Conférence d’Emmanuelle SEYBOLDT, présidente du conseil national de l’Église Protestante Unie de France
Journée du Consistoire Gardon-Rhône – Dimanche 3 février 2019, dans le temple de St Chaptes
« Faiblesses et richesses de l’Église »
Très heureuse d’être avec vous aujourd’hui. Parce que c’est un peu comme si j’arrivais à la maison, ou je revenais à la maison. Et même si je n’ai plus vraiment l’accent chantant, je ne suis pas tout à fait une estrangère. Je suis une « vraie pescalune ». Cette entrée en matière comporte des risques : vous pouvez vous dire, rien de bon ne peut sortir de Lunel. Tu te souviens, le cousin de Lunel, il était un peu fada. Vous pouvez aussi vous dire, c’est la petite qui revient. Elle a fait un bout de chemin. Et vous ne prenez pas au sérieux ce que je vais vous dire. Et puis vous pouvez encore le prendre de plein de manières. Mais bon, finalement, ça ne change rien. Je suis heureuse d’être là et de revenir un peu à la maison !
Une Eglise dans une société qui change
Quand on regarde en arrière, c’est souvent pour dire : de mon temps, le temple était plein, chaque année il y avait 20 ou 30 confirmants, il y avait un pasteur dans chaque village… Et tout cela est sans doute vrai (enfin, attention quand même, la mémoire enjolive bien les choses, parfois). Dans ce même temps, toutes les familles n’avaient pas de voiture, la télévision était encore à ses débuts. Je ne parle même pas du téléphone. Le travail était bien différent, la médecine… La société a changé, le monde a changé. L’Eglise change parce que le monde change. Tout simplement. Et cela n’a rien à voir avec ce que nous aurions manqué ou mal fait. Les pasteurs étaient souvent de bons pasteurs. Les parents, les grands-parents ont fait leur travail. Mais cela n’a pas empêché le monde de changer, les relations humaines d’évoluer et la transmission des connaissances d’être bouleversée.
Une Église à l’écoute de l’Esprit
Si nous regardons les choses d’un peu loin, depuis les premières communautés chrétiennes rassemblées autour de Pierre, de Jacques, de Paul et les autres, l’Église s’est répandue dans le monde entier. Aujourd’hui, 33% de la population mondiale est chrétienne, c’est-à-dire la religion la plus répandue. 2000 ans d’histoire pour l’Eglise, 2000 ans d’annonce de l’Évangile, de catéchisme, de prédications, d’engagement diaconal, 2000 ans de témoins. 2000 ans aussi de schismes, de violences, de compromissions avec le pouvoir politique, d’excommunication et d’errance.
Mais malgré tout, l’annonce de l’Évangile s’est poursuivie, preuve que l’Esprit est à l’œuvre malgré les humains !
Fondamentalement, la première richesse de l’Église, c’est la Parole de Dieu. C’est sur elle qu’est fondée l’Église.
Si j’ai voulu dire ces quelques évidences, c’est pour rappeler que Dieu conduit l’Église, et parfois même malgré nous s’il le faut. Mais Dieu pourtant a choisi d’avoir besoin de nous dans son Église !
La question qui nous est adressée aujourd’hui est celle-ci : comment discernons-nous là où Dieu veut conduire son Église, dont nous sommes une petite partie ? Le monde change et notre Eglise doit changer. Non pas pour être « dans l’air du temps », comme je l’entends parfois sous forme de reproche, mais parce que si nous sommes convaincus, et je le suis, que l’Évangile est d’une pertinence inégalée aujourd’hui, nous devons dépoussiérer la boîte Église protestante unie pour que nos concitoyens aient envie de voir ce qu’il y a dedans. Changeons ce qui est accessoire pour garder le cœur du message.
Quand Luther reçoit, en 1517, la conviction que Dieu sauve l’être humain par grâce, tous les accessoires de l’Église d’alors s’écroulent et il invente une nouvelle façon d’être Église. Certes, il y a toujours des bâtiments, mais ils n’ont pas la même importance, il y a toujours des responsables du culte, mais ils ne sont plus des clercs, il y a toujours un office, mais il est complètement revisité. On pourrait prolonger les exemples.
Quel est le cœur de l’Evangile pour nous aujourd’hui et que devons-nous transformer voire jeter pour être fidèle à l’Évangile ?
L’Église doit changer, et le changement ça fait mal. Souvenez-vous de votre adolescence. Je crois que pour rien au monde je ne voudrais revivre cette époque. C’est comme la mue. Quand la vieille peau est tombée, la fragilité est extrême jusqu’à ce que la nouvelle peau soit consolidée. Pour franchir cette étape, cela nécessite beaucoup de délicatesse, de bienveillance et d’encouragement. En un mot, de l’amour ! Je parle d’amour maintenant, avant de proposer quelques pistes de changement, parce que c’est un préalable à la critique. Parce que j’aime mon Église, j’ai envie qu’elle change certaines choses.
