Les livres Théologie

Bernard Hort : Jung et le protestantisme

La face méconnue d’un pionnier                        

Carj Gustav Jung (1875-1961) a résolument consacré tout son savoir, sa culture et sa spiritualité à son rôle thérapeutique, véritable mission pour lui. Il dut sa grande culture théologique, à son père pasteur, très érudit mais plein de doutes à l’égard de sa propre institution religieuse, et à son grand-père maternel, aussi pasteur, qui assuma de hautes fonctions dans la ville de Bâle.

L’ouvrage comporte deux parties, et neuf chapitres au total. La première, et plus longue, traite des rapports de Jung avec les théologiens protestants des XIXet début du XXe siècles dans le monde germanophone. Tout en offrant un aperçu des sources théologiques de la pensée jungienne, ces chapitres offrent un bon panorama de l’histoire de la théologie protestante et de la philosophie de l’époque.

Parmi les théologiens libéraux du XIXe siècle qui ont marqué le psychanalyste, il faut d’abord citer F. Schleiermacher. Bien qu’appartenant à la génération précédente, ce théologien a joué un rôle fondateur dans l’itinéraire du psychiatre. Avec son recours au sentiment religieux et à l’expérience spirituelle personnelle, le théologien eut une démarche très individualisée, et il a sans doute ouvert la voie à la notion d’individuation, fondamentale pour le futur psychanalyste. – Albretch Ritsclhl, théologien de cinquante ans son aîné, s’attache principalement à l’annonce évangélique du Royaume de Dieu, avec ses implications éthiques. Il a ainsi beaucoup marqué CG. Jung. Mais celui-ci lui reprocha sa démarche moralisante au détriment de la vie intérieure et de la dimension spirituelle de l’existence.

Par contre son contemporain Rudolf Otto (1869-1937) eut une influence majeure sur le psychanalyste de Zürich, Avec un intérêt commun pour le monde des religions, celui-ci adopta du premier la notion de “numineux” comme archétype irrationnel habitant, consciemment ou non, le psychisme humain. Le “sacré”, sa composante, a un double caractère menaçant ou redoutable, et fascinant, créatif. Si bien que le processus d’individuation connaît une relation dialectique entre la volonté du moi et la volonté de forces supérieures (mystérieuses).

Publié en 1952 (9 ans avant sa mort) l’ouvrage Réponse à Job représente un aboutissement dans l’itinéraire de CG. Jung par rapport à sa conception de la transcendance. Face au problème du mal et dans le respect de l’ »Inconnaissable« , il propose une image de Dieu binaire comportant le bien et le mal, à l’encontre de la vision dualiste de l’affrontement entre un dieu et un diable. De quoi ébranler les théologies traditionnelles.

La deuxième partie (bien plus courte avec ses 45 pages) traite du « Protestantisme dans la pensée de Jung ». Celui-ci ne se veut absolument pas théologien ; il est médecin et il juge de tout à partir de son rôle thérapeutique. Pour lui, théologie et psychologie sont deux mondes à la fois distincts et interdépendants, en résonance mutuelle. La théologie protestante est pour lui une référence innée, mais sa démarche psychanalytique l’a amené à une rupture radicale, à un regard sur lui, critique et extérieur. Pour Jung, la Réforme protestante constitue un tournant psychologique majeur dans la mémoire collective. Héritier et juge critique, il ouvre les protestants (avec d’autres) tout à la fois à une autre manière de penser l’existence et l’au-delà, et encore à la rencontre interculturelle ou interreligieuse.

Ouvrage très accessible ; bonne introduction aux relations entre la théologie et la psychanalyse jungienne.

Labor et Fides (Psychologie et spiritualité), 2023, 232 p., 19 €

  1. Hort, professeur émérite de la Faculté de Théologie protestante de Bruxelles (B), met en lumière l’héritage protestant du grand psychanalyste suisse, ainsi que son attitude critique à son égard. Avec son expérience d’enseignant, il montre les origines historiques de certaines des principales notions caractérisant sa démarche et sa pensée, et qui l’ont aussi amené à une rupture complète avec son aîné de 20 ans, et son premier maître, S. Freud.

Un compte-rendu de Gilbert Charbonnier, pour LibreSens

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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