Au cœur de près d’un demi-siècle d’un singulier engagement dans la vie publique, du fauteuil de maire de Strasbourg aux bancs du gouvernement : le protestantisme.
1989 : Strasbourg vit un véritable séisme politique lorsqu’une ancienne étudiante en théologie protestante est élue maire socialiste d’une ville à droite depuis plus de 70 ans, première femme maire d’une métropole de plus de 100 000 habitants. Dix ans après, sa trajectoire politique la conduit au ministère de la Culture et au poste de porte-parole du gouvernement Lionel Jospin.
« J’ai choisi de faire de la théologie, confie C. Trautmann,pour son cursus très complet et très formateur à la dimension sociologique, historique et philosophique. » Elle va y étudier, entre autres, lestextes coptes conservés en Egypte et découverts en 1945 à Nag Hammadi. Sans l’intention de faire de la théologie son métier, elle explore pourquoi dans toutes les formes du christianisme, la femme a été accusée d’être l’origine de la faute originelle.« Un peu moins chez les protestants ? Dans leur tradition,la femme a une place mieux établie et en particulier dans la responsabilité éducative. Pour ma part, j’ai reçu une éducation protestante qui m’a transmis le sens de la responsabilité individuelle et l’éthique de l’engagement. J’ai souhaité retraduire dans mon engagement politique des valeurs partagées avec la communauté protestante. »
Etudiante, la théologienne adhère au PS pour soutenir aux municipales de 1977 à Strasbourg son professeur d’exégèse du Nouveau Testament, Etienne Trocmé, tête de liste pour les socialistes. Et lorsqu’elle est élue maire de la ville douze ans après, il accepte de figurer à la fin de sa liste. Il l’initiera à concevoir un projet municipal. Avec son collègue de l’Assemblée nationale Jean Oehler, ouvrier et militant chrétien catholique, elle apprend à organiser une campagne, répondre aux coups durs, ne jamais désespérer même face aux initiatives les plus tordues.Et elle démarre en militant pleinement pour les droits des femmes et pour que la politique s’intéresse aux immigrés,aux jeunes et particulièrement aux étudiants. Par exemple, pour un accès aux crèches pour permettre aux étudiantes mères de poursuivre leurs études.
Les protestants attachés à la cohérence entre les discours et les actes
Alors que les protestants sont situés sur tout l’échiquier politique, à Strasbourg on estimera que C. Trautmann a été élue grâce à eux. « Les protestants,rétorque-t’elle, sont ssprofondément attachés à une vraie pratique de la démocratie et à l’exercice juste du pouvoir qui doit se vérifier dans l’action, c’est-à-dire dans la cohérence entre les discours et les actes.Le protestantisme, c’est l’expérience du dialogue et de la recherche de la conciliation et je considère que la politique est l’art d’éviter le conflit. Et, lorsqu’il existe, de le résoudre. Ce que j’ai retiré aussi de mes mandats, c’est l’expression que l’on m’a souvent renvoyée d’être du côté d’une minorité. Et si j’observe la place que tient la culture protestante dans l’héritage culturel de notre pays, je pense que cette place doit encore grandir. »
Pour la théologienne, dans la pratique politique, les valeurs issues de la Réforme font sens. « La Réforme a anticipéla révolution française, car on y retrouve la revendication de liberté, la reconnaissance de la religion, la liberté de croire et une organisation de communauté pratiquante. La laïcité est directement issue de ce combat des protestants. Mais la Réforme introduit également l’attachement à la liberté dans la différence. On peut être de la même famille, le christianisme, l’égalité de conviction ou de foi doit être reconnue. »
Pour elle, l’égalité de droits entre les citoyens efface les différences de conviction religieuse ou politique, d’appartenance sexuelle, de genre ou encore d’origine. En instaurant une forme de neutralité républicaine, la laïcité a créé un contexte favorable à l’approfondissement et à l’extension des droits civiques et sociaux.« Les protestants se sont continument exprimés sur les questions de société, qu’il s’agisse des droits des femmes, des nouvelles formes de couple et de famille, des droits des immigrés et des réfugiés ou de la lutte contre la pauvreté. Il y a dans la tradition protestante cet attachement à l’émancipation individuelle y compris celle de l’enfant qui forge la citoyenneté. Il est incontestable que la Réforme a entraîné un autre rapport à l’écriture et au savoir et de ce point de vue a ouvert à la modernité par l’évolution politique qu’elle entrainait. »
Du point de vue de la théologienne, plusieurs évènements forts ont marqué son parcours politique. Il y a la chute du mur de Berlin et le rôle joué par les pasteurs de l’Allemagne de l’Est et des pays voisins. La vaste mobilisation nationale de Strasbourg contre l’extrême-droite en 1997 qu’elle a montée de toutes pièces. ?Et elle ne peut conclure sans évoquer sa fierté d’avoir participé à deux gouvernements pilotés par deux personnalités protestantes, Michel Rocard et Lionel Jospin.
Pour l’heure, C. Trautmann met une dernière main au programme électoral de ses camarades socialistes : une nouvelle fois, elle part au front pour les municipales de mars 2020 à Strasbourg.
Albert Huber
Légende photo :
Catherine Trautmann : « Je suis fière d’avoir participé à deux gouvernements pilotés par deux personnalités protestantes, Michel Rocard et Lionel Jospin. »
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