Qu’est-ce que l’Église protestante unie doit changer dans sa manière d’être ? Une Église jeune et vieille
L’Église protestante unie de France est une très jeune Eglise (6 ans) mais héritière de la Réforme (500 ans). La jeunesse de l’Église signifie que des énergies ont été capables de se mobiliser ces dernières années, une impulsion vers l’union avec l’Église évangélique luthérienne de France. La jeunesse sous-entend projets, imagination, foisonnement. Mais attention, la jeunesse oublie souvent de prendre conseil, d’écouter, elle veut faire table rase du passé et risque de faire des bêtises, voire des erreurs.
Malgré le jeune âge de notre appellation, EPUdF, nous avons les qualités et les défauts d’une vieille Église. ERF et EELF sont de vieilles Eglises, issues elles-mêmes d’Églises plus anciennes.
Richesses : la fidélité à l’Évangile, vous avouerez que c’est fondamental.
- Un lieu où l’on peut entendre parler de l’amour de Dieu. Pour moi ce lieu a été essentiel, tout simplement.
- Une fraternité et une chaleur qu’on trouve dans les familles nombreuses.
- L’ancienneté d’une institution est aussi un gage de résistance aux chocs. Je pense à certaines Églises locales qui ont vécu des choses difficiles, des conflits, des épreuves (parfois aussi de mauvais pasteurs, je sais ça n’arrive jamais, mais bon…), et qui se sont relevées, qui ont dépassé ces épreuves. C’est la force d’une Eglise articulée entre responsabilité locale et responsabilité nationale. Quand les difficultés surviennent, on n’est pas tout seul.
Entre richesses et faiblesses… l’histoire
Si vous pensez Église, vous voyez plutôt une vieille Église, à bout de souffle, sans énergie ni imagination. Je le sais et je le vois aussi. Pourtant, quelle est la richesse du grand âge ? Sa mémoire, son histoire et sa fidélité. L’humanité a besoin de mémoire, elle a besoin de connaître l’histoire pour vivre tout simplement. L’Église protestante unie a cette grande chance d’être l’héritière d’une longue et riche histoire qui témoigne de la foi de ceux qui nous ont précédés. Ils sont comme des phares dans la nuit. Ils ne nous invitent pas à les rejoindre, mais éclairent les écueils à éviter.
Je voudrais pointer là un premier enjeu très important, il me semble. Nous sommes fiers de notre histoire. Nous avons nos martyrs et nos galériens. Cette histoire nous a nourris. Mais comment nous a-t-elle construits ? Ne sommes-nous pas restés éblouis par ces phares, au lieu de chercher les rochers et les dangers qu’ils signalaient ?
Quel est notre rapport à l’histoire ? Qu’est-ce que l’histoire nous enseigne et comment nous aide-t-elle à vivre aujourd’hui ? Il ne sert pas à grand-chose de louer le courage de nos ancêtres, sans dire quels défis il nous revient de relever aujourd’hui. Pour donner un exemple, il est assez hypocrite de louer ces protestants, justes parmi les nations, qui ont sauvé des juifs sous le régime de Vichy, et de fermer nos maisons et nos frontières aux hommes et aux femmes en exil, à tous ceux qui sont menacés et en danger aujourd’hui. Quand nos enfants reliront l’histoire des années 2010-2020, quels seront les justes que l’histoire aura gardés ? Église ancienne, Église historique (toutes les Églises sont historiques !!), héritière de la Réforme. C’est un beau titre, mais comment en être dignes ?
Nous sommes héritiers d’une histoire. Parmi cet héritage, il y a des richesses incroyables qui peuvent devenir des fardeaux pour les générations suivantes. Je pense aux immeubles…
Nos ancêtres et nos martyrs, de quoi vivaient-ils ? De la parole de Dieu. Ils avaient reçu ce don, cette conviction que Dieu les aimait et les sauvait par Jésus-Christ, mort et ressuscité pour eux. De cette conviction fondamentale découlent de nombreuses conséquences. Leurs conditions de vie, d’existence, importaient peu. Ils étaient prêts à tout perdre pour ne pas renoncer à cette grâce. Et nous aujourd’hui, que sommes-nous prêts à perdre, ou à changer, à cause de notre foi, pour témoigner de notre foi ?
