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#MeToo : les protestants de France font leur examen de conscience

À Strasbourg, un professeur de théologie suscite une mobilisation étudiante.
À Montpellier, une figure est mise en cause par trois femmes. L’Église protestante unie de France a décidé de s’associer aux catholiques pour faire face aux affaires de violences sexuelles qui la secouent.

Strasbourg (Bas-Rhin).– Ils sont une petite vingtaine d’étudiant·es, dans la bruine et le froid strasbourgeois, jeudi 19 décembre devant les grilles du Palais universitaire. À l’aide de barrières en fer et de poubelles, ils ont bloqué l’accès à la faculté de théologie ainsi qu’au reste des salles situées dans le bâtiment. Sur des banderoles de tissu blanc, on lit « Pas de violeurs dans nos facs », inscrit en lettres rouges. « Ça fait quatre mois que Michaël Langlois a été réintégré à la faculté et qu’il peut continuer son enseignement. Ça met des étudiant·es dans une situation difficile », explique Jade, 21 ans, inscrite en master de cinéma et membre de la Fédération syndicale étudiante de Strasbourg. Le maître de conférences de 48 ans, spécialiste de l’Ancien Testament, est accusé de viol, harcèlement moral et diffamation par deux anciennes étudiantes qui ont porté plainte en 2021, dont son ex-compagne. Après une enquête interne menée par l’université de Strasbourg, Michaël Langlois a été exclu en septembre 2023 pour trois ans, avec suspension de son salaire. Mais il a finalement été réintégré en septembre 2024 en raison d’un vice de forme dans la procédure. L’université a affirmé à Mediapart à l’époque faire appel de cette décision devant le Conseil d’État.

Sauf qu’en attendant, l’enseignant est revenu dans les murs. Et sa présence dérange nombre d’étudiant·es. Clémentine Besse est en troisième année de théologie, inscrite en distanciel à Strasbourg. La jeune femme de 34 ans a été victime de plusieurs agressions sexuelles et tentatives de viols. Pour elle, assister à un cours de Michaël Langlois, même en visio, est insoutenable. « Avec un enseignant, il y a une relation implicite de confiance où l’enseignant fait autorité et peut juger notre travail. Mais pour moi, aujourd’hui, il y a une dissonance cognitive très forte quand j’assiste à l’un de ses cours. Coupable ou innocent, il y a quand même plus d’une dizaine de personnes qui ont témoigné contre lui, et pour moi, ça n’est pas possible de lui accorder ma confiance », dit l’étudiante qui a « développé un instinct de survie » au fil des années.

Un appel lancé dans un hebdo protestant

Dès la rentrée universitaire, l’étudiante écrit au doyen de la faculté de théologie, Thierry Legrand, ainsi qu’à la vice-doyenne. « Ils ont été compréhensifs et m’ont dit qu’ils allaient trouver une solution. » Mais les semaines passent, et l’étudiante ne voit aucun changement. Elle demande à suivre le même cours, mais avec un autre enseignant. Début décembre, elle publie une lettre ouverte sur le forum des étudiant·es. Elle décrit les violences qu’elle a subies entre ses 11 et ses 28 ans, et raconte l’état de stress et d’angoisse dans lequel elle vit depuis. Elle conclut : « Contraindre les étudiantes victimes de violences sexuelles à étudier dans de telles circonstances créerait une rupture d’égalité avec ceux qui ont eu la chance de ne pas l’être. » Elle écrit également devoir mettre fin à ses études, n’ayant pu valider le cours qu’elle était censée suivre avec Michaël Langlois. « J’avais des crises d’angoisse, c’était devenu impossible », glisse-t-elle doucement au téléphone. L’université a finalement signifié à l’étudiante qu’elle pouvait passer son oral de fin de semestre avec un autre professeur, deux semaines avant son examen. Trop tard pour Clémentine qui, depuis septembre, n’avait assisté à aucun cours dans cette matière.

