Alors que s’ouvre la 11e assemblée générale du COE le 31 août à Karlsruhe, l’attention se porte sur la participation des Églises orthodoxes d’Ukraine. Et qu’en est-il de leur futur ? « Une réconciliation semble possible »
Ukraine : Seront-elles ou ne seront-elles pas présentes ? Telle est la question que tout le monde se pose à la veille de la 11eassemblée générale du Conseil œcuménique des Églises (COE), qui se tiendra du 31 août au 8 septembre dans la ville allemande de Karlsruhe, et ce alors que la guerre engagée par la Russie contre l’Ukraine continue de faire rage. L’interrogation concerne évidemment les deux Églises orthodoxes ukrainiennes qui coexistent actuellement en Ukraine – à savoir l’Église orthodoxe d’Ukraine, qui relevait jusqu’à peu du patriarcat de Moscou, et l’Église orthodoxe ukrainienne (autocéphale).
Reconnaissance tardive «Pendant très longtemps, ces deux Églises ukrainiennes ont été marginalisées par le monde œcuménique qui ne voyait que « Moscou » commente Antoine Arjakovsky. « Quand j’ai créé l’Institut d’études œcuméniques en 2004 à Lviv, j’ai été sidéré de voir à quel point personne ne voulait s’aventurer sur le terrain ukrainien, tellement ils avaient peur de se fâcher immédiatement avec le patriarche Kirill. Pour rappel, l’Église orthodoxe ukrainienne (autocéphale) est formée en 2018 par la fusion ordonnée par le président ukrainien Petro Porochenko des deux entités dissidentes du patriarcat de Moscou, apparues dans le paysage ukrainien à la suite de la chute de l’URSS et de l’indépendance de l’Ukraine en 1991. Sa reconnaissance en 2019 par le patriarche Bartolomée du patriarcat de Constantinople avait suscité l’ire de l’Église orthodoxe russe, qui ne lui reconnaît aujourd’hui encore aucune légitimité.
Nouveau schisme
Avec la guerre, la situation s’est encore complexifiée, l’Église orthodoxe d’Ukraine relevant du patriarcat de Moscou ayant décidé de s’en détacher à son tour. « Son chef, le métropolite Onuphre, considéré comme un proche du patriarche Kirill depuis toujours, a été contraint par les événements à prendre ses distances vis-à-vis de Moscou », explique Antoine Arjakovsky, fondateur de l’Institut d’études œcuméniques à Lviv, en Ukraine. En effet, entre les mois de mars et mai, plusieurs centaines de paroisses ont décidé de se détourner du patriarcat de Moscou pour adhérer à l’Église orthodoxe ukrainienne autocéphale. « Réunie en Synode à la fin mai, l’Église orthodoxe d’Ukraine a pris la décision de supprimer de ses statuts toute référence au patriarcat de Moscou », poursuit ce spécialiste du monde slave. « Celle-ci est donc aujourd’hui dans une situation de grande difficulté, une sorte de vacuum, puisqu’elle ne dispose actuellement de la reconnaissance d’aucun patriarcat, ce qui est inconcevable dans le monde orthodoxe.»
Serait-ce dès lors concevable que les deux Églises orthodoxes ukrainiennes se rapprochent, voire finissent par fusionner, l’Église autocéphale étant reconnue par le patriarcat de Constantinople ? «Là est la grande question. Tout le monde s’interroge», exprime Antoine Arjakovsky. Et d’ajouter : «Personnellement, je pense qu’il y a une possibilité pour qu’une réconciliation ait lieu entre ces deux Églises ukrainiennes. Un groupe assez influent et légitime a déjà établi la jonction et c’est aujourd’hui la première fois, depuis trente ans, que ces Églises ukrainiennes sont en mesure de se parler sans dépendre de centres qui sont extérieurs au pays et qui parasitaient leur dialogue.»
Pour autant, ces deux Églises appartiennent à deux univers mentaux très différents, poursuit-il. «L’une célèbre en slavon (russe ancien, ndlr), l’autre en ukrainien et est surtout clairement pro-ukrainienne.» Par ailleurs, présentement, ces Eglises ne se reconnaissent pas mutuellement : «De l’une à l’autre, les baptêmes ne sont même pas reconnus.» Auteur du récent essai intitulé Qu’est-ce que l’œcuménisme ? (Cerf, 2022), Antoine Arjakovsky insiste sur le fait que c’est précisément «la responsabilité des institutions œcuméniques, à Rome comme à Genève [le COE], que d’aider ces Églises orthodoxes ukrainiennes à se rencontrer et à dialoguer».
Indésirable Russie?
A la veille de la grand-messe œcuménique de Karlsruhe, qui a lieu tous les sept ans, les regards pointent naturellement aussi en direction de l’Église orthodoxe russe, dont le patriarche Kirill a ouvertement légitimé l’entreprise militaire de Vladimir Poutine en Ukraine. Au cours du printemps, l’institution genevoise avait d’ailleurs reçu de nombreux courriers de chrétiens et d’Églises (dont l’Église évangélique réformée de Suisse) lui demandant de condamner publiquement ces propos ainsi que de renoncer à tout lien, du moins momentanément, avec l’Église russe. Soucieux de préserver son identité en tant qu’espace de dialogue, le comité central du COE s’est cependant refusé, en juin dernier, à suspendre l’Église orthodoxe russe. C’est dans la même optique qu’une délégation du COE s’est rendue en Ukraine, début août, pour s’assurer de la présence de représentants ukrainiens à l’événement de Karslruhe et y rencontrer notamment le Conseil des Églises et organisations religieuses d’Ukraine (VRCiRO), qui représente 95% des communautés religieuses du pays, toutes confessions confondues, et réunit notamment les deux Églises orthodoxes jusqu’alors rivales. La délégation du COE, conduite par son secrétaire général par intérim, Ioan Sauca, a rencontré tour à tour leurs responsables respectifs, à savoir le métropolite Epiphane de Kiev (Église autocéphale) le 3 août, et le métropolite Onuphre le lendemain.
A l’heure actuelle, seule l’Église orthodoxe russe est membre du COE – elle représente d’ailleurs la plus grande entité parmi les 345 Églises membres. Son représentant à Genève n’est autre que Mikhail Goundiaev, neveu du patriarche Kirill. Quant à l’Église orthodoxe ukrainienne (autocéphale), elle vient seulement de déposer sa candidature. «Il lui faudra encore attendre un ou deux ans pour devenir membre du COE», informe Marianne Ejdersten, cheffe de la communication de l’ONG œcuménique. Et d’ajouter : «Ils ont été invités à envoyer leurs représentants en tant qu’observateurs extérieurs à l’assemblée de Karlsruhe», dont le thème est «L’amour du Christ mène le monde à la réconciliation et à l’unité». La centrale des admissions attend leur confirmation définitive. I
ANNE-SYLVIE SPRENGER Le Courrier – Vendredi 26 août 2022
Licenciée en journalisme et communication et journaliste indépendante pendant près de vingt ans, Anne-Sylvie Sprenger est la responsable éditoriale de l’agence de presse Protestinfo et du site www.reformes.ch depuis avril 2019. Protestinfo est une agence de presse spécialisée dans l’actualité des Églises réformées de Suisse romande. Elle diffuse une information libre et loyale touchant également aux questions d’éthique, de société et de spiritualité.
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