Défauts – faiblesses : ceux de notre histoire, c’est le revers de la médaille
- Un « entre soi » hérité du temps où il n’était pas bon dire qu’on était protestant, une discrétion, voire même une impossibilité à exprimer sa foi. Aujourd’hui, ce défaut est particulièrement gênant à l’heure où la transmission de la foi ne se fait plus par héritage mais par choix personnel. Il faut peut-être que je développe un peu ce défaut de notre Église, si vous ne voyez pas à quoi je fais allusion ? Cultiver l’entre soi, c’est ne donner aucune visibilité aux activités et rencontres de la paroisse. Annoncer par exemple étude biblique jeudi soir au lieu habituel (ou chez « untel »). Comment un nouveau-venu se sentirait le bienvenu ? (et même s’il n’y a jamais de nouveau-venu, il faut s’entraîner à accueillir pour le jour où…) Cultiver l’entre soi, c’est ne rien afficher d’attrayant sur la porte du temple, ou sur le site internet de l’Eglise. C’est parler en langage codé, réservé aux initiés. Et on pourrait multiplier les exemples.
- Un deuxième défaut de notre Église, c’est l’orgueil, un certain complexe de supériorité, plus ou moins léger (mais c’est normal, on a toujours eu raison avant les autres, n’est-ce pas ?!). Ce défaut-là est aussi très gênant dans notre manière d’accueillir (ou de ne pas accueillir) ceux qui tentent de franchir la porte de nos temples… Si les nouveaux-venus ressentent chez nous de la suffisance, comment pourraient-ils se sentir les bienvenus ? Sentir que nous avons besoin d’eux ?
- Il vous vient peut-être en tête d’autres inconvénients de l’Église unie, selon ce que vous avez vécu dans cette Église. Pour moi, ce sont les deux plus importants, avec l’immobilisme propre à toute institution ancienne.
Comment sortir de l’entre soi, comment sortir de notre petit club fermé dans lequel nous sommes si bien, entre nous, pour nous ouvrir aux autres ? Comment relisons-nous notre histoire, pour sortir de la sidération, de la fascination des anciens et relever les défis d’aujourd’hui ?
Dans un monde qui change… Deux exemples, la technologie et la loi du marché. Nous subissons les changements technologiques, il faudrait les penser…
L’Église n’est pas à l’abri des changements technologiques. Elle vit dans le monde, chacun de nous vit dans le monde. Nous n’avons pas choisi de nous retirer hors du monde en attendant le retour du Christ ! Et nous pensons même que le Christ nous attend dans le monde ! Je me souviens d’un très vieux pasteur qui ne supportait pas l’installation du téléphone dans son presbytère. Il refusait que les gens qui téléphonent aient priorité sur ceux qui étaient en entretien avec lui. Que dirait-il du portable aujourd’hui… Les outils ne sont que des outils. Il nous faut en rester maîtres et d’abord apprendre à s’en servir. Chaque outil a ses avantages et ses inconvénients. Le propre de l’humain n’est-il pas de maîtriser les outils ? Internet permet une formidable diffusion des idées et des savoirs. Pour le pire, certes, mais aussi pour le meilleur. Le web a changé complètement la manière d’apprendre des jeunes et je dois dire mon admiration. Un exemple très drôle : dans mon quartier, un jeune va garder pour la première fois le bébé d’un voisin. Il se trouve qu’il doit changer le petit avant le retour des parents. Il n’a jamais fait cela. Pas démonté le moins du monde, le jeune cherche sur son téléphone et trouve un tutoriel pour changer la couche du bambin. Moi au même âge et dans la même situation, j’aurais été complètement paniquée ! Diffusion des idées et des savoirs : tout est à portée de main.
Pour les vieux comme moi, l’ère internet est assez perturbante. Pourquoi ? Quand je veux aborder un sujet avec mes enfants, la remarque c’est « ne nous fais pas l’article Wikipédia, on est capable de le lire nous- mêmes ». Ils attendent plus ! Ils attendent mon avis sur le sujet, et pas une présentation historique, philosophique ou scientifique. Ils attendent un vrai débat avec moi, et pas un maître qui délivre son savoir. C’est déstabilisant, c’est un changement complet de perspective, mais avouez que c’est tellement plus intéressant.
Je suis admirative des jeunes que je vois autour de moi. Ils apprennent par eux-mêmes et savent apprendre en collaboration. Ils sont dans la co-construction, dans la complémentarité des savoirs et des compétences. Ils sont généreux et très débrouillards. C’est la génération Blablacar : écolo-économes. Comment notre Église peut-elle s’ouvrir à ces nouvelles manières de faire pour que les jeunes trouvent un peu d’intérêt à parler avec nous ? La collaboration et la co-construction dans la vie de l’Église, c’est loin d’être antiévangéliques, n’est-ce pas ? Une autre manière de parler du sacerdoce universel, peut-être. Une autre manière de dire : chacun a sa place dans l’Église, chacun peut y prendre la parole, il y est même invité.
