J’ai exercé un ministère diaconal à Bordeaux dans les années 90. En développant des réponses aux besoins d’hébergement, de logement, d’insertion sociale, d’emploi, avec des personnes sans domicile et/ou marginalisées, j’ai été conduit à rencontrer des responsables associatifs, mais aussi des techniciens de l’Etat et des collectivités territoriales et des politiques.
Après dix ans à Toulouse (la Région SO) et à Paris (la FEP), nous avons choisi de nous installer à Bordeaux pour notre retraite. J’ai d’abord été sollicité pour assumer la présidence du groupe Cimade local, et celle d’une entreprise d’insertion. Une bonne façon de ne pas gêner les collègues dans des activités d’Eglise, et de poursuivre cependant un engagement social, avec derrière la réflexion politique nécessaire.
En 2013, un an avant les précédentes municipales, je rencontre dans une fête d’une association proche de l’Eglise, le candidat socialiste à la Mairie de Bordeaux. Je l’avais connu alors qu’il était jeune collaborateur du président du Conseil Général. Nous avions alors sympathisé en parlant d’autre chose que les simples demandes de subventions (privilège d’être pasteur et de susciter ainsi questions, échanges, voire confidences). Il avait fait la campagne numérique de François Hollande, et Il était devenu maire d’une ville de l’agglomération et président de la Métropole bordelaise. Il me propose de participer à la réflexion sur le programme social et finit par me demander d’être un des porte-paroles dans ce domaine. Mais aussi de travailler avec les représentants des cultes sur les questions de laïcité.
Ce seront près de 12 mois intenses, d’abord de réflexion, de rencontres de nouvelles personnes, puis pendant la campagne, de réunions, de porte à porte….J’en ai gardé un carton entier de notes, d’observations. J’y ai découvert des militants généreux et des professionnels de la politique, des ambitieux et des serviteurs de la cause publique. Le fait que je sois pasteur à la retraite n’a choqué personne, dans la mesure où j’étais reconnu d’abord dans le domaine social. J’avais prévenu les autorités de l’ERF nationale pour être bien sûr que je ne dérogeais pas aux règles de notre « bien-aimée Discipline ».
J’avais déjà mesuré avec la FEP et au Collectif national ALERTE les limites de la politique, mais aussi la nécessité de faire connaitre des situations, d’avancer des propositions. A la place où j’étais, c’était donc plutôt sans conflit interne que je pouvais avancer. Peut-être une certaine réticence cependant à attaquer le bilan de la politique sociale menée à l’époque par l’équipe de Juppé, représentée par Véronique Fayet, devenue ensuite présidente du Secours Catholique et très ouverte et intéressante.
Je n’avais pas du tout négocié ma place sur la liste. Je ne voulais pas de toute manière être dans une posture d’opposition pendant 6 ans, donc je n’aurais été élu que si nous avions gagné. Nous avons pris une belle veste. Juppé réélu au premier tour et un score historiquement bas, alors que Bordeaux avait voté à gauche pour la présidentielle et les législatives. Déception immense pour celles et ceux qui avaient fait des projets d’avenir politique, déception d’un travail non-reconnu pour les autres.
En 2015, Vincent Feltesse, après un temps de silence, décide de relancer un travail de conquête politique, avec quelques-uns. En marge du parti socialiste. Il organise des réunions mensuelles sur des sujets de fond, constitue progressivement autour de lui un groupe d’experts et des militants de la « société civile ». J’en suis par intérêt pour la personne, son positionnement (voir son livre sur sa période auprès de Hollande «Et si tout s’était passé autrement ») et sa capacité intellectuelle à imaginer l’évolution de Bordeaux. En 2018 et début 2019, l’équipe publie deux ouvrages qui dessinent un vrai programme pour Bordeaux et la Métropole. Ils seront largement pillés par les autres équipes. En décembre 2019, les sondages montrent qu’il n’y a pas vraiment d’espaces entre les Verts, LReM et les Républicains. Feltesse renonce et invite ses sympathisants à s’engager ailleurs pour que l’alternance survienne enfin à Bordeaux après 70 ans de Chaban + Juppé.
Cette expérience dans une grande ville est sûrement bien différente de ce qu’elle peut être dans un village ou une ville moyenne. Pour un « ancien » pasteur, elle est en tout cas une occasion de rencontrer des réseaux multiples, de manifester que la foi chrétienne peut être ressource pour un engagement politique, et que l’accès au pouvoir n’est pas un enjeu personnel.
Ces dernières années la politique a été vilipendée. Mais la réalité c’est la question de la possibilité de peser de « listes citoyennes » en face de la persistance et de la reconstitution du rôle des organisations partisanes. Comment alors faire émerger de nouvelles pratiques ?
Peut-être s’appuyer sur une conviction portée par un personnage de Yannick Haenel dans « les renards pâles » (Gallimard, 2013) : « Si plus rien ne s’accomplit dans la politique, il arrive que quelque chose s’accomplisse en dehors : alors cette chose devient politique. L’espace d’un éclair, elle fait renaitre la politique, lui donnant un sens nouveau [..] ». A nous d’être créatifs, dans la société, aux frontières de l’Eglise, dans les associations..
Olivier Brès
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