Éliane Bédu : L’Agérie islamique, le déni français, Cerf, 2024, 20€
Brillante étudiante en histoire, qui lui valut de connaître les universités de Cambridge et d’Oxford, présidente de l’association « Mare Nostrum – Une Méditerranée Autrement », à 21 ans l’auteure publie son premier livre sur les 200 ans de l’histoire d’Algérie depuis sa colonisation jusqu’à nos jours. Elle montre toute la place que l’islam y occupe, alors que la France l’a systématiquement ignoré et combattu. C’est au nom du Jihad qu’Abd el-Kader a réuni les diverses ethnies de sa population pour résister à la colonisation française de 1830. Il a aussi servi de référence aux aspirations nationalistes naissantes, après la première guerre mondiale, et après la seconde. C’est au nom du Jihad que le FLN a lancé la rébellion armée, en 1954. Il a aussi motivé les islamistes radicaux lors de la guerre civile des années 1990, et le terrorisme islamique contre l’Occident s’en réclame aussi. Notre société sécularisée ne voit ni ne comprend cette dimension de l’histoire. – L’ouvrage comporte trois grandes parties.
D’abord, il s’agit des circonstances de la conquête d’un pays, dit “de sauvages”, dans l’ignorance de son identité culturelle, et de sa religion faite de spiritualité et de rites, d’organisation sociale et juridique aussi. Abd el-Kader, chef de la résistance armée, s’est toujours réclamé, y compris pendant sa captivité en France et son exil en Syrie, du « Jihad-al-nafs » (le combat contre soi-même vers plus de bonté), comme il a pratiqué le « Jihad-al-sayf » (le combat avec l’épée pour la défense de l’islam) comme chef de guerre. – Malgré la résistance indigène (confréries religieuses ou fraternités), la France eut une politique musulmane de table-rase : colonisation de peuplement, confiscations de terres pour les arrivants, transformation de mosquées en églises chrétiennes, salarisation des imams, remplacement des écoles coraniques, où l’on apprenait aussi à lire et écrire, par les écoles privées ou laïques républicaines.
La deuxième partie traite du processus de “l’émergence d’un nationalisme islamique algérien”. Après les bouleversements révolutionnaires de 1848, et surtout la défaite de 1870, l’image de la France victorieuse fut ébranlée. Des réseaux d’oulémas, juristes musulmans experts, se sont organisés et ont joué un rôle déterminant dans la préservation de la culture islamique, le maintien de la pratique religieuse, la diffusion de la langue arabe à la place des dialectes locaux, l’élaboration d’un islam réformiste moderne. Après le retrait de l’empire ottoman (et bientôt son effondrement) le rêve d’un nouveau califat islamique surgit sous l’influence de l’idéologie salafiste. Un projet de “Nation algérienne musulmane” fit aussi son apparition. De même, après la deuxième guerre mondiale, et le retrait progressif des puissances coloniales occidentales (Grande-Bretagne, France, Allemagne) au Proche-Orient, se développa l’idéologie du panarabisme, qui gagna tout le Maghreb à partir de l’Égypte. Mais il fut contrecarré par les intérêts divergents des États. Un panislamisme d’inspiration salafiste le remplaça peu à peu. Et dans ce contexte, le rêve s’élabora d’un califat islamique conquérant et exclusif.
La dernière partie est une rétrospective détaillée et instructive de l’histoire algérienne, depuis la colonisation française de 1830 jusqu’à nos jours, avec le surgissement des mouvements nationaux en constante référence à l’islam, face à un déni permanent du pouvoir colonial, jusqu’à l’accès à l’indépendance. – La défaite d’Abd el-Khader, et la période douloureuse de la soumission à la colonisation. – Le développement d’une conscience nationale sans rupture radicale, dans les années 1920 et 1930, et sa répression systématique. – Dès 1943, la revendication d’indépendance pacifique (Messali Hadj, Ferhat Abbas), et sa répression sanglante, avec les massacres de 1945. – Avec le FLN, le choix de la guerre d’indépendance, présentée comme forme de Jihad, de 1954 à 1962, qui se conclut par la naissance d’un État algérien dont la religion est l’islam. – Les divisions internes et la corruption y provoquent le développement de l’extrémisme religieux avec le FIS (Front islamique du Salut), puis la guerre civile avec le GIA (années 1990). Après son échec, le radicalisme islamique va prendre un caractère international (projet d’un califat islamique, et terrorisme international), s’engageant dans un affrontement guerrier contre les États démocratiques du monde occidental, notamment la France. — Dans ce contexte, il serait sans doute judicieux que notre pays reconnaisse ce que l’islam a culturellement apporté à l’Algérie et aussi à la France, “pour un avenir de compréhension mutuelle et de respect entre nos deux pays” (sic). Façon sans doute la plus raisonnable, voire évangélique, de prévenir ou de gérer les violences des milieux extrémistes radicaux.
Compte-rendu de Gilbert Charbonnier – CPED-LibreSens
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