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« J’étais un étranger et vous m’avez accueilli », par Frédéric Trautmann

« J’étais un étranger et vous m’avez accueilli »

Les débats, les cahiers de doléances, les gilets jaunes de ces derniers mois ont pointé un certain nombre de défis très concrets qui nous concernent directement, nous français, mais qui en même temps renvoient vers des défis mondiaux : le fossé qui se creuse entre pauvres et riches renvoie vers une financiarisation universelle débridée ; le défi de la  marchandisation de toute chose qui veut que tout s’achète et tout se vend ; la médiatisation instantanée et générale avec son cortège de fake news ; la numérisation sûrement utile mais risquant de déshumaniser l’homme ; le manque de démocratie participative avec la montée des populismes et la culture du chef ; sans parler du grave défi écologique et du réchauffement climatique déjà largement en cours et souvent vécu comme une fatalité.

Un défi pourtant est assez peu évoqué, c’est celui de la croissance démographique mondiale qui en entraine un autre, celui de l’augmentation des migrations humaines. Je n’en suis pas un spécialiste mais souhaite juste partager sur ce sujet quelques inquiétudes et quelques questions existentielles et urgentes. Il n’est un mystère pour personne que la population mondiale augmente et continuera d’augmenter : 1,6 milliards il y a un siècle, 7,6 milliards aujourd’hui, plus de 11 milliards avant cent ans. Le phénomène est particulièrement visible en Afrique mais pas seulement. Nul n’est besoin de recourir à des probabilités statistiques alarmistes pour comprendre, par simple calcul arithmétique, pourquoi la population mondiale croit chaque année de plus de 90 millions d’êtres humains. Question naïve : le jour arrivera-t-il où notre terre ne pourra plus nourrir sa population et où celle-ci n’aura plus assez d’espace pour vivre sans tout déforester, brûler, creuser, démolir, bétonner, polluer, surexploiter ? Ne vivons-nous pas déjà, pour les uns largement au-dessus de nos moyens de cultiver, de pêcher, de produire, et pour les autres en dessous du minimum vital ?

Faut-il s’étonner que dans ces conditions ne grossissent sans cesse les flux migratoires à l’intérieur des continents et entre les continents, sachant que ces mouvements vont presque toujours des régions les plus pauvres et menacées vers les plus riches et soi-disant les plus sûres ?

Le retraité relativement nanti que je suis n’a naturellement aucune leçon à donner mais je dois, et nous devons tous nous interroger sur les responsabilités que nous portons individuellement et collectivement. Que faire ? Fermer nos frontières, nous barricader derrière des murs malthusiens ou identitaires ? L’histoire a montré que tôt ou tard ils finiront par céder. D’ailleurs la même histoire n’a-t-elle pas montré aussi que l’immigration est toujours une chance pour un pays qui veut et peut les accueillir dignement, alors que l’enfermement a souvent conduit vers le dépérissement et même la dégénérescence sur tous les plans ? Bien sûr les peurs d’envahissement voire de remplacement que l’on constate au sein de notre occident en voie de dépeuplement relatif ne peuvent être ignorés et une régulation démographique et migratoire mondiale, concertée, rigoureuse et respectueuse des hommes et des peuples devra être envisagée au même titre que des réponses aux autres grands défis qui de fait sont liés entre eux.

Il est de la responsabilité des pays riches et de leurs habitants d’aider les peuples les plus pauvres à nourrir, à soigner, à éduquer leurs citoyens et à maîtriser leur croissance démographique, à pallier les menaces de désertification ou de submersion climatiques, à lutter contre la corruption et les guerres. Sommes-nous prêts à augmenter notablement notre contribution à une telle politique d’aide solidaire au développement écologique et durable des peuples et à créer ainsi un véritable partenariat humain avec eux ? En même temps, comment militer démocratiquement pour une véritable politique de l’immigration en France, qui devrait être prioritaire pour l’Europe alors que des centaines de migrants africains continuent à se noyer dans nos mers et nos océans ? Nous avons encore de la place pour eux dans notre pays, et des milliers d’emplois ne trouvent pas preneurs chez nous. Sans prétendre vouloir « accueillir toute la misère du monde », cela implique que nous nous donnions les moyens d’accueillir encore de nombreux demandeurs d’asile mais aussi de réfugiés économiques et climatiques, de créer pour eux des conditions de vie décentes et de les former pour leur permettre d’être des citoyens responsables.

Bien sûr, et toujours dans le même temps, notre aide individuelle et notre politique doivent aller vers les 9 millions de pauvres et vers la formation des chômeurs chez nous, leur appel à l’aide nous a été suffisamment répercuté par les mouvements sociaux ces derniers temps. A l’État, aux politiques, aux syndicats, aux Églises, aux associations et à chacun de nous de convaincre nos concitoyens de la nécessité devenue vitale pour nous d’engager résolument une telle politique économique, sociale et humaine.

En fin de compte, il apparaît assez clairement qu’une telle révolution dans notre mode de gestion du monde n’ira probablement pas sans changer quelque chose à notre propre mode de vie individuel et collectif. Vivre plus sobrement, modérer nos exigences de croissance matérielle, accepter une répartition plus juste et égalitaire de nos richesses, faire une place à ceux qui en sont privés, donner de la voix pour ceux qui n’ont pas la parole. Mais plus encore il nous faudra sans doute retrouver une foi active dans les valeurs qui font la spécificité du genre humain, valeurs intellectuelles, éthiques et spirituelles héritées des Lumières, pour nous surtout héritées de Jésus de Nazareth le Christ mais que les chrétiens peuvent partager avec bien des croyants d’autres religions et avec bien des non croyants. La valeur phare aujourd’hui ne serait-elle pas l’amour du prochain, la solidarité, le vivre ensemble, que même la République dans sa devise a traduite par « fraternité » ? Alors pour conclure, cette parole entendue de Michel Camdessus, ancien directeur général du FMI et grand humaniste chrétien : « Si on considère notre devise républicaine « liberté, égalité, fraternité » on peut dire que notre liberté ne peut avoir qu’une seule limite, c’est la fraternité. Et que l’égalité entre les hommes ne doit avoir qu’un seul moteur, et c’est encore la fraternité. »

Frédéric Trautmann

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