« Charlot on devrait y aller » lui proposait, sans réfléchir, ma mère !
Je comprends maintenant pourquoi lui ne répondait pas à ces invitations des anciens du maquis Caillet (Drôme) reçues à partir des années 80. Trois raisons :
1- mon père avait été assez peiné et choqué par la mort de plusieurs de ses copains, dont le jeune fils de son instituteur, protestant comme lui, qui avait suivi son chef ‘Charles Jas’ depuis la troupe des éclaireurs unionistes de Montélimar,
2- il s’était fiancé en cette période et ne désirait sans doute pas qu’on lui en parle (après la mort de mon père, ses camarades du maquis avaient du mal à penser que je n’étais pas le fils de celle pour qui ils disaient : « ils allaient si bien »),
3- ceux qui se réunissaient annuellement autour de Jean Bouyon avaient été plutôt de ceux qui s’étaient engagés dans les guerres coloniales après 45.
D’instituteur il était devenu chef FFI car il avait fait une école militaire, avant guerre, comme pupille de la nation, pour payer ses études. Dénoncé comme communiste, quand la Gestapo ou la Milice de Montélimar était venu le chercher, il avait rejoint les bois de Marsanne pour se cacher. C’était le contraire d’un militariste (sa famille ardéchoise avait été pour Jaurès ainsi que son père et oncle morts dans les tranchées). Il s’opposa ensuite à la guerre d’Algérie (insoumission peu couteuse car juste à la fin de 1962, mais j’en fus le témoin). Le maquis Caillet (entre Marsanne et Mirmande ) dut accueillir quelques rescapés du Vercors dont le pasteur Pierre Borne (avec qui j’ai beaucoup parlé, chez son fils et sa belle-fille à Montpellier, 4 ans après la mort de mon père). Après les combats de Montélimar qui furent rudes, les FFI intègrent l’armée régulière : le « 15-9 ». !
« Un jour tu iras aux archives de Paris et tu trouveras tout ce que j’ai fait ».
Mon père ne parlait pas beaucoup de cette période. Je l’écoutais peu, aussi. Influencé par les idées pacifistes de 68, je préférais lire les lettres de son père mort dans les tranchées. « Le pacifisme cela ne marche pas devant les Nazis » répétait-il avec le couplet habituel sur le Mont-Froid, au dessus du Col du Mont Cenis, où plusieurs de ses amis étaient morts, et sur Schiltigheim où les combattants allemands, qui avaient du finalement se rendre, étaient des « gamins fanatisés ». Et puis de me rappeler que les gradés, en Alsace, faisaient des promesses orales, « on vous donnera l’indépendance », aux troupes coloniales ! A la fin de sa vie, mon père avait enregistré une cassette audio, pour Héloïse sa petite fille, « je pourrais en enregistrer 3 ou 4 ». Malheureusement cette cassette, que je n’ai pas écoutée, a été perdue lors des inondations de Saint-Géniès en 2002. Dans la maison familiale on a conservé une médaille du 15-8 (mais pas du 15-9 ?), pas sa croix de Guerre, ni le pistolet, ni le brassard FFI, ni les jeans parachutés par les américains que j’avais vus auparavant (« quel dommage, papa »). Mais conservé le fameux ‘Maquillât’, un bâton avec une lame contre les loups avec des inscriptions basques.
En 1990 je donnais une conférence sur les cathares à Pau. Au premier rang un homme avec un grand béret, attendait la fin pour me dire : « tu ne me reconnais pas, Jas ?» Lui expliquant que je n’étais pas Charles mais Michel, je lui donne des nouvelles de son copain et le remercie pour le Maquillât. Je n’ai pas noté son nom et n’ai pas trouvé son adresse pyrénéenne dans les listes des rencontres annelles ‘Camp Caillet’ ni dans les archives de Vincennes !
De 2011 à 2018, je fais des recherches aux archives de la Drôme, mais mon père n’y est pas cité, je trouve le livre de Jean Bouyon qui parle de « notre chef le lieutenant Jas », puis monte plusieurs fois aux archives militaires de Vincennes. J’y trouve des confirmations mais aussi des blancs. Rien sur la période où à la Libération de Lyon il avait un chauffeur et recherchait les soldats alcooliques errant dans les rues ! En 2017 je fais une enquête en Haute Maurienne, je rencontre des témoins de cette époque, mais alors que je commençais à douter de la montée de mon père pour attaquer la forteresse du Mont froid (2800 m), un des derniers combats contre la forteresse, je trouve le livre de Laurent Demouzon qui présente en couverture : mon père avec son grand sourire et ses compagnons près de la chapelle de Bramans, avant l’escalade ! Je vois la Dent-Parrachée (3700 m) dont mon père me parlait beaucoup. Jean Bouyon me dit que c’est en raison de cette ascension que le petit groupe a été choisi pour défiler le 14 Juillet avec De Gaulle !
Après ce fut le Chambon, éducateur dans des maisons d’enfants, en lien avec le collège cévenol où il avait sympathisé avec Ricœur, et enfin sa nomination comme instituteur à la Mouline entre Causse et Aigoual où les courriers militaires ne lui parvenaient pas !
Michel Jas
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