Guilhen Antier : Les Protestants ont-ils le sens de l’Église. Olivetan, 2021, 144p., 15 €
C’est un ouvrage qui rassemble plusieurs contributions issues d’une journée d’études organisée par l’Institut protestant de théologie, Faculté de Montpellier. Cela donne un ensemble passionnant. D’abord parce qu’on ne peut pas dire que l’Église soit un thème qui serait particulièrement traité dans la théologie protestante. C’est donc intéressant de voir ici des théologiens venus de plusieurs disciplines se confronter à cette question de l’Église. C’est intéressant aussi parce que c’est une réflexion qui résonne particulièrement dans une époque où notre « vivre ensemble » est en souffrance. Cela donne à la réflexion sur l’Église une étonnante actualité. N’y aurait-il pas en effet dans nos différents modèles de vie d’Église des pistes, des suggestions, pour retrouver le sens d’un « vivre en société » aujourd’hui menacé par ce que Jérôme Fourqet appelle « l’archipel français » ?
Marianne Carbonnier-Burkard : L' »Église » mise au pluriel : une révolution de la Réforme. Marianne Carbonnier-Burkard rappelle les grandes lignes de la révolution ecclésiologique de Luther et reprise à sa manière par Calvin. Pour Luther, « la sainte Église n’a pas de lien avec Rome… Elle est dans tout le vaste monde, une assemblée spirituelle (et non terrestre) dans une même foi« . Nous sommes tous prêtres et les Églises sont les paroisses. Calvin n’a pas lu Luther mais il s’inscrit dans un continuum. L’Église, c’est l’assemblée spirituelle. On peut savoir qu’il y a « Église de Dieu, là où la Parole de Dieu est purement prêchée et entendue et là où les sacrements sont administrés selon l’institution du Christ« . Pour Calvin, nous sommes tous prêtres. L’Église est également dans la pluralité des Églises locales. Les Réformateurs font éclater le modèle d’une Église « une » issue de la conception classique et médiévale de l’Église. L’Église universelle est une Église plurielle : « C’est une pluralité qui n’est pas seulement un fait accompli mais qui est pensée théologiquement« .
Frédéric Chavel : Comprendre et communier – Leuenberg à réinterpréter. Frédéric Chavel analyse de la façon dont a été reçue et accueillie la Concorde de Leuenberg conclue en 1973 entre les Églises issues de la Réforme. Pour Chavel, il y a un malentendu ; malentendu entre « communion » et « communion ecclésiale », entre « compréhension » et « compréhension doctrinale ». « Au-delà de la question de la communion ecclésiale, c’est la communion tout court qui forme dans ce texte (Leuenberg) la vraie source et le vrai sommet. La question de la communion est l’horizon dans lequel se meut l’ensemble de l’ecclésiologie de Leuenberg, comme une quête historique, un chemin sur lequel on est précédé par des parents et suivi par des enfants« . Frédéric Chavel décrit son schéma entre communier et comprendre comme une « boucle herméneutique ». La communion comme quête est à la fois condition et finalité pour dire « la grâce libre et inconditionnelle de Dieu ».
Gabriella Iaione : L’Église en crise et dans la crise, d’après Paul Tillich. Gabriella Iaione interroge Tillich sur sa compréhension de l’Église. Pour Tillich, l’Église est la « Communauté spirituelle dans laquelle se manifeste l’Être Nouveau, à savoir Jésus entant que Christ ». Ainsi, l’annonce du Royaume de Dieu est indissociable de la mission de l’Église. Dans cette perspective, l’Église doit entretenir un dialogue permanent avec le monde en vue d’un message de courage et d’espoir. Pour Tillich, foi et courage sont liés, « l’Église doit promulguer un message d’espoir qui se fonde sur le courage d’être« . « Nous avons besoin de plus de passion, écrit Tillich, de plus de puissance intellectuelle, de plus protestation protestante contre nous-mêmes et de plus d’espoir protestant pour notre monde« .
Guilhen Antier : L’Église entre événement et institution. Quelques interrogations en contexte d’hypermodernité. L’ecclésiologie protestante penche du coté de l’événement et l’ecclésiologie catholique du coté de l’institution. Guilhen Antier interroge cette distinction : « N’y a-t-il pas de l’événement dans l’institution, mais aussi de l’institution dans l’événement ? Il prend ensuite acte avec Gilles Lipovetsky, Alain Ehrenberg, Régis Debray, Pierre Legendre, Zygmunt Bauman du fait de « l’événementialisation de la vie » dans notre contexte d’hypermodernité : « L’événement marque ce qui arrive, advient ou devient, l’institution ce qui est, demeure ou perdure. L’événement ouvre là où l’institution ferme« . Pourtant la loi – l’institution – n’est-elle pas constituante pour le sujet ? La loi, quand elle désigne la limite, ne désigne-t-elle pas la place de l’Autre ? Guilhen Antier fait alors appel à l’École expérimentale de Bonneuil où Maud Mannoni avait mis en place une institution « qui loin d’écraser ou d’étouffer le sujet, lui donne de l’air, lui laisse du champ…« . Une telle institution donne de la place à l’événement, elle « institue un sujet, elle constitue l’événement d’une naissance« . « Alors pour moi, écrit Guilhen Antier, la question c’est de savoir si l’Église est capable d’être un lieu instituant pour le sujet« .
