2 Rois 5, 9-16 ; Luc 17, 11-21
Chers amis, frères et sœurs, je suis terriblement impressionnée ! Combien de prédications avez-vous faites sur ces deux textes ? A nous tous, combien de prédications avons-nous déjà faites, ou entendues là-dessus ? Comment pourrais-je vous dire quelque chose de neuf ? J’en tremble… !
Pendant deux jours, nous avons cheminé et nous avons tressé ensemble des questionnements fondamentaux autour de l’espérance et de l’humanité.
Ces deux histoires de lépreux viennent peut-être croiser ces questionnements.
Est-il question d’espérance dans ces récits ? Et si oui, qui la porte ?
Une espérance ?
Curieusement, dans les deux récits, les malades ne manifestent pas d’espérance. Les 10 lépreux qui se tiennent à distance de Jésus (comme le veut la loi) l’interpellent, mais peut-être seulement pour avoir quelques pièces. Ils ne demandent pas explicitement à être guéris. Naaman de son côté ne demande rien. C’est tout son entourage qui se mobilise pour sa guérison. D’abord une petite fille, esclave ramenée d’une razzia en Israël, qui susurre à sa maîtresse qu’en Samarie se trouve un prophète qui pourrait faire quelque chose contre la lèpre de son maître. Puis le roi d’Aram donne un courrier pour le roi d’Israël, puis le roi d’Israël qui ne comprend rien, se fâche. Elisée entend parler de la fâcherie, et fait appeler Naaman. Bref, toute une chaîne de témoins et de circonstances. Jusqu’aux serviteurs qui raisonnent Naaman quand celui-ci est vexé et veut tourner le dos au Jourdain, vexé par l’attitude un peu cavalière d’Elisée qui ne prend même pas la peine de sortir de chez lui pour le guérir.
De fait, Naaman avait vu un espoir de guérison se lever pour lui, mais il s’attendait à ce que cet espoir prenne forme dans des pratiques religieuses codifiées, selon des normes bien définies. Et à travers ces pratiques, c’est aussi de respect pour son rang que Naaman a besoin, de reconnaissance.
Personnellement, si j’entendais parler d’un pasteur qui traite les gens comme Elisée a traité Naaman, je ne serais pas ravie, ravie ! Ne pas même rencontrer la personne pour entendre la demande, c’est presque une faute professionnelle. Et je ne parle même pas du refus du don. Ce n’est pas avec des pasteurs comme Elisée que l’Eglise pourrait continuer à payer ses pasteurs !
Mais trêve de plaisanterie…
Une espérance portée par une communauté
La guérison de Naaman nous parle d’une communauté de foi, celle des serviteurs qui se soudent pour convaincre leur maître que dans le dénuement, l’abandon des prérogatives du pouvoir, quelque chose peut se recevoir, peut se découvrir. Dans l’acceptation du dénuement, Naaman reçoit la guérison et découvre la foi au Dieu d’Israël, ce Dieu qui sauve son peuple et aussi les autres !
Une communauté de foi a porté Naaman qui n’y croyait pas, jusqu’à la guérison.
Qu’en est-il des lépreux qui rencontrent Jésus entre la Samarie et la Galilée ?
Ils forment une communauté qui parle d’une seule voix. Ils sont 10, le nombre nécessaire pour tenir l’office à la synagogue. Mais bien sûr ils en sont exclus. Ils forment une communauté aux marges, une communauté particulièrement unie. Ils parlent d’une seule voix, ils font tout de la même manière et ils sont purifiés en même temps. C’est alors que l’un d’eux brise cette belle unanimité et se sépare du groupe.
Sur le plan rationnel, ce retour en arrière du 10° lépreux est insensé, tout comme le bain dans le Jourdain sans l’invocation et les gestes rituels. Ce retour en arrière est insensé car le lépreux devait obligatoirement aller voir les prêtres pour faire valider sa guérison et avoir donc le droit de revenir dans la communauté des humains « sains ».
Sorti de la communauté subie des autres lépreux, il est tout-à-coup seul, individu qui s’est vu guéri, qui décide enfin seul de son chemin et ouvre la bouche pour glorifier à pleine voix Dieu et son porte-parole.
Tous les 10 ont été guéris/purifiés, mais un seul l’a vu et a bouleversé son itinéraire. Pour lui, l’espérance ne pouvait se vivre qu’à l’extérieur de ce groupe mortifère.
Ces deux récits en miroir m’interrogent sur ce qu’est une communauté, un groupe, une Eglise.
