Olivier Pigeaud nous fait parvenir ce texte que l’on peut retrouver sur le blog de Libre Sens : libresens.blogspot.com/
C’est pour Olivier Pigeaud, un véritable coup de coeur !
Michael L. Satlow, Comment la Bible est devenue sacrée, Préface de Thomas Römer, Labor et Fides, Genève 2018, 428 pages, 29 €
La thèse de cet ouvrage est simple et claire : l’écrit en général n’a pas dans culture antique, juive et chrétienne, l’importance que nous lui donnons aujourd’hui et, en ce temps, les textes écrits, même religieux, n’ont pas l’autorité que nous leur accordons. Michael Satlow, professeur d’Etudes Juives aux Etats Unis, le montre en parcourant toute l’histoire d’Israël et celle des premiers temps du christianisme en s’attachant, pour chaque époque, à évaluer l’usage et la fonction de l’écrit. Il le fait après avoir défini les différents types d’autorités que peut avoir un écrit, autorité littéraire quand un texte sert de modèle aux suivants, autorité normative dictant les comportements et autorité oraculaire véhiculant un message divin.
Il commence par un tableau des deux royaumes, d’Israël et de Juda, avant et après la disparition du premier, plus important et bien plus cultivé que le second. L’hébreu n‘est pas bien fixé, on écrit peu, activité réservée aux scribes peu nombreux. Ceux qui étaient en fonction autour des rois d’Israël et se sont réfugiés en Juda y ont apporté leurs pratiques et rares écrits. Ils rédigeaient des textes de lois plutôt comme des exercices d’écriture que comme des textes normatifs, des annales justifiant les possessions royales et des oracles. Ces écrits restaient dans les archives royales et ne circulaient guère. L’écriture se développa en Juda durant les deux siècles suivants, mais sans changer fondamentalement de fonction. La « découverte du « rouleau de la Thora » à l’époque de Josias marque une étape mais ce rouleau a une autorité plus oraculaire que normative et n’a pas un effet durable. Quant aux récits « historiques » ils importent aux scribes, pas aux prophètes, aux rois et encore moins au public général.
Vient la période de la diaspora et de l’empire perse qui, malgré la catastrophe initiale, permet une évolution religieuse. Contrairement à ce que l’on dit souvent la rédaction de texte par une classe de scribes dite sacerdotale, résulte plus de la volonté des dirigeants perses d’avoir des documents sur les peuples qu’ils dominent que du besoin des communautés juives d’avoir des textes de référence. Les écrits lus publiquement par Esdras sont loin d’avoir la consistance d’un Pentateuque bien établi et ont eu peu d’effets durables. S’ils circulent ce n’est qu’en des milieux très restreints. On a connaissance pour cette époque de communautés juives hors de Palestine qui ne se réfèrent à aucun texte établi.
C’est dans les trois dernier siècles du premier millénaire avant Jésus que, sous l’influence de l’hellénisme, l’écrit prend un rôle social et religieux nettement plus marqué avec des écrits de sagesse et de révélation dus à des auteurs un peu plus identifiables. Certains textes auront par la suite une valeur reconnue, d’autres pas. Ils ne touchent de toute façon qu’une infime minorité. On voit peu à peu, dans le judaïsme, se constituer deux courants opposés au sujet de l’Ecriture (avec ou sans majuscule ?). Celui qui, sous l’influence grecque donne de l’importance et une certaine autorité à des écrits, courant qui sera défini comme sadducéen, et celui, pharisien, qui donne plus d’importance aux traditions orales venant de loin, mais évolutives. L’hellénisme a aussi pour effet la traduction en grec, à la demande d’autorités non juives, d’un certain nombre de textes religieux du judaïsme, sélectionnés en fonction de leur usage en Egypte. Cette Septante fournit la première liste (ou canon) de textes bibliques ayant une certaine autorité. La constitution de cet ensemble et l’autorité des textes qu’il contient aura bien plus d’effet dans la diaspora qu’à Jérusalem même.
Des indices très importants sur la multiplicité des textes religieux, la diversité des versions de chacun d’eux et l’autorité très variable qu’on leur accordait se trouvent dans le vaste ensemble des manuscrits de la Mer Morte, dus aux Esséniens, que Satlow considère come des sadducéens marginaux. Les nombreux textes retrouvés ailleurs comme dans la Gueniza du Caire montrent aussi un foisonnement sans distinction entre ce qui n’a pas ou peu ou beaucoup d’autorité.
Jésus, lui, a peu cité d’écrits du Premier Testament (non encore totalement fixé). Ce sont surtout des textes ayant une autorité oraculaire plutôt que normative. Les auteurs des évangiles s’appuient surtout sur des écrits prophétiques avec le désir de renforcement mutuel et réciproque entre les textes cités et les paroles et gestes de Jésus. Paul, de son côté, cite très librement des passages « bibliques ». C’est surtout vis à vis d’un public marqué par l’hellénisme qu’il veut monter que son message christologique s’appuie sur des textes… même si ses auditeurs ou lecteurs ne les connaissent guère.
Ensuite ce n’est que lentement que dans le monde juif, surtout pharisien, les Ecrits reçoivent une autorité indiscutable et que dans le monde chrétien qui, vit longtemps sans textes propres, la liste des écrits de ce que nous appelons le Nouveau Testament est fixée et qu’une autorité leur est accordée, et encore pas à tous et pas par tous.
Quelle conclusion tirer de tout cela ? Bien évidemment que l’attachement absolu à la lettre des textes n’est pas tenable. Mais on peut aussi, Indépendamment du sujet principa,l s’attacher au cheminement historique que M. Satlow fait faire au lecteur, qui lui permet de découvrir ou d’actualiser sa connaissance de l’histoire générale du judaïsme et du christianisme antiques. Certes comme l’indique Thomas Römer dans sa préface très positive, toute une partie de la reconstitution historique est relativement hypothétique, mais elle appuyée sur des études savantes bien répertoriées. La vaste bibliographie de M. Satlow complétée par une bibliographie française de T. Römer rendra bien des services aux chercheurs. Bref, un livre important.
Olivier Pigeaud
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