Christophe Singer : Y a-t-il un pilote dans l’Église ? Christophe Singer relève le défi d’une boutade échangée au détour d’une conversation de couloir et se donne comme objectif d’interroger l’articulation entre Christ qui dirige l’Église invisible et l’autorité de ceux qui assument les responsabilités concrètes sur l’Église visible. C’est une articulation qui relève de la foi, une foi en la promesse de Dieu. Une foi qui toutefois n’est pas dénuée d’ambiguïtés et notamment celle parfois, de la part de ceux qui dirigent, de prétendre au vrai, à ce qui est juste et inspiré. Singer poursuit avec l’image du pilotage aérien en s’interrogeant sur le véritable lieu du cockpit : « Le cockpit ne se situe pas dans les lieux décisionnaires des associations locales ou supra-locales : il est l’instant de la prédication et du sacrement, car c’est là que le Christ est désigné. C’est dans le geste du sacrement et dans la parole de la prédication que sa voix se fait entendre« . Pour Christophe Singer, Christ est le pilote en ce sens que c’est lui qui envoie ses disciples. « Il oriente leur action, configure leur groupe, leur donne l’impulsion nécessaire à l’envol« . Il est le contrôleur aérien et c’est ce qui soutient le vol de l’Église.
Olivier Abel : Le théâtre ecclésial. Olivier Abel revendique une approche philosophique même s’il est vrai que « rares sont les philosophes qui ont traité de l’Église comme concept philosophique« . Dans la suite de Hannah Arendt, il envisage l’Église comme le « théâtre de notre apparition mutuelle« . Elle a pour mission de canaliser l’énergie de la foi et de permettre l’expression d’une pluralité dans le « rapport au monde, au temps, aux autres, à Dieu, mais encore la pluralité des formes ecclésiales« . Les communautés monastiques ont été des laboratoires d’expérimentation. Les Réformateurs ont fermé les monastères parce qu’on est partout devant Dieu, « tout est théâtre de la gloire de Dieu« . Pourtant, nous manquons de ces espaces du retrait, nous avons besoin de nous retirer avant de nous montrer, écrit Olivier Abel. Après avoir interrogé l’institution comme théâtre d’un conflit entre transmission et lutte pour la reconnaissance, le spirituel comme la forme de la religion dans un monde liquide, la communauté ecclésiale comme rythme, il conclut sur le culte comme « cœur battant du théâtre ecclésial ». Le culte est un « théâtre sacré », « il remet en scène nos scénarios fondateurs, les déconstruit, en fait jouer les jointures à en disjoindre nos représentations. Les portes de notre monde en sont ébranlées« . C’est un parcours philosophique stimulant qui ouvre des pistes vers une pluralité de formes de vie communautaire et qui, en ce sens, éclaire nos interrogations sur le vivre ensemble.
Céline Rohmer et François Vouga : À la recherche de l’Église. Promenade à travers le Nouveau Testament. Céline Rohmer et François Vouga se promènent à travers le Nouveau Testament et l’interrogent sur l’Église : La première surprise vient du manque d’intérêt du Nouveau Testament pour l’Église, écrivent-ils : « Ni Matthieu ni Paul ne s’intéressent à l’Église mais à l’événement qui la fonde : Christ« . Dans le Nouveau testament, la tâche de l’Église c’est « l’édification de la terre habitée comme corps du Christ », l’identité de l’Église c’est « l’annonce universelle, dans l’espace et le temps, de la bonne nouvelle d’une promesse qui s’accomplit comme vérité de l’existence humaine ». C’est ce qui se passe dans la communauté des croyants qui est important. Chez Jean, le repas et le lavement de pieds sont « la marque identitaire révélatrice de l’appartenance à la transcendance de l’unité du Père et du Fils« . En ce sens, le Nouveau Testament s’intéresse plus à raconter la vie ecclésiale qu’à l’organiser. Cette promenade se termine sur l’image du berger et de l’enclos chez Jean : « Être de l’enclos n’est pas condition d’appartenance au berger. Des brebis s’ignorent. L’unité du troupeau vient donc comme une promesse réalisée par celui-là seul qui mène à la vie… Jean n’est définitivement pas intéressé à organiser l’Église, ce serait rester dans l’enclos. C’est dehors que les brebis trouvent leur pâturage, dans la manducation de la Parole qu’est donnée la vie en abondance« . Très belle promenade où l’Église apparaît comme tout autre chose qu’une tribu qui serait préoccupée par elle-même mais comme un appel, une promesse, où chacun est connu et reconnu. C’est la grâce !
A.R
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