Il s’élança sur l’une des pelouses du Luxembourg afin de cueillir un bouquet. Le gardien siffla. « Je veux les offrir à mademoiselle » expliqua le jeune homme en désignant la jeune fille. Humaniste, le vigile ferma les yeux. C’était il y a plus de cinquante ans. Pierre et Marie-Hélène ne se sont pas quittés depuis. Nos pensées volent vers elle aujourd’hui.

Frédérick Casadesus

Réforme

 

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Frédérick Casadesus

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