Nous ne sommes pas innocents, mais nous ne pensions pas être d’une actualité si effrayante en publiant aujourd’hui ce court texte de Carlo Emilio Gadda (1893-1973) ! Dans ce libelle de 1944, la prodigieuse fureur du grand écrivain italien éclate contre les mythes factices du fascisme et de son baudet de représentant : M., que Gadda ne nomme jamais en toutes lettres. Dans la lecture psychanalytique qu’il fait du fascisme qui périclite, il nous montre comment la perte d’espérance des électeurs, le manque de projet véritablement démocratique, la méfiance croissante en la classe politique, permettent l’opportuniste invention de mythologies de pacotille qui installent un “homme fort” qui “pense à nous” (devrions-nous plutôt écrire “pense pour nous”?)
C’est l’occasion pour le lecteur d’aujourd’hui, en lisant ce texte, d’y mettre une des nombreuses initiales des “hommes forts” au menu du jour, substituant à M. un P., un O., un T., ou bien d’autres hélas géographiquement très proches de nous, et de percevoir l’actualité de cette dénonciation.
Il ne s’agit pas d’un essai, mais bien d’un crilittéraire sur une situation d’actualité, qui toutefois n’en atténue aucunement la force et la pertinence.
Édition bilingue. Traduction, introduction et notes de Jean-François Lattarico.
Van Dieren Éditeur, Paris, 2024
Carlo Emilio Gadda : « Un débile paranoïaque enchanta, en qualité de “génie”, de “prophète”, d’“homme envoyé par la Providence”, des millions d’Italiens et de femmes italiennes […]. Il trouva dans son incommensurable trivialité le pentacle de la magie facile, la formule dégueulasse et l’instrument inutile de l’enchantement. Il s’exhiba et fit, deux doubles lustres durant, d’une seule roue, le dindon : avec le beau prétexte psychagogique : car pour entraîner les foules il fallait les exciter avec un mythe, qui fut ce funéraire carnaval de couteaux, de groupuscules noirs et de grosses têtes en carton, vides et funèbres : et devant tout ce noir funèbre et toutes autres les grosses têtes funératrices son provolone alopécique de tête de chou maximale et sa sale tronche crasseuse et sa bouche grossière. »
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