La jeune femme ne s’est pas arrêtée là. Elle a décidé d’interpeller les institutions protestantes et universitaires. Avec Léo Calame, un ami inscrit en licence de théologie, ils ont rédigé un appel adressé à l’université de Strasbourg, aux Instituts protestants de théologie (IPT) de Paris et Montpellier, ainsi qu’aux Églises protestantes de France. Ce texte, publié lundi 6 janvier dans l’hebdomadaire Réforme, et signé par une douzaine d’étudiant·es, ainsi que plusieurs dizaines d’ex-élèves, d’enseignant·es, de pasteur·es et personnalités du monde protestant, demande « des propositions concrètes pour que les institutions protestantes soient des lieux où les personnes vulnérables aux VSS [violences sexistes et sexuelles – ndlr] puissent continuer à être en sécurité ». L’appel préconise des formations pour les enseignant·es de la fac, les étudiant·es et les pasteur·es, ainsi que la création d’un module sur l’éthique de l’exercice de l’autorité en milieu religieux dans tous les IPT de France.

Au sein de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL), une session de quatre jours sur le thème des violences psychologiques, sexuelles et spirituelles a été ajoutée dans la formation des futur·es pasteur·es (qui dure deux ans) en 2023. Une formation qui n’existe même pas au sein de l’Église protestante unie de France (EPUdF), dont est membre Émeline Daudé, pasteure à Montpellier (Hérault). La jeune femme dénonce l’absence d’un code de déontologie pour les pasteurs, ou encore la copie du casier judiciaire « qui n’est pas demandée aux responsables de catéchèse, ou aux visiteurs de malades par exemple ».

Stéphane Lavignotte, pasteur à Montreuil (Seine-Saint-Denis), soutient lui aussi ce combat. « Les institutions protestantes se sont longtemps crues au-dessus de tout ça. Or le protestantisme est comme la société, nous ne sommes pas détachés du monde, donc forcément, il y a aussi du patriarcat et des VSS chez nous. » Également professeur d’éthique de la faculté de théologie protestante de Bruxelles, le pasteur ajoute, lapidaire : « On a été aveuglés par le fait qu’on pensait que ça n’arrivait que chez les catholiques, parce que nos pasteurs sont mariés. Mais finalement chez nous, le pasteur ou le professeur représente une figure d’autorité, il a un certain pouvoir. Et il faut encadrer ce pouvoir. »

Le témoignage de Clémentine Besse a par ailleurs réveillé des souvenirs personnels et familiaux chez Stéphane Lavignotte. Son frère, Guilhem Lavignotte, a été victime de violences au sein de l’Académie de l’orgue de Saint-Dié, dans les Vosges, lorsqu’il était adolescent. Une institution qui dépendait de l’Église réformée de France. Guilhem a 15 ans lorsqu’il débarque dans l’Est de la France pour suivre un stage d’orgue de deux semaines en 1992. L’adolescent raconte alors être victime d’agressions sexuelles commises par deux professeurs encadrants. « On logeait presque tous dans le même bâtiment, profs et élèves. Les enseignants attiraient des élèves dans leur chambre », explique-t-il aujourd’hui. Les violences vont perdurer jusqu’à ses 19 ans, dans les Vosges et en Suisse. Dix ans après les faits, Guilhem Lavignotte décide de porter plainte, en France et en Suisse. « Mais les faits étaient prescrits en France, et en Suisse,  le juge a mené une enquête puis classé l’affaire pour prescription également. » Âgé de 49 ans, l’organiste, installé en Suisse depuis trente ans, a décidé « de ne plus avoir honte ». En octobre, il raconte son histoire dans le média suisse 24 heures. Quelques mois plus tôt, il avait contacté l’Église protestante unie de France (EPUdF). « J’ai expliqué que si l’accueil très compassionnel que j’y ai reçu faisait du bien, il fallait savoir passer des paroles aux actes », dit-il.