Autour de Naaman, les serviteurs sont en dialogue. Malgré des différences hiérarchiques, la parole circule. Même pour la petite fille, il est possible de parler. J’imagine que Naaman et sa femme traitaient bien leurs serviteurs pour qu’ils puissent ainsi parler et même contester. C’est un groupe divers mais où la parole circule et où l’encouragement se manifeste pour porter, soutenir.
J’aimerais, je rêve, je sais que l’Eglise ressemble aux serviteurs de Naaman, prête à l’humilité et à la confiance en une parole donnée de manière certes désinvolte, mais une parole agissante qui a autorité. J’aimerais / je rêve / je sais que l’Eglise est un lieu d’encouragement à la vie.
Mais je redoute les communautés fermées, où la parole ne circule pas, où tous parlent « comme un seul homme » par peur de l’extérieur et où le seul salut possible se trouverait à l’intérieur d’un groupe accroché à ses valeurs. Communauté de mort où la seule vie possible réside dans la fuite.
La foi
10 ont été guéris, un seul a été sauvé. Le lépreux n°10 (on l’appellera ainsi) « s’est vu guéri » dit le texte. Et Jésus lui dit « va, ta foi t’a sauvé ». 10 ont été guéris, un seul a été sauvé parce qu’il a vu.
Ce n’est pas la foi qui a été le moyen de la guérison, puisque les autres aussi ont été guéris. La foi ici, c’est la capacité à reconnaître dans sa vie la présence agissante de Dieu. Dans l’après-coup, toujours dans l’après-coup.
Ensuite, la foi fait faire des choses parfaitement stupides, complètement en dehors des clous, pour manifester la joie, la reconnaissance, comme pour n°10 ici, qui oublie d’aller voir les prêtres alors que c’est absolument nécessaire, mais qui va se coucher dans la poussière aux pieds de Jésus pour dire merci.
Il s’agit de voir. Tous ont été guéris, mais un seul en tire les conclusions salutaires parce qu’il a vu. Ça paraît bizarre de ne pas être capable de voir. Mais c’est tellement ordinaire. Comme il est facile de voir chez l’autre ce qui va bien, ce qui ne va pas, et ce qui est sur une mauvaise pente… Mais le voir chez moi, c’est bien plus difficile. Et je peux passer des années à ne pas voir, à ne pas vouloir voir ou ne pas vouloir être vu…
Voir qu’il a été guéri. Se voir guéri, qu’est-ce que ça fait d’être guéri ?
Le miracle n’est pas d’être guéri, mais de faire quelque chose de sa guérison.
Naaman a été poussé par ses serviteurs et se voyant guéri, ne veut plus adorer que le Dieu d’Israël, le Dieu de ses ennemis. Lépreux n°10 se trouve guéri, lui l’étranger, le samaritain. Mais par ailleurs, rien ne dit que les 9 autres n’étaient pas des samaritains. Jésus se promenant entre la Samarie et la Galilée, doit bien s’attendre à rencontrer des samaritains…
On pourrait lire ce retour en arrière de manière très morale. C’est bien de savoir dire merci. Pourtant, ce n’est pas de cela qu’il s’agit, puisqu’il s’agit de voir, d’être en capacité de voir. Peut-être avec des prothèses au besoin ! Est-ce que cela s’apprend ? Est-ce qu’on peut apprendre à voir les dons de Dieu dans sa vie ? Comme les souriceaux dont on change les gênes en les plaçant dans une famille de souris bienveillantes (expérience racontée par Didier Sicard) ? Est-ce que la foi s’apprend ?
Voilà mon rêve d’Eglise : une communauté d’hommes et de femmes en relation, où la parole circule sans discrimination, où les points de vue différents sont écoutés et où chacun encourage l’autre à accepter et reconnaître simplement les dons de Dieu.
Voilà mon rêve d’Eglise, une communauté d’hommes et de femmes assez fous et inconscients pour aller chez l’ennemi désarmés et accepter de lui la guérison. Des hommes et des femmes assez fous pour crier à tue-tête leur joie et leur reconnaissance sans chercher à calculer toutes les conséquences. Dans cette Eglise, ce n’est pas la peine de chercher ici ou là, le Règne de Dieu est au milieu.
Je ne vous connais pas tous, mais pour moi vous êtes témoins de cette folie, témoins de ce regard qui voit les merveilles de Dieu, témoins de cette action de grâce, à temps et à contretemps, témoins de foi.
Alors à mon tour, je rends grâce à Dieu, pour vous.
Amen
Pasteure Emmanuelle Seyboldt
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