L’événement de ces rencontres interreligieuses se situe dans une continuité de 15 ans à régularité bisannuelle. Quatre-vingts personnes environ étaient assemblées dans la salle du Mouzon, à Auch, sur cette question centrale de la place de l’humain dans la société, place qui, aujourd’hui, prend une dimension très nouvelle par les nouveaux défis d’ordre écologique, économique, scientifique ou technologique. Ces innovations radicales sont, en effet, porteuses d’incertitudes sur le devenir de l’humain, tant dans l’existence du sujet que dans son devenir collectif.
L’introduction au thème, ainsi que les interventions et le débat final furent coordonnées par Mr le pasteur Alain Rey.
- Pour le Judaïsme, Mme Pauline Bebe, Rabbin, à Paris.
- Pour l’Eglise Protestante Unie de France, Mr le Pasteur Michel Bertrand,
- Pour l’Eglise Catholique romaine, Mgr Maurice Gardès, Archevêque d’Auch.
- Pour l’Islam de France, Mr Fouad Saanadi, Imam et Président du Conseil régional du Culte musulman en Aquitaine,
- Pour la Grande Loge maçonnique de France, Mr Yves Saez, écrivain et essayiste.
- Pour le Bouddhisme, Mr Michel Aguilar, vice président de l’Union Bouddhisme de France et Ex-président de la Commission des droits de l’homme au Conseil de l’Europe, dans un texte lu par Mr Jean-Pierre Leclerc,
Pauline Bebe, situe sa réponse au psaume 8 qui place l’humain, en effet, presque l’égal des êtres divins dans la volonté du Créateur, mais dans une tension entre son origine de poussière et celle d’un monde créé pour lui. Entre les deux termes, l’humain doit rechercher le juste milieu, entre le trop petit et le trop grand. Pour l’illustrer dans le monde actuel la conférencière précise la juste place : dans la rapidité des mots d’Internet, les mots peuvent tuer ou résoudre des difficultés personnelles ; dans les multinationales, modernes tours de Babel, leur « hubris » les conduit à atteindre le ciel mais au prix d’une déshumanisation sans communication ; dans le contact des religions, le refus de la violence, porté par l’idée de vérité absolue, doit céder la place au pluralisme respectueux de la différence.
Michel Bertrand, indique, en préalable, que cette place devient problématique soit dans les menaces qui s’accentuent sur lui en tant qu’individu singulier que dans celles d’un totalitarisme religieux. Dans l’Humain, le relationnel est majeur et Dieu, par sa Parole
d’Amour, ne peut être perçu que dans une identité porteuse de choix et de refus, dans une responsabilité et une exigence éthiques. Qu’adviendrait-il d’une société dont l’Humain soit exclu ? Dans les défis écologiques, scientifiques, bioéthiques, la liberté n’est pas sans but ! La place de l’Homme est bien entre cette part d’ombre tapie en lui, qui peut le mener à la plus grande barbarie, et, à l’extrême, celle de sa capacité à se rapprocher de Dieu, comme on peut le lire dans le Psaume 8.
Maurice Gardès, rappelle aussi cette double dimension de l’Homme. A Birkenau, Dieu était présent mais c’est l’Homme fraternel qui était absent et la place y était laissée à toute la barbarie. Le mal est en chacun de nous, quand on laisse la place au Maître du soupçon, tel qu’il est représenté dans le vitrail de la cathédrale d’Auch sous la forme du serpent ! Le seul combat doit être celui de l’Amour qui repousse la volonté de puissance, qui engage le sens de la responsabilité et du respect de l’altérité.
Fouad Saanadi, mentionne la tenue, dans la mosquée de Bordeaux, d’une exposition sur la Shoah qui fut visitée par de nombreuses classes, exemple d’une action plus large de l’Islam qu’il représente pour lutter contre le radicalisme. La vision de l’Islam est, pour lui, celle d’un Homme créé par Dieu dans une égalité ontologique. C’est sa liberté qui écarte l’Homme de Dieu par sa faute, son erreur. C’est par sa soumission aux volontés de Dieu que celui-ci peut revenir à sa nature première qui est parfaite. Ceci peut amener l’Islam à exclure des notions, telles que celle de mécréance, née dans une temporalité médiévale, ou de fermeture identitaire face aux autres communautés de nos sociétés.
Pour Yves Saez, chaque époque a, selon la formule de Robert Musil, son « bourdonnement » mais celui-ci est aujourd’hui considérablement intensifié. Nos sociétés enfantent désormais, par la diversité des réseaux, par les changements incessants, des valeurs irréductibles les unes des autres. Le sens unitaire de la vie s’y perd donc et la rationalisation envahissante de l’occident est productrice de désenchantement en écartant l’intention poétique de l’expliquer et en refusant le sens donné par un dessein divin. Aux sources de nos civilisations, au VIème siècle avant notre ère, la Grèce archaïque donnait au peuple une cohérence identitaire, fondée sur la poésie et le mythe, pour résister à un monde extérieur porteur d’inconnu. L’arrivée de la rationalité, au V° siècle, a repoussé cette cohérence en réduisant la place du poétique et en apportant un sentiment de manque. L’humain est aujourd’hui comme Ulysse se détachant de Calypso qui lui offre tout, santé affirmée, jeunesse étendue, intelligence accrue, vie augmentée pour revenir à sa terre d’Ithaque et à ses fumées. Il est entre idéal et réalité, entre sol et souffle, dans un nécessaire ré enchantement du monde.
Michel Aguilar, place l’intériorité comme élément fondateur des engagements de l’humain face à soi-même et du groupe social où il est impliqué. Face à une réalité qui tendrait à l‘enfermer dans des régulations de plus en plus fortes dans les domaines géopolitiques, environnementaux, économiques, sociaux et domestiques, il s’agit d’inverser la proposition en s’appuyant sur la libération que la machine et les réseaux lui permettent pour établir une nouvelle civilisation dont le spirituel serait le moteur. Dans cette perspective, le bouddhisme, dans sa diversité, s’appuie sur les enseignements du Bouddha pour adapter les pensées, paroles et comportement aux évolutions du monde actuel, en développant la générosité, la patience, l’effort enthousiaste au bénéfice de tous.
Après deux heures de débats et de contributions croisées, la soirée s’achève par le partage d’un verre de l’amitié.
Robert Sourp
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