Du côté de l’EPUdF, en 2019, avec la vague #MeToo qui déferle sur le monde, la présidente Emmanuelle Seyboldt se « disai[t] bien qu’il fallait se saisir du sujet dans [leur] Église ». Mais la quinquagénaire reconnaît qu’il lui a « fallu un certain temps pour cheminer avec ça, savoir comment avancer ». En 2021, l’EPUdF crée une cellule d’écoute pour les victimes. Mais c’est en 2024 que tout s’accélère, avec deux cas signalés qui vont bousculer Emmanuelle Seyboldt.

Le théologien Jean Ansaldi mis en cause

Il y a d’abord l’histoire de Guilhem Lavignotte, puis celle de trois personnes qui contactent l’EPUdF pour dénoncer un théologien et pasteur respecté, enseignant à Montpellier, et décédé en 2010 : Jean Ansaldi. Pasteur, puis professeur d’éthique à la faculté de théologie de Montpellier des années 1970 à 1997, Jean Ansaldi était connu et reconnu pour son articulation particulière entre théologie et psychanalyse. Les accusations rapportées à l’EPUdF portent sur des faits d’agressions sexuelles qui auraient été commises par le théologien dans le cadre de « l’accompagnement spirituel », de « thérapie », voire de « psychanalyse » qu’il donnait au sein d’une communauté basée dans les Cévennes. « On est sur des phénomènes d’emprise spirituelle, avec des faits qui se produisaient dans la communauté, mais aussi – peut-être – à la faculté avec des étudiantes », explique Emmanuelle Seyboldt. Pour la présidente de l’EPUdF, lorsque le nom de Jean Ansaldi est donné par trois femmes au printemps et à l’été 2024, « c’est un séisme » « L’EPUdF, c’est une petite institution, nous nous connaissons tous. Ansaldi, je l’ai eu comme prof. Les responsables de l’association d’organistes de Saint-Dié, je les connaissais aussi. C’est à ce moment-là que je me suis dit que nous avions besoin d’aide. »

Emmanuelle Seyboldt décide alors de contacter l’Église catholique et demande à rejoindre la commission réparation et réconciliation (CRR) mise en place après la publication d’un rapport d’ampleur sur les violences commises par des prêtres. C’est chose faite le 7 novembre. Le but, selon la présidente de l’Église protestante unie, c’est « que les personnes qui nous ont contactées puissent être accompagnées, que leur histoire soit mise à l’écrit ». La présidente lance aussi un appel aux autres victimes : « C’est important qu’elles comprennent que nous avons mis en place un processus de reconnaissance, et que si elles ont également été victimes de cette personne, il faut qu’elles le disent. » L’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine, elle, n’a pas encore prévu d’adhérer à la CRR, « mais si la demande existe, nous l’examinerons », assure diplomatiquement Pierre Magne de la Croix, vice-président de l’UEPAL. Le pasteur explique qu’un protocole d’accueil de la parole des victimes a été mis en place en janvier 2024, ainsi qu’un comité composé de cinq personnes, saisi des signalements de violences.  Pour Guilhem Lavignotte, cette avancée de l’Église protestante en France est immense. « C’est important parce que les victimes protestantes seront traitées à égalité avec les victimes catholiques. Ça donne un sens à mes combats juridiques, qui ont duré vingt ans. » L’organiste espère lui aussi que ces prises de parole vont permettre à d’autres victimes de dénoncer. « J’ai le courage de parler, pour que les autres le fassent aussi, et osent parler à visage découvert, parce que ça a beaucoup d’impact. Ça dit aux autres victimes : la peur doit changer de camp. D’une part, cela fait peur aux auteurs, mais aussi aux Églises, car cela signifie que tôt ou tard, ils devront rendre des comptes. »

Maud de Carpentier
Article paru dans Mediapart, le 6 janvier 2025

About the author

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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