Lisez un texte biblique à plusieurs, enfants, jeunes, adultes, personnes âgées. Je sais que chacun, du plus petit au plus grand, aura quelque chose à dire de pertinent sur le texte. Donnons la parole, à tous !
Pour tirer parti du positif des nouvelles technologies, il faut les penser.
La solidarité
Ce qui est en jeu, notamment du fait des changements technologiques, mais pas seulement, c’est notre solidarité. Évidemment, si vous cessez d’imprimer le petit journal de la paroisse et que vous ne l’envoyez plus que par mail, cela mettra forcément hors-jeu ceux qui ne disposent pas encore d’internet. En même temps, c’est beaucoup plus économique (plus d’impression, plus d’enveloppe, plus de frais de poste). Mais de nouvelles contraintes surviennent : la règlementation RGPD (règlement général sur la protection des données personnelles). (Changer, ça fait mal !)
Au sein d’une Eglise locale, chaque activité, chaque décision doit être passée par le filtre de ces questions : qui sera empêché d’y accéder et pourquoi ? Que pouvons-nous mettre en place pour contourner l’obstacle ? Toute difficulté trouve sa solution avec un peu d’imagination.
La solidarité joue aussi au niveau consistorial, régional, national. Certains courent devant, quand d’autres s’essoufflent. Certaines paroisses se portent très bien quand d’autres se vivent en soin palliatif. Notre ecclésiologie devrait nous permettre facilement de faire jouer la solidarité entre nous.
Solidarité encore et toujours : certaines régions ont « trop de pasteurs » alors que d’autres n’en ont pas assez. Certaines paroisses ont des réserves financières importantes et restent assises dessus, en prévision de l’hiver, quand d’autres ne trouvent pas d’aide pour faire des travaux urgents. Solidarité, où es-tu ? J’utilise le mot solidarité, mais je devrais dire « communion fraternelle »…
Dans un monde qui change, notre Église doit changer, assumer les nouvelles technologies et être attentive à la solidarité.
La loi du marché
Le renversement dans l’ecclésiologie
Les critères classiques de l’ecclésiologie sont complètement modifiés : la manière dont on comprend et vit l’Église a changé. En théologie, l’Église est le lieu où Dieu s’offre dans sa parole et ses sacrements. L’Église est le lieu de ces dons, et leur accueil crée la communion entre les membres de l’Église.
Fondamentalement, l’Église est là « pour rien », « gratuitement ». Dans un deuxième temps, la joie de ses membres témoigne de cet amour donné. Grâce et joie.
Mais dans la société actuelle, l’Église ne repose plus sur ce qui est offert par Dieu en Christ, ni sur l’abandon de la foi qui reçoit la grâce, mais sur des « projets » et actions d’évangélisation, actions diaconales, humanitaires, etc. C’est formidable d’avoir des projets, c’est vraiment super, mais en aucun cas ces projets ne doivent servir de mesure à la vie de l’Église !
La quantité des projets, le nombre de participants sont peut-être révélateurs de ce que vit l’Église, mais ne doit en aucun cas être un critère de jugement de cette Église.
Il est urgent de prendre conscience de ce renversement ecclésiologique, qui est aussi générateur de stress = l’Église doit « prouver » sa pertinence !!
N’ayons pas peur. Nous n’avons pas à sauver l’Église ! Elle est entre les mains de Dieu. Sommes-nous capables d’être reconnaissants de ce que nous recevons par l’Église ? Savons-nous nous réjouir des biens que Dieu nous donne, des frères et sœurs que Dieu nous donne, des bienfaits que Dieu nous donne ? L’Église est un cadeau. Sommes-nous capables de vivre l’Église comme une joie, un cadeau, avec reconnaissance ?
Sur le fond, la question à l’origine de toute réforme de l’Église est celle-ci : quel message évangélique concerne nos contemporains ? Quand on aura répondu à cela, on réfléchira au moyen de le faire connaître.
Parce que la question centrale est là. Il ne s’agit pas de savoir comment faire venir plus de monde dans l’Église. Il ne s’agit pas de savoir comment faire pour avoir plus de donateurs fidèles et réguliers. Mais il s’agit de savoir comment l’Évangile entre en dialogue avec nos préoccupations actuelles. Comment l’Évangile nous met-il debout aujourd’hui ? Où Dieu nous attend-il ? Dans quels engagements ? Quelles sont les questions urgentes à aborder ensemble ? La pauvreté, le travail et le manque de travail, la justice, la préservation de la nature, l’accueil des personnes exilées, le dialogue des cultures, l’accompagnement de la vieillesse…
Si nous savons dire l’Évangile là où nos concitoyens l’attendent, alors le reste suivra… Il ne s’agit pas de reproduire mais d’inventer du neuf pour aujourd’hui ! Voici, je fais toute chose nouvelle…
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