Vers une éthique du vieillissement

Quelle éthique du vieillissement en 2021 ?

Le vieillissement de la société française est une réalité démographique indéniable. Si en 2021 les personnes âgées d’au moins 65 ans représentent déjà  20,5% de la population, cette proportion dépassera nettement les 25% en 2040. Dès lors se pose la question de savoir comment rendre la société davantage inclusive vis-à-vis de ses citoyens les plus âgés et les plus vulnérables ? Différentes éthiques de la vieillesse se proposent de nous aider à en tirer le meilleur parti et de savoir ce qui fait que la vieillesse vaut la peine d’être vécue.

L’éthique kantienne des philosophes Emmanuel Kant et Jürgen Habermas valorise l’autonomie des personnes âgées. Dans ce modèle de libéralisme politique et culturel, la prise en charge du vieillissement est considérée comme un problème de santé publique alors que l’expérience personnelle du vieillissement est une affaire privée. Ce modèle a influencé la politique de prise en charge de la vieillesse dans de nombreux pays. S’il est un bon antidote à la discrimination par l’âge, il néglige la réalité sociale du vieillissement.

L’éthique utilitariste affirme que l’absence de douleurs, la recherche de la jouissance et la réalisation de ses désirs au cours de la vieillesse sont le garant d’une vie où l’on puisse se sentir « bien ». Cette éthique inspire l’hédonisme du troisième âge qui assimile la retraite au plaisir consumériste. Néanmoins, la vie humaine est plus qu’un ensemble d’expériences. Les personnes âgées ont également besoin de vérité et de respect et doivent être traitées correctement en fonction de leur valeur humaine intrinsèque.

L’éthique eudémoniste basée sur les philosophies d’Aristote et des Stoïciens prône le bonheur comme but suprême de l’existence. La vie heureuse est la vie qui aspire à s’épanouir. Cultiver des vertus ou qualités comme la sympathie, l’honnêteté, le courage, la sagacité permet de mener une vie heureuse. Si cette éthique eudémoniste s’accorde bien avec le souhait de réalisation de soi de la génération du baby-boom, elle ne peut pas fournir de base éthique pour la personne âgée fragile. Vivre la vieillesse finit presque toujours par une expérience de dépendance vis-à-vis des autres qui sont indispensables de la définition du bien-être à cet âge.

L’éthique du « care » (éthique des soins et de la sollicitude) nous rappelle la nécessité de nous soucier de la personne âgée. Elle réhabilite la dépendance interhumaine et la compassion, le souci et le soin de l’autre en prenant en compte sa vulnérabilité. Elle nous permet de ne pas considérer la dépendance à l’égard des autres comme une défaite morale. Elle veut rendre le maximum d’autonomie possible au vieillard vulnérable.Prendre soin et être pris en charge donne de la valeur à leur vie. En période de pandémie due au Covid19, nombreuses sont les voix qui appellent de leurs vœux une « société du care » qui réhabilite le soin et le souci de l’autre.

L’éthique chrétienne de la vieillesse est centrée sur le double commandement de l’amour de Dieu et du prochain dans le Nouveau Testament. Elle présente des affinités et des similarités avec l’éthique du « care » : importance de la compassion et respect de la particularité de chaque être humain, invitation à devenir le voisin compatissant de ceux qui souffrent) et qui croisent mon chemin de vie, reconnaissance de la radicale finitude et de la dépendance de l’être humain vieillissant. L’éthique chrétienne est basée sur des récits, parfois de véritables drames humains qui frappent l’esprit et peuvent être d’un grand secours pour les humains qui passent par des épreuves similaires. Enfin, elle intègre les dimensions existentielles et pastorales dans son discours sur le vieillissement et propose des pratiques communautaires et des temps de partage qui font souvent défaut dans les politiques de la vieillesse.

Jean-Gustave Hentz